Ensemble et la NUPES, qui ont chacun récolté environ 25 % des suffrages selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, sont le duo gagnant du 1er tour des élections législatives, le 12 juin. C’est le moment de rappeler les différences entre une politique de l’offre et une politique de la demande.
D’un côté la coalition Ensemble ! (LREM, MoDem et Horizon) défend globalement une politique de mesures économiques favorisant les entreprises, c’est-à-dire l’offre.
De l’autre, la NUPES (LFI, PS, EELV et PC) soutient avec ferveur la relance de l’économie par la consommation et l’investissement public, les deux grandes composantes de la demande.
C’est un « choc entre deux visions de l’économie » confie Eric Berr, maître de conférences à l’université de Bordeaux et membre du comité des économistes de la NUPES, lors de la conférence de presse des économistes sur le programme de l’union populaire.
Les Libéraux et la politique de l’offre : moins d’impôts, plus de compétitivité
Côté majorité présidentielle, on veut baisser les impôts ou les charges sociales sur les entreprises. Ces baisses d’impôts vont augmenter les marges des entreprises qui pourront investir plus par autofinancement. Les réductions de charges peuvent permettre aux entreprises de baisser leurs prix et de devenir plus compétitives à l’échelle internationale.
Autofinancement
L’autofinancement consiste, pour une entreprise, à se financer "par soi-même" : l’entreprise utilise ses profits (de l’année ou des années antérieures) pour financer ses investissements.
Lors de son premier quinquennat, Emmanuel Macron a abaissé le taux d’imposition sur les sociétés (IS) à 25 % contre 33 % auparavant. Le crédit impôt compétitivité emploi (CICE) (loi mise en place sous François Hollande) a également été sauvegardé. Ce crédit d’impôt permet aux entreprises de bénéficier d’un allégement des cotisations sociales, ce qui réduit le coût du travail, favorise l’investissement et la compétitivité, selon ses partisans.
La logique était similaire en 2018 avec l’instauration de la “flat tax”, qui plafonne l’imposition de tous les revenus du capital au taux forfaitaire de 30 %. L’objectif est de simplifier et d’alléger la fiscalité de l’épargne, ce qui devrait stimuler l’investissement et l’activité économique à terme.
Dans son nouveau quinquennat, Emmanuel Macron compte continuer sur cette lancée. Il mise sur la diminution ou la suppression des impôts de production qui « pèsent sur les entreprises françaises » afin de « réindustrialiser le pays », explique Bruno Le Maire, ministre de l’économie.
Impôts de production
L’impôt sur la production est un prélèvement obligatoire payé par les entreprises lors du processus de production, c’est-à-dire avant même de dégager son chiffre d’affaires. Il existe différents types d’impôt sur la production en France : la TVA, les droits de mutation, la contribution économique territoriale, la taxe foncière ou encore la taxe sur les salaires.
La politique de l’offre part d’une conviction : l’épargne est préalable à l’investissement. L’école autrichienne et Frederik Hayek en particulier, estiment que l’épargne doit être antérieure à l’investissement, sinon l’entrepreneur aura recours au crédit, ce qui augmentera son endettement. « Les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain », explique Hans Helmut Kotz, professeur d’économie à Harvard.
Pour les libéraux, il faut promouvoir l’épargne et les profits, qui déterminent l’investissement et l’activité économique. La croissance est tirée par la production de biens et services des entreprises, ce qui explique pourquoi, selon eux, il faut réduire la pression fiscale sur les entreprises.
Les Keynésiens et la politique de la demande
À l’inverse, la NUPES est alignée sur la théorie keynésienne qui affirme que la croissance provient avant tout de la consommation des ménages et de l’investissement public.
Une politique de la demande consiste d’ailleurs généralement à augmenter les salaires pour doper la consommation des ménages, remplir les carnets de commandes des entreprises et in fine faire croître l’activité économique.
Dans ce genre de politique, l’investissement public est un aspect très important. L’exemple historique le plus parlant est le “New Deal” de Franklin D. Roosevelt, en 1933.
