La valeur du multiplicateur est calculée en effectuant le ratio entre l’activité économique générée et les dépenses publiques engagées. Pour que l’intervention de l’État soit efficace, il faut donc que le ratio soit supérieur à un. S’il est inférieur à un, l’État génère moins de revenus qu’il a dépensés initialement. Deux variables viennent limiter la valeur du multiplicateur : l’épargne et les importations.
Le multiplicateur keynésien dans l’Histoire
L’épisode keynésien des Trente Glorieuses (1945-73) définit très bien le mécanisme du multiplicateur. Après la Seconde Guerre mondiale, l’économie des pays occidentaux est au plus bas. L’État intervient massivement avec de nombreux plans d’investissements publics, créant des emplois, stimulant la croissance, ce qui donne de nouvelles recettes pour l’État in fine.
Le taux de croissance annuel sur cette période atteint quasiment 6 %. Le taux de chômage en France ne dépasse pas 2 %, ce qui correspond à une situation de plein-emploi.
Les chocs pétroliers des années 70 viennent mettre un terme aux Trente Glorieuses. Le prix du pétrole vient augmenter les coûts de production, ce qui impacte la croissance et l’activité économique.
Pour faire face au défi de la stagflation contre laquelle les politiques keynésiennes n’arrivent pas à trouver de réponse, un tournant économique se dessine et prend la direction d’un système néolibéral, qui met au cœur de son projet la lutte contre l’inflation et des prix bas pour le consommateur.
La clé c’est la consommation… locale !
Le facteur qui explique une valeur plus ou moins élevée du multiplicateur est la propension à consommer. La propension à consommer est la part du revenu disponible accordé à la consommation. Par exemple, si mon revenu disponible est égal à 100 euros et que je consomme 90 euros, ma propension à consommer représente 90 %. Le reste de mon revenu est épargné (ici ma propension à épargner est de 10 %).
Une politique de relance budgétaire sera limitée si l’argent injecté se transforme en un surplus d’épargne. La clé pour avoir une valeur du multiplicateur élevée est donc la consommation finale des ménages ainsi que l’investissement des entreprises.
Un deuxième facteur est très important : la propension à importer. La propension à importer représente la part des importations dans le PIB. Si mon PIB est égal à 100 euros et que j’importe 30 euros de marchandises, ma propension à consommer est égale à 30 %.
La valeur du multiplicateur sera aussi peu significative si la consommation permise par la relance est destinée aux importations. Ces achats de marchandises provenant de pays tiers vont financer des entreprises étrangères, qui ne paient pas d’impôts en France, qui ne font pas travailler des citoyens de l’hexagone ce qui n’aura pas ou peu d’impact sur l’activité économique territoriale.
Pour maximiser la valeur du multiplicateur, il est nécessaire de consommer des produits locaux, produits en France. Le rôle de la réindustrialisation et de la commande publique sont de bons leviers pour une bonne allocation des dépenses publiques.
Le consensus autour de la valeur du multiplicateur n’existe pas, même au sein de ses fervents supporters.
Le multiplicateur sauve des récessions
Il existe cependant un point d’accord chez les économistes : la valeur du multiplicateur est plus élevée en période de récession qu’en période de forte activité économique.
Dans un article paru en 2014, Daniel Riera-Crichton, chercheur en économie à la Banque Mondiale, montre que le multiplicateur est d’autant plus fort que le ralentissement de l’activité est important. La valeur du multiplicateur peut atteindre 3,2 en période de récessions importantes selon les calculs de l’économiste. Concrètement un euro public dépensé peut se convertir en 3,2 euros d’activité économique supplémentaire en période de récession.
C’est notamment cette idée qui a justifié les politiques de “quoi qu’il en coûte”, de soutien massif à l’économie, dans de nombreux pays du monde après l’arrêt économique dû à la pandémie.
Il est important de rappeler que le multiplicateur s’applique même en cas de coupes des dépenses publiques. En période de contraction de l’activité économique, si l’État décide de restreindre différents services publics, ou augmente les impôts, l’effet sera dévastateur. Un euro public en moins dépensé peut se traduire en 3,2 euros de perte d’activité.
Dans ces moments de disette, il faut soutenir l’activité en effectuant une politique contracyclique. Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI (période 2008-2015), avoue par exemple avoir sous-estimé la valeur du multiplicateur pour le cas de la crise grecque en 2010.
