Economie
SeaFrance : la liaison maritime de la SNCF victime de l'Eurostar
L’une des dernières compagnies transmanche battant pavillon français a disparu. La reprise par les salariés a échoué. Récit d’un engrenage.
David Ngonga, professeur de gestion à EBS Business school
© Getty Images
1937 : la SNCF, qui vient de naître, reprend la flotte de la ligne maritime Dieppe-Newhaven et celle la compagnie ferroviaire qui assure le franchissement du Pas-de-Calais. 1969 : la SNCF et British Railways fusionnent pour former Sealink. Ce partenariat va échouer et en 1996 naît SeaFrance, filiale à 100 % de la SNCF.
Mais en 1994, la mise en service du tunnel sous la Manche a bouleversé l’ensemble du trafic transmanche, ce qui entraîne une concentration des lignes maritimes à proximité du lien fixe, c’est-à-dire à Calais. Les compagnies se livrent une guerre tarifaire sans merci.
Face à SeaFrance, deux opérateurs de grande taille, P & O et Stena, qui fusionnent en 1998 pour donner naissance à P & O Stena Line. En face, SeaFrance ne peut aligner qu’une capacité de transport relativement faible.
Pour équilibrer les pertes financières consécutives à la guerre des prix, les compagnies décident de miser sur les ventes de produits « hors taxe » à bord.
Hélas, cinq ans après l’ouverture du tunnel, les compagnies de ferries prennent un autre coup sur la tête : l’interdiction de ces ventes, décidée par Bruxelles en juillet 1999.
Pour ne pas sombrer, la compagnie développe son offre touristique, renforce son activité fret et cherche à améliorer son service. Mais sur un marché en innovation constante où règne une vive concurrence, sa position est intenable.
Se tromper de syndicat
L’arrivée d’un nouveau président du directoire va précipiter la chute. Eudes Riblier cherche à apaiser le climat social très tendu entre les officiers, majoritairement syndiqués CGC-CGT, et le reste du personnel, largement adhérent de la CFDT.
Le président choisit de nouer des relations privilégiées avec la CFDT, le syndicat majoritaire. Les syndicats minoritaires et les officiers sont furieux. En effet, les recrutements sont largement contrôlés par le syndicat majoritaire et concernent le plus souvent des profils sans formation et sans culture maritime.
Les effectifs, pléthoriques, sont bien supérieurs aux besoins réels. En 2008, ils s’élèvent à 1 700 salariés. Pour ajouter au marasme, cette même année, SeaFrance porte plainte pour « vol en bande organisée ». En juin 2012, huit ex-salariés seront déférés devant un juge d’instruction, accusés de plusieurs vols au sein des navires (alcool et marchandises alimentaires).
Soutenus par le syndicat CFDT maritime Nord et encouragés par l’État, les salariés décident de reprendre leur entreprise en créant une Société coopérative et participative (SCOP).
Le gouvernement français demande à la SNCF de verser à chaque salarié des indemnités assez élevées (50 000 à 60 000 euros) pour qu’il les réinvestisse dans une SCOP suffisamment dotée pour être viable. Les collectivités territoriales signent une lettre d’intention pour apporter 11 à 12 millions.
La Scop, ultime tentative
Une nouvelle société, MyFerryLink, est constituée pour assurer la relance de l’activité « passagers ». La SCOP embauche 395 personnes, dont 329 ex-SeaFrance. Les leçons sont tirées.
Pour abaisser les coûts d’exploitation, les salariés acceptent un régime d’activité deux fois plus élevé qu’avant. Mais le défi est immense. Le marché est de plus en plus concurrentiel.
Pour regagner des parts de marché, la nouvelle société affiche des prix compétitifs et ses dirigeants cherchent à inventer une nouvelle culture d’entreprise. Comme les salariés sont devenus actionnaires, ils sont conscients du défi.
Mais MyFerryLink ferme tout de même en 2015. Toutes les reprises ne se terminent pas bien…
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