Avec les contraintes liées à la crise environnementale et les conséquences de la guerre en Ukraine, la question énergétique est revenue au cœur des débats comme jamais depuis les chocs pétroliers de 1973 et 1979. Entre le réchauffement climatique, les risques de pénurie et l’envolée des prix, les choix à opérer sont cruciaux.
Depuis longtemps, bien plus que ses voisins, la France a choisi une voie différente de celle des autres grands pays industrialisés en misant sur l’atome. En 2022, le pays compte 18 centrales en activité, soit 56 réacteurs qui produisent plus de 65 % de l’électricité française. Oui, mais… Longtemps considéré comme une filière d’excellence, le nucléaire français est en difficulté. Et ce ne sont pas les résultats financiers d'EDF en 2022 (17 milliards de pertes) qui oseront proclamer le contraire.
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Becquerel et les Curie
Fin du XIXe et début du XXe siècle : la France est pourtant déjà un des berceaux de la physique atomique avec les travaux d’Henri Becquerel et ceux de Pierre et Marie Curie. Partant de là, les travaux s’enchaînent dans toute l’Europe, mais ce sont encore des Français, Frédéric Joliot-Curie, Lew Kowarski, Hans Halban et Francis Perrin qui, en avril 1939, déposent les brevets d’une découverte cruciale : la réaction en chaîne.
La production d’énergie et la mise au point d’armes nucléaires deviennent envisageables. La France est à ce moment-là le pays le plus avancé. La guerre et la défaite de 1940 interrompent ses efforts. La bataille pour la bombe est gagnée par les États-Unis et le Japon fait la triste expérience de l’efficacité de cette arme nouvelle.
Dès 1945, les travaux reprennent sous la direction de Frédéric Joliot-Curie, qui dirige le CNRS. Le Gouvernement provisoire de la République Française, présidé par le général de Gaulle, crée le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) en octobre 1945. Il s’agit de conduire des recherches sur l’énergie nucléaire, sans pour autant négliger l’aspect militaire.
En 1948, Zoé est la première pile atomique française. En 1952, le plan quinquennal de l’énergie nucléaire prévoit la construction de trois réacteurs Uranium nature graphite gaz (UNGG) de conception purement française. Le premier est inauguré à Marcoule (Gard), où l’on commence aussi à extraire du plutonium, indispensable à la mise au point de la bombe. Il faut noter que la France se lance seule puisqu’en 1946, aux États-Unis, la loi Mac Mahon impose le secret absolu sur les activités nucléaires.
Le retour du Général
Les choses s’accélèrent avec le retour au pouvoir de de Gaulle, en 1958. La maîtrise de l’arme, la mise en service de l’usine d’enrichissement de l’uranium de Pierrelatte et le lancement du programme électronucléaire d’EDF font de la France une puissance nucléaire à part entière. La première bombe explose en 1960, dans le Sahara. La France dispose de matière fissile et bâtit ses premières centrales. Six réacteurs UNGG sont construits.
Le choc pétrolier est décisif : en 1974, le plan Messmer annonce la construction de 13 réacteurs, prélude au « tout-nucléaire » qui va régner entre 1979 et 1999 : 58 réacteurs à eau pressurisée (PWR, licence Westinghouse) sont mis en service.
En parallèle, la filière est organisée : en 1976, la Compagnie générale des matières nucléaires (Cogema) est créée pour contrôler toute la filière combustible et assurer le retraitement des déchets dans l’usine de La Hague, Framatome s’occupe des chaudières, CEA Industries assurant la conduite de la filière. La France explore aussi la voie des « neutrons rapides » avec Phénix puis Superphénix, piste abandonnée depuis. En 2001, toute la filière est regroupée au sein d’Areva.
Déchirements et revirements
À partir des années 2000, les choses se gâtent. Le nucléaire devient une monnaie d’échange politique et les gouvernants gèlent les nouveaux projets, à l’exception de l’EPR de Flamanville, qui prend toutefois beaucoup de retard. Ensuite, de 2010 à 2011, EDF et Areva se livrent à une guerre sans merci pour prendre le contrôle de la filière nucléaire dans son ensemble sur fond de pertes de contrats dans le Golfe et d’investissements douteux en Afrique.
En 2015, la fermeture de 12 réacteurs à l’horizon 2025 est programmée en commençant par le site de Fessenheim. En 2017, Emmanuel Macron opte pour le repli de l’atome et le développement des énergies renouvelables. Le projet Astrid (recherche sur les neutrons rapides) est abandonné. Il faut dire que tous les problèmes de la filière ne sont pas résolus, en particulier celui des déchets radioactifs. Si la France est performante dans ce domaine, les stocks sont importants et les solutions envisagées, en particulier l’enfouissement à grande profondeur à Bure (Meuse), sont contestées.
La crise énergétique remet en cause cette tendance à l’abandon du nucléaire. La notion d’indépendance énergétique refait surface sur fond de conflit entre partenaires européens. Le choix allemand – fin de l’atome, énergies renouvelables et gaz – est fragilisé par la guerre en Ukraine.
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Et puis le passage de l’automobile au tout-électrique va exiger une production de masse dont ni l’éolien ni le solaire ne sont capables. C’est ce qui explique le changement de pied récent du gouvernement français : le nucléaire a de nouveau un avenir. La France est engagée dans la recherche sur la fusion (ITER) et vient de décider de relancer la filière. Reste que les pertes de compétences liées au gel des constructions depuis 20 ans et les retards pris dans le programme Evolutionary Power Reactor (EPR) de Flamanville sèment le doute : comment faire redémarrer un secteur que l’on avait prévu de démanteler ?
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