Pourquoi lui ?
Romain Huët est un spécialiste des mouvements sociaux, des outils de mobilisation tels que la manifestation. Il étudie la résilience de notre société face à des problèmes comme l’injustice sociale. Cet universitaire se concentre notamment sur nos émotions collectives et notre manière de les communiquer au monde.
Pour L’Éco. Rentrons dans le vif du sujet. La manifestation traditionnelle est-elle dépassée ?
Romain Huët. Je pense en effet qu’il y a une certaine forme d’impuissance dans les marches syndicales classiques, très ritualisées, comme celles que l’on observe contre la réforme des retraites. Elles ne coïncident pas avec les aspirations des gens qui sortent dans la rue. Il y a certes une joie de se retrouver, de renouer avec la solidarité, une colère même, mais surtout de très fortes attentes en termes de transformation du monde.
Il faudrait être plus inventif pour gêner le pouvoir, pour que les revendications soient prises en compte. Ce n’est pas étonnant que le cortège de tête que l’on retrouve en début de manifestation ait autant de succès. On y refuse d’être assigné à un groupe syndical, à une organisation quelconque. C’est un lieu de visibilité, festif, qui prend des initiatives et sort du champ balisé par les préfectures. C’est là où il se passe quelque chose, une intensité affective très forte s’en dégage.
Pourquoi lui ?
Romain Huët est un spécialiste des mouvements sociaux, des outils de mobilisation tels que la manifestation. Il étudie la résilience de notre société face à des problèmes comme l’injustice sociale. Cet universitaire se concentre notamment sur nos émotions collectives et notre manière de les communiquer au monde.
Pour L’Éco. Rentrons dans le vif du sujet. La manifestation traditionnelle est-elle dépassée ?
Romain Huët. Je pense en effet qu’il y a une certaine forme d’impuissance dans les marches syndicales classiques, très ritualisées, comme celles que l’on observe contre la réforme des retraites. Elles ne coïncident pas avec les aspirations des gens qui sortent dans la rue. Il y a certes une joie de se retrouver, de renouer avec la solidarité, une colère même, mais surtout de très fortes attentes en termes de transformation du monde.
Il faudrait être plus inventif pour gêner le pouvoir, pour que les revendications soient prises en compte. Ce n’est pas étonnant que le cortège de tête que l’on retrouve en début de manifestation ait autant de succès. On y refuse d’être assigné à un groupe syndical, à une organisation quelconque. C’est un lieu de visibilité, festif, qui prend des initiatives et sort du champ balisé par les préfectures. C’est là où il se passe quelque chose, une intensité affective très forte s’en dégage.
Quels seraient donc les désavantages de ce type de mobilisation ?
Quand un cortège de manif s’élance, il est en quelque sorte déjà déçu. Marcher devient un acte uniquement symbolique car il s’agit, pour l’essentiel, de compter les participants. Les slogans, chants et danses qui l’accompagnent deviennent une routine. De tels symboles sont-ils encore efficaces en 2023 ?
Avec la mobilisation actuelle, on en revient finalement aux répertoires classiques de la négociation, à quelque chose de très diplomatique. Je ne sais pas s’il y a encore grand monde pour attendre quelque chose des syndicats. Ceux-ci retrouvent certes aujourd’hui une place importante dans le jeu politique, mais ils agissent dans les mêmes termes qu’avant. Aujourd’hui, les problèmes sociaux n’ont pas de véritables conséquences politiques.
De jeunes militants ont jeté de la peinture sur des œuvres d’art pour alerter sur l’urgence climatique. C’est ça la nouvelle manif ?
C’est vrai, les répertoires d’action classiques me semblent plutôt impuissants. Le pouvoir politique ne prête pas attention aux manifestations et continue à vouloir faire de la pédagogie, alors même que des millions de personnes sont dans la rue. C’est un exemple criant d’absence de communication entre le pouvoir et les citoyens.
Répertoire d’action collective
Ensemble des modes d’intervention auxquels un groupe peut avoir recours pour faire entendre sa voix. C’est un concept que l’on doit au sociologue Charles Tilly, Charles Tilly qui le définit comme « une série limitée de routines qui sont apprises, partagées et exécutées à travers un processus de choix relativement délibéré ».
Cette déconnexion est porteuse de menaces concrètes pour notre démocratie. Car de nouvelles formes d’actions sont en train d’émerger, le but étant de gagner en visibilité et en reconnaissance. Les jets de peinture représentent aussi un rapport très tactile au monde, au politique, qui n’a pas grand-chose à voir avec une négociation, une pétition ou un cahier de doléances.
Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, estimait mi-février que le gouvernement était plus rapide à répondre à des revendications quand elles sont accompagnées de violence, en référence aux Gilets jaunes. Qu’en pensez-vous ?
Je ne sais pas s’il y a une prime à la violence et si le gouvernement a véritablement écouté les Gilets jaunes et effectué des transformations suite à leurs revendications. Je crois surtout que la possibilité de la violence naît de l’incommunication. C’est-à-dire du sentiment qu’une plainte n’est pas entendue, qu’elle n’aboutira à aucun changement.
Quand deux camps campent sur leurs convictions, il est nécessaire de trouver des modalités pour mettre en fragilité l’adversaire, ici le gouvernement. Comment procéder ? La séquence de blocage à venir [N.D.L.R. : la grève générale organisée le 7 mars] montre la volonté d’obliger celui-ci à entendre la contestation. Bien sûr, ça peut passer par différentes stratégies d’occupation, pour produire véritablement de la gêne pour le pouvoir. C’est le propre de la grève et de tout mouvement social.
Dans vos travaux, vous parlez souvent de fatigue, voire d’épuisement démocratique.
D’abord, je crois que cet épuisement est généralisé et ne touche pas une catégorie sociale en particulier. Cela peut se manifester par une certaine lassitude morale, une difficulté à trouver du sens dans les gestes les plus ordinaires. Il y a une perte de confiance dans le monde tel qu’il est, notamment en ce qui concerne l’avenir. De plus en plus de gens croient qu’il n’y a plus grand-chose à en attendre.
Pourtant, y croire est nécessaire pour faire de la politique et pour prendre en considération ce que l’avenir nous réserve. Cette situation peut amener à une certaine résignation vis-à-vis du futur même si certaines personnes refusent de s’en éloigner complètement. L’activisme environnemental peut être une réponse à ce doute. Les gens y retrouvent un rapport très physique au monde, comme lorsque des militants s’enchaînent à un pont pour alerter sur la crise climatique.
Dans le programme de SES
Terminale. « Comment expliquer l’engagement politique dans les sociétés démocratiques ? »