L’important est ailleurs, dans des valeurs authentiques. Selon Platon, l’âme est supérieure au corps périssable, elle doit donc prendre ses distances : le véritable but de l’homme est dans l’au-delà, sa vie économique doit donc être organisée en vue de cette vie idéale future.
Il considère que le salut des âmes immortelles passe d’une part par la communauté des biens, car l’homme libéré progresse jusqu’à l’Idée et jusqu’au Bien, d’autre part par la cité, supposée parfaitement juste, car chacun y reçoit selon ses aptitudes et ses mérites.
L’enrichissement illimité condamné dans l’Antiquité
En revanche, Aristote est hostile à la communauté des biens. Pour lui, la propriété privée est meilleure en raison du soin apporté à ce que l’on possède. Toutefois, il est nécessaire que l’État possède des terres pour couvrir les dépenses afférentes au culte des dieux et aux fonctions publiques (la guerre, par exemple).
Quant à l’homme, il est doué de raison, il conçoit le bien et le mal, le juste et l’injuste. Sa quête du bonheur, son but, se réalisent par l’activité de sa pensée, mais ils exigent aussi la satisfaction de ses besoins matériels. Il confie aux esclaves l’activité productive (agriculture, élevage…) soumise à la nature, car ce qui est naturel, c’est la recherche du bien vivre sur terre.
En revanche, le commerce, le prêt à intérêt ou la vente de son travail contre de l’argent sont considérés comme contraires à la nature et chrématistiques, c’est-à-dire visant le seul enrichissement illimité, et donc condamnables, attendu qu’une vie vertueuse est une vie de mesure.
Malgré tout, la monnaie est importante, elle découle de la spécialisation du travail et sert de mesure commune et utile dans les échanges librement consentis, au juste prix.
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Cette pensée de l’Antiquité engendre une culture, des traditions et des autorités politiques qui sont les seules organisatrices de la survie socio-économique des communautés. Elles sont étudiées par les philosophes ou les historiens, mais nul besoin d’économistes. Toutefois, elles portent les germes de ce qui deviendra, plusieurs siècles plus tard, la science économique.
Ordre social, moral et religieux
Elles nourrissent d’abord la pensée scolastique du Moyen-Âge, époque où seuls les religieux ont le temps de l’étude théologique et la capacité d’exprimer une doctrine socio-économique. Là encore, il s’agit d’une dimension parmi les autres, l’ordre économique étant encastré1 dans le social, la morale et le religieux.
L’homme médiéval, qu’il soit serf à la campagne attaché à la terre du seigneur ou marchand ambulant, est avant tout une créature de Dieu qui espère un bonheur éternel dans l’au-delà et considère le monde temporel comme un univers d’épreuves et de malheur, un préambule à la vie éternelle. Aussi les notions de profit, de travail ou d’investissement lui sont-elles étrangères.
Les hommes sont unis par les traditions religieuses et leurs seigneurs et roi sont essentiellement occupés à la poursuite de leurs intérêts que sont la puissance, la levée des impôts et l’extension du territoire. Quant à l’Église, pour laquelle seul le salut des âmes importe, elle condamne la cité terrestre, les échanges et le prêt à intérêt. Aucun encouragement au développement économique ou à l’esprit d’entreprendre n’est possible.
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C’est la redécouverte, à la fin du XIIe siècle, d’Aristote et de sa bonne vie, qui va contribuer à un renouveau intellectuel et économique. Pour le dominicain saint Thomas d’Aquin, le travail est réhabilité, c’est une activité naturelle de l’homme libre, tout comme la propriété privée est de droit naturel.
Mais si l’objectif des hommes est de vivre mieux tout en contribuant au bien commun, l’acquisition de richesses ne peut être une fin en soi et nul ne doit s’enrichir aux dépens des autres. Un juste prix doit s’établir, apprécié par l’estimation commune, afin d’éviter toute injustice envers l’acheteur comme envers le vendeur qui doit pouvoir entièrement couvrir ses coûts.
Quant à l’argent, c’est un moyen d’échange et de mesure de la valeur, il n’a pas d’utilité en soi. Le prêt à intérêt, l’usure, est donc un péché, sauf s’il s’agit de se prémunir d’une perte. L’économie est encore soumise à des jugements moraux, en lien avec les intentions des hommes, mais si celles-ci sont bonnes, cela peut la légitimer. Toutefois, elle n’est pas encore un espace autonome.
Individus libres et rationnels
Il faut attendre les XVe et XVIe siècles, la Renaissance et la laïcisation des esprits pour que se développe une première ébauche de réflexion économique, en dehors de l’Église et favorable à la richesse comme but de la vie sociale. Les activités commerciales, les connaissances, la Réforme, le désir de bien-être… tout pousse en ce sens.
Et la paix sociale l’exige. Pour les mercantilistes, la richesse provient de l’accumulation de métaux précieux monétisés grâce aux surplus commerciaux, avec l’appui d’un État fort et protectionniste. Ils élaborent quelques lois économiques, telle la théorie quantitative de la monnaie de Jean Bodin, toujours d’actualité, pour expliquer l’inflation.
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Puis les physiocrates mettent l’accent sur l’agriculture, seule activité productive à leurs yeux. En 1758, François Quesnay montre, dans son Tableau économique, les flux de revenus et les interdépendances entre les classes sociales, fournissant ainsi à l’État les moyens d’une meilleure politique économique.
Mais c’est au XVIIIe siècle, celui des Lumières, qu’apparaît une première école de pensée systématique en économie, car une nouvelle façon d’assurer la survie et la prospérité de la société émerge : laisser les individus libres et rationnels d’agir au mieux de leurs intérêts.
Adam Smith, père fondateur de la pensée économique, explique les rôles de la liberté individuelle et des règles du marché comme moyens efficaces de réaliser les objectifs socio-économiques de la société, et comme conditions du progrès. L’économie est née !