Les relations sociales ou professionnelles impliquent des interactions permanentes entre des individus ayant des savoir-faire ou des capacités intellectuelles différentes. Mais comment faire cohabiter une telle diversité d’aptitudes ?
En particulier, vaut-il mieux concevoir une organisation autour de groupes ayant des capacités intellectuelles homogènes (par exemple, selon leurs diplômes) ou au contraire la fonder sur des groupes d’individus hétérogènes ? A priori, on s’attend à ce que l’homogénéité favorise la coopération.
Une expérience1 réalisée au département d’économie de l’université Heidelberg contredit cette intuition : en matière de coopération, la diversité est préférable à l’homogénéité.
Cette expérience concerne 214 personnes issues de tous les milieux et sélectionnées au hasard. Les participants sont répartis par paires de « joueurs ». Le jeu consiste en une suite de parties aux règles immuables telles que chaque joueur a le choix de coopérer ou non avec son partenaire au cours d’une partie, tout en ayant la possibilité de modifier son choix lors des parties suivantes.
Cette suite de parties s’apparente à une répétition du dilemme du prisonnier2 où, pour chaque partie prise isolément, la stratégie optimale est de ne pas coopérer. Mais le protocole de l’expérience prévoit que chaque partie peut être suivie d’une autre avec une probabilité égale à 0,75.
À lire Qu'est-ce que le dilemme du prisonnier ?
Chaque joueur anticipe ainsi qu’il risque trois fois sur quatre d’être victime d’un comportement non coopératif de son partenaire à la partie suivante si lui-même a adopté une telle attitude lors de la partie présente. Les gains associés aux décisions des joueurs sont calibrés afin que sur le long terme, la coopération s’avère plus rémunératrice que la non-coopération.
Plus un joueur adopte rapidement une attitude collaborative, plus son gain cumulé lors des itérations successives du jeu sera important. Ce gain cumulé fournit ainsi une estimation du « degré de coopération » du joueur.
Expérience : 1 - Intuition : 0
Dans une étape préliminaire, les 214 participants sont soumis à des tests permettant de les classer selon leur quotient intellectuel. Ils sont ensuite répartis de manière aléatoire dans deux dispositifs.
La moitié des participants va faire partie d’un protocole dit « Q.I. séparé » qui les divisent entre ceux ayant un Q.I. au-dessus de la médiane (« groupe fort Q.I. ») et ceux ayant un Q.I. au-dessous de la médiane (« groupe faible Q.I. »). L’autre moitié des participants va faire partie d’un protocole dit « Q.I. intégré », qui ne les trie pas selon leur quotient intellectuel.
La succession des parties permet de suivre la montée de la coopération au sein des groupes. Le graphique résume le principal enseignement de cette expérience. On constate qu’au bout d’une vingtaine de parties, le degré de coopération finit par se stabiliser.

À partir de la vingtième partie, le gain moyen par partie est d’environ 44 points pour une paire du groupe « Q.I. intégré » et d’environ 42 points pour une paire du groupe « Q.I. séparé ».
On observe également que le gain moyen dans le dispositif « Q.I. intégré » dépasse le gain moyen dans le dispositif « Q.I. séparé ». En d’autres termes, le degré de coopération est plus élevé avec des personnes ayant des capacités hétérogènes qu’avec des personnes ayant des capacités homogènes.
L’ultimatum des Q.I. forts
Ce résultat s’explique en premier lieu par l’attitude des joueurs à Q.I. élevé. Il a été observé que ces derniers s’avèrent plus indulgents lorsqu’ils savent qu’ils se trouvent dans un groupe composé de leurs semblables que lorsqu’ils sont placés dans un groupe diversifié.
Dans cette configuration, sachant qu’ils ont peut-être un partenaire ayant un Q.I. faible, les joueurs à Q.I. fort adoptent une attitude plus « punitive » que lorsqu’ils savent que leur partenaire est aussi du type « Q.I. fort ». Avec des partenaires à Q.I. faible, ils sont moins enclins à rejouer la coopération après avoir subi un refus. Ce comportement fait en sorte que les joueurs à Q.I. faible se tournent plus vite vers la coopération.
En substance, c’est en quelque sorte une plus grande exigence de la part des « meilleurs » qui provoquerait un niveau supérieur de coopération au sein des groupes hétérogènes. On peut y voir un justificatif aux mesures de mixité sociale et scolaire et aux politiques de recrutement tournées vers des profils diversifiés.