Après la pandémie de Covid-19 et l’invasion russe de l’Ukraine, l’inflation s’accélère à un rythme inconnu depuis le début des années 1980. Ce rebond inflationniste trouve son origine dans l’envolée des cours des matières premières.
Cette situation n’est pas nouvelle, pour partie comparable à ce que les pays développés ont connu au début des années 1970, avec le premier choc pétrolier.
De multiples crises
Longtemps, les cours ont suivi la loi de l’offre et de la demande : en cas de mauvaise récolte, les prix augmentaient brutalement. Conformément à la loi de King, la variation des prix était plus que proportionnelle à celle des quantités produites.
À lire aussi > Explosion du prix du blé : ce que la loi de King nous apprend
Les conséquences étaient dévastatrices. La pénurie alimentaire drainait toutes les ressources monétaires vers l’achat des denrées de subsistance, ce qui ruinait l’investissement, l’économie, puis réduisait les plus pauvres à la famine. Ce fut le cas à la veille de la Révolution française ou encore en Russie, en 1917.
Avec les progrès de l’agriculture, les crises changèrent de nature. À la fin du XIXe siècle, les très bonnes récoltes et l’entrée de nouveaux pays sur les marchés mondiaux provoquèrent l’effondrement des prix des céréales. Cette fois, l’existence même des producteurs était menacée.
Coloniser pour contrôler les matières premières
Avec le développement de l’industrie, des phénomènes comparables affectèrent les prix des produits de base : cours de la laine, du coton, des métaux et des produits énergétiques se révélèrent souvent volatils. Les grandes puissances résolurent alors la question en prenant le contrôle des régions productrices des matières premières.
À lire aussi > Ukraine : le blé, une arme diplomatique pour la Russie
C’est une des grandes explications de la dernière vague de colonisation au XIXe siècle. Les pays industrialisés recherchaient à la fois l’abondance et les prix bas. C’est ainsi que se dessina la Division internationale du travail : les pays développés produisaient les biens manufacturés et les colonies les produits bruts nécessaires.
Après la Seconde Guerre mondiale, la décolonisation posa la question des ressources nécessaires au financement des stratégies de développement. La question du cours des matières premières devint donc essentielle. Il fallait qu’ils soient assez élevés pour permettre le développement des producteurs sans pour autant entraver celui des importateurs..
Commerce équitable ?
Dans les années 1960, de nombreuses tentatives furent conduites pour stabiliser les cours et les recettes des producteurs. Ce fut l’un des objectifs de la quatrième Cnuced de Nairobi, en 1976.
À lire aussi > Commerce équitable : le défi de la conso' de masse
Elle voulait promouvoir un commerce équitable aux Pays en développement en assurant la stabilité des recettes à l’exportation. Dans ce cadre, la CEE fut pionnière, avec la conclusion des conventions de Lomé, qui aboutirent à la mise en place du Stabex (1975) et du Sysmin (1976), des compensations financières pour stabiliser les recettes à l’exportation des pays ACP (Afrique, Caraïbe, Pacifique). Dans la même optique, afin de garantir leurs revenus, les pays producteurs de pétrole avaient créé l’OPEP, en 1960.
Ce cartel de pays producteurs finit par contrôler l’essentiel de la production et put ainsi augmenter les prix : ce fut le cas en 1973 et cela aboutit au premier choc pétrolier.
Le grain, nouvel actif financier
Les dernières décennies montrent que la stabilisation des cours est illusoire. En 1986, le contre-choc pétrolier fut sévère. La volatilité des cours s’accentua à partir des années 1990. Les marchés des matières premières sont en effet spécifiques : quand les cours sont élevés, cela suscite des vocations.
La production augmentant plus vite que la demande, les prix baissent. Or quand les prix baissent, les producteurs n’investissent plus, ce qui finit par entraîner la baisse de la production et la remontée les cours.
C’est pour contrer ces mouvements que sont nés, à la fin du XIXe siècle, les premiers marchés à terme qui garantissent les prix des produits que l’on souhaite acheter ou vendre à une date ultérieure donnée : le vendeur sait ce qu’il gagnera et l’acheteur ce qu’il paiera. Très vite, cela a engendré de la spéculation.
À lire aussi > Guerre en Ukraine : l’alimentation, une arme géopolitique de soft power
L'arrivée de nouveaux spéculateurs
Au lieu d’échanger des produits physiques, les acteurs du marché s’échangent de plus en plus des droits de vendre ou d’acheter. Les marchés OTC (Over-The-Counter) se sont considérablement développés avec la dérèglementation financière. Les « investisseurs » (hedge funds, compagnies d’assurance, banques ou fonds dédiés aux matières premières) n’ont aucune intention d’entrer en contact physique avec les matières premières : ils voient en elles des sources éventuelles de profit.
Alors que les spéculateurs « à l’ancienne » faisaient monter les prix en stockant, ces nouveaux spéculateurs se contentent d’accumuler et d’arbitrer sur des contrats à terme : les prix des matières premières « papier » finissent par déterminer ceux des produits physiques.
La perspective de la reprise post-Covid a fait anticiper une remontée des prix, ce qui a conduit les acteurs à acheter des contrats sur le pétrole, le cuivre, le blé ou encore sur les terres rares, dont l’électronique est une grosse consommatrice. Comme de plus, la guerre en Ukraine a raréfié les disponibilités (blé, oléagineux, pétrole), toute régulation des prix semble inaccessible.
À lire aussi > La Russie, de pays importateur à superpuissance mondiale exportatrice du blé
Un article à retrouve dans notre magazine, disponible par ici.