Pensez un instant aux personnes qui composent votre groupe d’amis. Représentez-vous leur style vestimentaire, leur manière de parler, leurs idées politiques, le genre de musique qu’elles écoutent, ce qu’elles aiment ou n’aiment pas faire, mais aussi, le type de milieu social auquel elles appartiennent.
Ne trouvez-vous pas qu’elles se ressemblent toutes passablement sur ces différents aspects, et qu’elles vous ressemblent également ? Il est probable que c’est le cas.
Les sociologues ont constaté de longue date que nous avons tendance à apprécier davantage les personnes qui nous ressemblent socialement par rapport à celles qui nous sont très différentes – un phénomène qualifié d’homophilie1.
Sachant que les goûts, les préférences, les attitudes et les comportements des individus varient dans une certaine mesure d’un milieu social à l’autre, il n’est pas surprenant d’observer que les bandes d’amis sont souvent composées de personnes qui proviennent d’un même groupe social (à savoir, l’ensemble des individus qui possèdent, entre autres, un niveau de formation et de revenu comparables et qui occupent le même genre de professions).
De la similarité sociale à la similarité comportementale
La préférence des individus pour les membres de leur propre groupe a été très étudiée en psychologie. Les chercheurs ont découvert que cette préférence se manifeste même si le groupe en question est artificiel et éphémère.
Des psychologues ont conduit des expériences au cours desquelles ils ont réparti au hasard les participants dans deux groupes parfaitement arbitraires – par exemple, le « groupe des rouges » et le « groupe des bleus ».
Les participants, qui ne s’étaient jamais rencontrés auparavant, étaient ensuite soumis à divers tests dans le but de comparer la façon dont ils percevaient les membres de leur propre groupe et ceux de l’autre groupe.
Il ressort que la formation de groupes pourtant artificiels, arbitraires et éphémères suffit la plupart du temps à susciter chez les individus testés une préférence pour les membres de leur propre petit groupe de laboratoire2.
En effet, les participants ont tendance à évaluer ces inconnus plus favorablement que les inconnus de l’autre groupe. Il s’agit d’un résultat qui s’observe y compris lorsque l’on teste des enfants âgés de 3 ou 4 ans seulement.
En couple avec des personnes aux mêmes traits
Il a également été montré que les individus ne font pas seulement preuve de préférence pour des personnes qui leur ressemblent socialement (fût-ce pour le temps d’une expérience), mais que d’autres critères de similarité ont le même effet.
Des chercheurs ont ainsi constaté que les gens préfèrent – et se mettent plus facilement en couple avec – des personnes qui leur ressemblent physiquement, à savoir, celles dont les traits faciaux sont comparables aux leurs3.
La similarité comportementale suscite aussi de la préférence. Cela a été établi dans des expériences où il est demandé à deux participants d’effectuer ensemble une petite tâche, qui consiste par exemple à classer des images.
En réalité, l’un des participants est un complice des chercheurs qui a pour mission d’imiter les mouvements et les attitudes du vrai participant. Il doit le faire de façon suffisamment subtile et discrète pour que ce dernier ne le remarque pas consciemment.
Avec d’autres participants, le complice se contente de réaliser normalement la tâche commune, sans les imiter. À la fin de l’expérience, il est demandé aux participants d’évaluer la personne avec laquelle ils ont eu à effectuer la tâche en question (ils ne savent toujours pas qu’il s’agit d’un complice des chercheurs).
Les évaluations du complice faites par les participants qu’il a imités sont globalement plus positives que celles des participants qu’il n’a pas imités : les premiers le trouvent en moyenne plus agréable et sympathique que les seconds4.
Attention au conformisme ! Le fait que nous préférons les personnes qui nous ressemblent n’est pas sans conséquences. En effet, notre homophilie nous pousse à nous entourer de gens qui nous sont semblables à bien des égards.
Afin de ne pas risquer de leur déplaire, nous évitons nous-même de dépareiller trop visiblement du groupe. Il peut nous arriver, par exemple, d’endosser publiquement une opinion contraire à ce que nous pensons réellement, uniquement parce qu’elle est celle de la majorité des amis de notre groupe.
Un tel conformisme social constitue un efficace mécanisme d’intégration, que nous commençons d’ailleurs à utiliser très tôt dans notre vie. Des chercheurs ont en effet établi qu’il arrive aux enfants âgés de 5 ans seulement de se conformer socialement de la sorte5.
Avec des collègues psychologues, nous avons conduit des expériences montrant que les enfants de cet âge comprennent qu’en agissant ainsi, ils augmentent leurs chances d’être acceptés au sein d’un groupe social6.
Le danger associé à cette tendance à préférer la similarité ? Nous fermer la possibilité de nous confronter à la différence. Or, l’expérience de l’altérité est non seulement enrichissante, mais elle nous pousse également à remettre en question certaines évidences partagées au sein de nos groupes d’amis. N’hésitons donc pas à en sortir, au moins de temps en temps !
Pour aller plus loin
1. McPherson, M., Smith-Lovin, L., & Cook, J. M. (2001), “Birds of a feather: Homophily in social networks”. Annual Review of Sociology, 27(1).
2. P. ex.: Otten, S., & Wentura, D. (1999). “About the impact of automaticity in the Minimal Group Paradigm: Evidence from affective priming tasks”, European Journal of Social Psychology, 29(8) ; Richter, N., Over, H., & Dunham, Y. (2016). “The Effects of Minimal Group Membership on Young Preschoolers’ Social Preferences, Estimates of Similarity, and Behavioral Attribution”, Collabra, 2(1).
3. Abel, E. L., & Kruger, M. L. (2011). “Facial Resemblances between Heterosexual, Gay, and Lesbian Couples”, Psychological reports, 108(3).
4. Chartrand, T. L., & Van Baaren, R. (2009). Human mimicry. Advances in experimental social psychology, 41.
5. Haun, D. B., & Tomasello, M. (2011). “Conformity to peer pressure in preschool children”, Child Development, 82(6). 6. Cordonier, L., Nettles, T., & Rochat, P. (2018). “Strong and strategic conformity understanding by 3‐and 5‐year‐old children”, British Journal of Developmental Psychology, 36(3).