New Deal
Cet épisode fut marqué par un large plan d’investissement public pour soutenir l’économie américaine, encore sous le choc de la grande dépression de 1929. L’administration américaine de l’époque distribue des fonds fédéraux aux États et aux municipalités pour organiser des programmes d’assistance aux plus démunis et lancer des travaux d’intérêt public pour donner un emploi aux chômeurs (constructions de ponts, routes, et autres travaux publics).
Pour les keynésiens et plus particulièrement la pensée “post-keynésienne”, l’investissement est préalable à l’épargne, ce qui est l’exact opposé de la pensée libérale. « Les capitalistes (entrepreneurs et investisseurs) gagnent ce qu’ils dépensent » résume Nicholas Kaldor en reprenant une citation de Michal Kalecki (deux économistes "pères" de la pensée post-keynésienne). Autrement dit, ce sont les décisions d’investissement et de consommation des entreprises qui déterminent les profits, et non l’inverse.
Les décisions d’investissement sont elle-même déterminées par la "demande effective" des entreprises. La demande effective désigne la demande anticipée des entreprises. Si une firme anticipe une augmentation de la consommation des ménages, elle produira plus et sera plus à même d’investir dans de nouvelles capacités de production (nouvelles machines, agrandissement des locaux, etc.). Au contraire, si les entreprises sont pessimistes sur l’avenir, elles anticipent une baisse de la consommation et ne vont pas investir et produire plus, ce qui freinera la croissance.
Le but de la politique de la demande est de soutenir la consommation pour que les entreprises anticipent une hausse des ventes. Pour les keynésiens et les post-keynésiens, le salaire est vu comme un revenu plutôt qu’un coût.
Vive la dépense publique et la hausse des salaires ?
S’inscrivant dans cette logique, la NUPES explique vouloir augmenter le SMIC à 1 500 euros net par mois, contre 1 303 euros actuellement (soit une hausse de 15 %). Elle prévoit également une “allocation jeune” de 1 063 euros.
Cette hausse de revenus pour les jeunes et les ménages modestes entraînera, selon eux, un élan de la « consommation populaire » qui stimulera l’activité. En effet, la propension à consommer de ces catégories sociales est élevée, puisqu’ils consomment quasiment l’intégralité de leur revenu, et épargnent très peu.
Propension à consommer
La propension à consommer est la part du revenu destiné à la consommation. Par exemple, si vous avez un revenu de 1 000 euros et que vous consommez 700 euros, alors votre propension à consommer est égale à 0,7 (700/1 000). La propension à consommer des ménages les plus modestes est proche de 1, alors que les ménages plus aisés épargnent plus et voient leur propension à consommer diminuer.
De plus, la NUPES écrit vouloir mettre en place un plan d’investissement public massif, de l’ordre de 200 milliards d’euros sur 5 ans pour accélérer la transition écologique. Selon eux, de nombreux emplois publics et privés seront créés grâce à ce plan d’investissement.
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Critique de ces politiques
Cette logique économique est rejetée par l’économiste libéral, Jean-Marc Daniel. « Il y a déjà trop de demande, on le voit avec le déficit extérieur qui est colossal (NDLR : 84 millions d’euros en 2021, un record), on ne souffre pas d’un manque de demande en France » affirme le professeur émérite à l’ESCP Business School (et membre du comité éditorial de Pour L’Éco), sur le plateau de France Inter. Pour les libéraux, la politique de la demande ne fait que renforcer les importations de biens et services fabriqués à l’étranger, aggravant encore davantage notre balance commerciale.
Déficit extérieur
Il y a déficit commercial quand le pays achète plus à l’étranger que l’inverse. Il peut donc avoir des difficultés à se financer.
De l’autre côté, les économistes soutenant la NUPES critiquent la vision « borgne » des politiques de l’offre. Ils pensent que l’impact des baisses d’impôts et de cotisations ne fait qu’aggraver le déficit public, et offrir des « cadeaux aux grandes entreprises ».
Ils soulignent également leur « inefficacité » en s’appuyant sur nombreuses études économiques publiées ces dernières années à ce sujet. « L’impact du CICE a été plutôt mitigé, avec des effets positifs sur les marges des entreprises, mais des effets modestes sur l’emploi, et quasi nuls sur l’investissement », explique ainsi l’Institut des politiques publiques.