Démocratique, vraiment ?
Leur but ? Interrompre les cours pendant plusieurs jours en signe de désaccord avec le gouvernement, tout en permettant à chacun de rejoindre les rangs de la contestation. D’autres blocages ont ensuite suivi ensuite, comme à Lyon : un outil de mobilisation qui n’est pas sans rappeler la grève, pratiquée dans de très nombreux secteurs professionnels.
Pour Robi Morder, spécialiste des mouvements lycéens et étudiants, l’un des objectifs est de « mettre tout le monde sur un pied d’égalité […] d’exonérer des personnes qui aimeraient bien se joindre au mouvement mais n’assument pas de ne pas venir étudier. Certains se rendent ensuite en manifestation, d’autres pas. » Certains étudiants vont alors se réunir et créer du lien autour d’un événement qui contribue à leur socialisation.
Mais si le blocus se met généralement en place après un vote en assemblée générale, il arrive que des militants décident d’y recourir avant l’AG, pour précipiter le processus de décision. En résulte un moment de démocratie fort mais imparfait, aucune règle formelle ne l’encadrant juridiquement. Par exemple, tous les étudiants ne sont pas nécessairement au courant qu’un vote a lieu.
D’autres, déjà convaincus du bien-fondé de l’action, vont au contraire être les plus nombreux à y participer. Morder souligne que « le blocage peut avoir en fait un effet démobilisateur », notamment lorsqu’un petit groupe fait fi de l’intérêt général en décidant dans son coin. De nombreux étudiants rentrent alors chez eux, sans participer à la contestation.
Syndicats et associations, vecteurs de la tradition
Mais les étudiants de ces quatre établissements ne sont pas les seuls à participer à ce type de mobilisation. Les ingérences extérieures sont monnaie courante. Imogène, 17 ans, et Clovis, 16 ans, s’y joignent régulièrement et se rendent même parfois dans d’autres villes pour venir en aide à leurs camarades. Membre du parti d’extrême-gauche Révolution permanente, le lycéen y voit une manière de promouvoir ses idées, de se former au militantisme. « C’est une bataille politique constante. »
À Rennes 2 comme ailleurs, l’absence d’organisations hostiles à de telles méthodes (comme l’UNI, un syndicat étudiant de droite, voire d’extrême-droite) et une certaine sympathie du corps enseignant - bien souvent syndiqué - favorisent cet accueil. Il n’est pas rare de croiser des étudiants et des salariés de l’université bretonne au sein de la même manifestation.
Lire aussi > Débat. Les faiblesses de l’université française sont-elles dues à un manque de moyens ?
De diplômé à salarié de l’université
Imogène, étudiante inscrite dans un établissement moins contestataire, considère Rennes 2 comme « l’épicentre politique de la jeunesse rennaise, un lieu emblématique, toujours concerné par les luttes sociales ». On s’y sent bien, en sécurité, parmi ses pairs. Et malgré le renouvellement des générations, les habitudes persistent. Les militants contre le CPE (contrat première embauche) de 2006, ou plus récemment en 2016 contre la Loi travail, auront transmis tout au long de leur cursus une certaine manière de penser la vie étudiante. Et certains diplômés deviennent salariés de l’établissement.
Année après année, ces campus se construisent une histoire militante, un folklore, un savoir-faire de la contestation. « Les syndicats et les associations sont des vecteurs de cette tradition », explique Robi Morder. Tout au long de l’année, ces groupes façonnent l’imaginaire politique de la vie universitaire.
Certains établissements se gentrifient. C’est le cas de la Sorbonne à Paris, symbole du mouvement de Mai 68, devenue assez élitiste. Pour cet ancien militant de l’Unef, plus une université est populaire, dite “de masse”, ouverte à différentes classes sociales, plus le blocage fait sens. À l’inverse, une école privée au coût excessivement élevé sera rarement le théâtre d’échappées révolutionnaires…
Les matières enseignées jouent beaucoup dans la capacité à se mobiliser de l’université. Dans un rapport de 2009 pour l’Observatoire de la vie étudiante, plusieurs chercheurs font le lien entre le type d’études et l’implication militante. Les facs de lettres, de sciences humaines, sociales et politiques sont surreprésentées dans les blocages.
A contrario, le "répertoire d’actions" du droit et de la médecine est moins porté sur la mobilisation coup de poing. Qu’en est-il dans la capitale bretonne ? À Rennes 2, on retrouve une majorité des matières évoquées dans le premier cas. À Rennes 1, où étudie Imogène, on est plutôt dans le second. CQFD.
Enfin, pour l’universitaire Robi Morder, la localisation compte beaucoup. La fac est-elle excentrée ? Peut-on y accéder facilement ? Comment est-elle construite ? C’est le cas du centre Pierre-Mendès-France, surnommé « Tolbiac ». Cette annexe de l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne n’est en effet pas des plus difficiles à bloquer. Et pour cause, c’est une simple tour.
La réponse de l’administration
Mais même dans ces conditions, un blocus n’est jamais sûr d’aboutir. Certains militants aguerris en sont bien conscients. C’est le cas de Malou Duhamel, sympathisant de La France insoumise (LFI) et membre de l’Union pirate, syndicat majoritaire à Rennes 2. « C’est un outil très intéressant mais à utiliser par à coup. Quand ça dure longtemps, c’est beaucoup plus dur à manier, le mouvement risque le repli sur soi, ça peut mourir à petit feu. »
Alors que l’étudiant en histoire s’apprêtait à bloquer à nouveau Rennes 2 après un vote en AG mi-février, la direction de l’établissement en a décidé autrement, mettant en place une fermeture administrative de dernière minute. Résultat ? Une absence de lieu pour débattre, parler stratégie, partager ses idées. Du côté de l’administration, même si l’on est pas forcément en désaccord avec l’objet de la mobilisation, cela permet de se protéger, de contenir d’éventuels débordements et d’assurer la sécurité des usagers.
L’université fait parfois appel aux forces de l’ordre, comme lors du blocage de Lille-Moulins, début février. « La responsabilité juridique fait très peur », avance Robi Morder. Cela dépend aussi du profil du président : plutôt technocrate ou plutôt doté d’une bonne expérience syndicale et des mouvements sociaux ? Cela change le rapport de force avec les étudiants.
Lire aussi > Répertoire d'action collective. Pourquoi des militants écologistes s’en prennent à des œuvres d’art ?