Si les girafes ont un long cou, c’est que par le hasard des mutations génétiques se produisant lors de la reproduction, certains de leurs ancêtres sont nés avec un cou un peu plus long que la moyenne. Ces individus avaient un avantage sur leurs congénères : celui d’accéder plus facilement à la nourriture située en hauteur.
Mieux nourris, ils eurent plus de petits que les autres, ce qui fait que les gènes produisant des individus à cou long devinrent peu à peu la norme au sein de la population. Ce processus de sélection se répétant à chaque génération, la longueur moyenne du cou des girafes a augmenté au fil du temps.
Cela, nous le savons tous depuis que nous avons étudié la théorie de l’évolution à l’école. Ce que nous savons moins, c’est que les propriétés cognitives de chaque espèce – la manière dont le cerveau des individus détecte et traite les informations de leur environnement – ont, elles aussi, été sélectionnées de la sorte.
À lire L’échec de la mémétique, faux darwinisme des idées
Pour les tenants de la psychologie évolutionniste, aussi dite « évopsy », l’évolution a structuré l’esprit humain en un ensemble de « modules cognitifs ». Chacun de ces modules est spécialisé dans la détection et le traitement d’un type particulier d’informations.
Il existe, par exemple, un module dédié à la détection des visages humains dans notre environnement visuel et un autre spécialisé dans la celle des araignées et des serpents. Ces modules déclenchent des réponses en fonction des informations collectées. Ainsi, la vue d’un serpent à proximité déclenche automatiquement un sentiment de peur et la volonté de s’en éloigner.
Source cognitive du maquillage
Les partisans de l’évopsy soutiennent qu’il est nécessaire de tenir compte de cette architecture naturelle de notre esprit pour expliquer de nombreux phénomènes socioculturels. Par exemple, le maquillage du visage est une pratique que l’on retrouve dans quantité de groupes humains.
Si cette pratique connaît une telle diffusion, ce serait parce qu’elle exploite notre module cognitif de détection des visages. En effet, le maquillage consiste souvent à souligner les traits caractéristiques des visages.
Ceux qui sont maquillés captent donc encore plus notre attention que ceux qui ne le sont pas : ils constituent des super-stimuli pour le module chargé de les détecter. Le maquillage du visage est ainsi une pratique marquante pour tous les membres de notre espèce.
On comprend donc qu’elle soit apparue et ait perduré dans de très nombreuses sociétés. Autrement dit, le module de détection des visages dont est naturellement équipé notre système cognitif expliquerait directement l’origine et le succès transculturel rencontré par cette pratique.
Dangers de la simplification
L’évopsy prétend pouvoir expliquer de la sorte une grande variété de phénomènes sociaux et culturels : l’existence des comportements altruistes, les propriétés communes des divinités dans des cultures pourtant très différentes, l’évitement des relations sexuelles entre membres d’une même famille, etc. L’évopsy étant une approche relativement récente, il lui revient de faire la preuve de la pertinence des explications qu’elle apporte à ces phénomènes.
Ce que l’on peut déjà dire, c’est qu’il serait faux d’imaginer qu’elle pourrait remplacer la sociologie ou l’anthropologie. En effet, l’évopsy cherche à expliquer quantité de phénomènes sociaux complexes en les réduisant à la manifestation d’un petit nombre de mécanismes cognitifs naturels. Or, des aspects importants des phénomènes étudiés passent souvent à la trappe, du fait de cette simplification.
Par exemple, lorsque l’on explique le succès de la pratique du maquillage par l’existence d’un module cognitif de détection des visages, on ne rend pas compte des différentes significations que cette pratique peut avoir pour les individus en fonction des époques ou des sociétés.
Il s’agit pourtant là d’un aspect du phénomène au moins aussi intéressant que celui de son origine ou de son succès.
Plutôt que d’opposer l’évopsy à la sociologie, comme c’est le cas dans les polémiques actuelles suscitées par cette nouvelle approche, peut-être gagnerait-on à considérer qu’il s’agit là de disciplines complémentaires pour mieux comprendre le social.