Politique contracyclique
Relatif à une politique budgétaire qui se déroule en s’opposant aux cycles de croissance. Une politique contracyclique se donne donc pour objectif de relancer une économie au moment où celle-ci est au ralenti. On peut également procéder à une politique contracyclique pour freiner l’économie qui est en surchauffe.
Crise de la dette publique grecque
La dette publique grecque atteint en 2010 près de 170 % de son PIB, ce qui est jugé insoutenable par La Commission Européenne et le FMI. Ces institutions décident d’aider le pays en lui attribuant des prêts à taux d’intérêt élevés, et en leur préconisant des politiques d’austérité.
Pour équilibrer le budget de l’État grec, le FMI préconise une augmentation d’impôts et une baisse drastique des dépenses publiques (secteur santé, éducation, divers services publics).
Les conséquences de ces politiques sont destructrices. Le chômage des moins de 25 ans explose. Entre 2009 et 2013, il augmente de 25 points, passant de 35 % à 60 %. Le secteur de la santé fait face à des coupes d’environ 4,5 milliards ce qui réduit sa part dans le PIB d’environ 1 point (environ 10 % du PIB en 2009 à 9 % en 2012).
Le revenu annuel par tête passe connaît une chute vertigineuse, passant de 29 000 dollars en 2009 à 21 000 dollars en 2013. Cette perte de pouvoir d’achat se traduit par une baisse de la consommation des ménages qui se traduit par une baisse de l’activité.
La dette publique ne diminue pas et devient plus élevée après l’instauration des politiques d’austérité. La dette grecque représente 175 % de son PIB en 2013 contre 140 % en 2010.
Cet épisode représente assez bien la forte valeur du multiplicateur en période de récession. Un euro de dépense publique en moins provoque une chute de l’activité et de la consommation, qui est proportionnellement plus élevée. .
Le choc de la crise grecque a pointé du doigt les erreurs effectuées par les différentes institutions internationales.
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Un multiplicateur pour multiplier les voix
Le multiplicateur peut être un outil qui légitime le discours favorable au levier d’une hausse des dépenses publiques pour dynamiser l’activité. La NUPES présente dans son programme économique pour les élections législatives de 2022 cette notion de cercle vertueux du multiplicateur keynésien.

Dans cette infographie, la Nouvelle Union Populaire met en avant de nombreuses dépenses publiques, avec notamment des investissements dans la transition écologique, l’augmentation de services publics, ou encore l’augmentation du salaire des fonctionnaires.
La NUPES chiffre un gain de recettes supérieur aux dépenses initiales de l’État (267 milliards de recettes contre 250 milliards en dépenses). Ses partisans misent sur “la révolution fiscale” qui vise entre autres à aller chercher l’argent dissimulé dans les niches fiscales, paradis fiscaux et autres diverses fraudes contournant l’impôt.
Cependant, si nous reprenons les deux canaux de “fuite” que sont les importations et l’épargne, la valeur du multiplicateur peut être limitée, voire néfaste pour la santé économique du pays.
En 2021, en France, la balance commerciale française est déficitaire de 84 milliards d’euros. Cela veut donc dire que nous importons plus de biens que nous en exportons, une tendance qui s’aggrave depuis 20 ans.

Balance commerciale en biens
La balance commerciale est la différence entre les exportations et les importations de biens dans une économie sur une période donnée, généralement, l’année. On parle aussi de solde commercial.
Une politique budgétaire expansionniste, si les produits nationaux ne sont pas compétitifs, pourrait donc conduire les ménages à consommer encore davantage de biens venus de l’étranger, aggravant d’autant plus le problème du déficit commercial.
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C’est notamment ce qui s’est passé lors du plan Mauroy en 1981. La politique d’influence keynésienne a aggravé la balance commerciale car la population a massivement acheté des produits étrangers avec l’argent public dépensé (exemple des TV Japonaises).
La politique du “quoi qu’il en coûte" mis en place lors de la pandémie de la Covid-19 a mené à une épargne colossale de la part des ménages. Dans la seule année 2021, l’épargne des Français a atteint 187 milliards d’euros selon les Échos. À titre de comparaison, sur l’année 2020 représente 115 milliards d’euros (hausse de 60 %).