Peut-on croire les économistes alors « qu’ils ne sont pas d’accord entre eux, pas d’accord sur cette absence de consensus et pas d’accord sur les raisons de ce désaccord ? », interrogeait en 2015 l’économiste Guillaume Allègre1 avant d’ajouter : « Peuvent-ils être utiles ? ».
L’économie n’est ni de la physique ni de la biologie. Il existe toutes sortes d’économistes et leur place est essentielle pour clarifier le fonctionnement et l’évolution constante du monde économique ainsi que ses risques, et éclairer citoyens et décideurs politiques au service de l’intérêt général.
D’ailleurs, dès l’origine de leur discipline, ils ont manifesté de la diversité dans l’analyse des processus nouveaux de la croissance économique et de la mondialisation, ainsi que de leur impact dans une société d’individus libres. Et bien sûr, l’idéologie, c’est-à-dire la façon de penser le monde et de concevoir la société, n’est jamais très loin de la réflexion économique.
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Deux grands paradigmes d’analyse sont en concurrence pour appréhender les faits économiques. D’une part, l’analyse plus traditionnelle, issue du courant « néoclassique » - dominant au début du XXe siècle -, qui reposait sur le comportement de l’homo economicus, censé évoluer sur les différents marchés selon son intérêt bien calculé, individuel et rationnel, car supposé exempt d’influence religieuse, sociale ou culturelle.
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Cette approche, ultradominante, a fondé « l’orthodoxie économique ». Dans la mesure où elle domine la discipline sociologiquement et institutionnellement, elle constitue ce que l’on appelle l’économie mainstream (dominante).
Des méthodes de recherche très homogènes
L’économiste orthodoxe est donc un théoricien libéral. Grâce à la méthode hypothético-déductive et l’utilisation intensive des mathématiques, il cherche à établir un modèle de concurrence parfaite. Il estime que cette démarche rigoureuse, conforme à la méthodologie des sciences dures, est nécessaire pour s’intéresser à la production, à la répartition des ressources dont dispose la société, aux échanges marchands ou à la monnaie.
Par ailleurs, ses publications dans des revues internationales (The Quarterly Journal of Economics, American Economic Review, Journal of Economic Growth, etc.) conditionnent son évaluation par ses pairs. Or le classement de réputation (ranking) des revues, dont l’un des critères est le nombre de prix Nobel publiés, traduit la suprématie anglo-saxonne et l’ascendant du courant de pensée libéral-orthodoxe (et surtout, la fameuse école de Chicago). Certaines revues excluent même de fait les travaux non orthodoxes. Tout cela contribue à reproduire des méthodes de recherche très homogènes, voire uniformes, puisque la notoriété et la carrière de l’économiste en dépendent directement.
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Microéconomie
S’intéresse aux comportements, choix et décisions des individus et des entreprises en matière de production, consommation, fixation des prix et des revenus, etc.
Sociologie, psychologie, morale
Le second paradigme est appelé « hétérodoxe », car ses partisans raisonnent différemment de l’économie orthodoxe. L’économie hétérodoxe repose sur le pluralisme, la construction de pensées économiques, de valeurs et de méthodes plurielles. Les économistes de ce courant insistent sur la nécessité d’une ouverture aux autres sciences sociales : sociologie, droit, psychologie comportementale et cognitive, histoire, sciences morales, institutions… en lien avec les transformations structurelles majeures de l’économie réelle, par exemple le chômage de masse, la financiarisation de l’économie, la mondialisation ou la redistribution sociale.
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L’économiste hétérodoxe Robert Boyer2 estime : « Fondamentalement, l’économiste étant le conseiller du prince [..], on attend moins de lui des analyses éclairant la gestion des agents privés qu’on ne lui demande de prendre position sur les grandes questions concernant la gestion de l’État. Quel partage établir entre privé et public ? Comment conduire la politique monétaire et budgétaire ? Quelles modalités d’insertion dans l’économie internationale adopter ? [..] Sa préoccupation majeure concerne la gestion de l’État, bref, la macroéconomie plus que la microéconomie, quand bien même la seconde servirait à fonder les conclusions de la première. »
Les gouvernements ont donc intérêt à puiser dans les diverses alternatives proposées par les différents courants à même de donner des clés pour procéder aux arbitrages complexes.
Macroéconomie
Terme créé en 1933 pour désigner l’étude d’une économie dans son ensemble, à partir des données globales, les agrégats (PIB, investissement, consommation…).
Procès en incapacité
C’est bien ce que réclament les membres de l’Association française d’économie politique3 (AFEP), créée fin 2009, devant « l’incapacité de l’économie dominante à proposer une lecture du monde susceptible d’éclairer et de nourrir le débat démocratique, apparue au grand jour lors de la crise de 2008 ». Ils reprochent à l’économie orthodoxe de vouloir à elle seule couvrir l’ensemble du champ académique de l’économie, avec la formalisation et l’économétrie comme seules méthodologies légitimes, et de refuser d’autres approches théoriques comme celles des institutionnalistes, des post-keynésiens, des régulationnistes, des évolutionnistes ou des économistes des conventions.
Ces écoles sont plus distantes envers les mathématiques. Selon l’AFEP, « elles devraient être considérées comme une richesse, mais en raison de modalités d’évaluation inéquitables », elles sont marginalisées. Or, poursuivent les membres de l’AFEP, d’autres types de formalisation et de méthodologies qualitatives (études de cas, entretiens…), restent, selon eux, des outils de recherche relativement trop peu utilisés.
Pour l'Association de défense du pluralisme en économie « l’histoire de la pensée, celle des faits, l’épistémologie et la connaissance critique des institutions sont reléguées aux marges de la discipline, alors qu’elles en constituent un socle indispensable ».
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Économétrie
Application des techniques mathématiques et statistiques à l’analyse des phénomènes économiques visant à établir et mesurer des corrélations entre les variables économiques, résoudre les problèmes de choix et prévoir des stratégies.