Les sociologues ont longtemps pensé que notre « sens moral », c’est-à-dire notre capacité à distinguer ce qui est bien de ce qui est mal, nous venait uniquement de la société dans laquelle nous vivons.
De fait, on observe que certaines pratiques sont jugées bonnes dans une société donnée, alors qu’elles peuvent être jugées mauvaises dans la société voisine.
Il n’est donc pas déraisonnable de supposer que c’est notre environnement social qui nous apprend à penser qu’il existe des actions bonnes ou mauvaises et qui nous indique lesquelles le sont.
La psychologie du développement, qui étudie la manière dont l’esprit des enfants se construit au fil des années, nous pousse aujourd’hui à voir les choses autrement.
En effet, cette discipline nous apprend que tous les enfants possèdent très tôt un certain nombre d’intuitions morales identiques. Ce sens moral minimal semble présent chez des bébés pourtant trop jeunes pour avoir eu le temps de se développer au contact de la société. Il pourrait donc bien être « inné » ou « naturel » 1.
Les sociologues ont longtemps pensé que notre « sens moral », c’est-à-dire notre capacité à distinguer ce qui est bien de ce qui est mal, nous venait uniquement de la société dans laquelle nous vivons.
De fait, on observe que certaines pratiques sont jugées bonnes dans une société donnée, alors qu’elles peuvent être jugées mauvaises dans la société voisine.
Il n’est donc pas déraisonnable de supposer que c’est notre environnement social qui nous apprend à penser qu’il existe des actions bonnes ou mauvaises et qui nous indique lesquelles le sont.
La psychologie du développement, qui étudie la manière dont l’esprit des enfants se construit au fil des années, nous pousse aujourd’hui à voir les choses autrement.
En effet, cette discipline nous apprend que tous les enfants possèdent très tôt un certain nombre d’intuitions morales identiques. Ce sens moral minimal semble présent chez des bébés pourtant trop jeunes pour avoir eu le temps de se développer au contact de la société. Il pourrait donc bien être « inné » ou « naturel » 1.
Le bien et le mal, chez le bébé déjà
Dans une série d’expériences, des psychologues ont présenté à des bébés de petites scènes dans lesquelles un personnage cherche à atteindre un objectif précis (par exemple, ouvrir une boîte).
Deux autres personnages interviennent alors dans l’histoire. L’un de ces nouveaux personnages aide le premier à atteindre son objectif alors que l’autre l’empêche d’y parvenir.
Ces expériences montrent que, dès l’âge de 9 mois, les bébés sont surpris si à la fin de la petite scène le premier personnage se rapproche de celui qui l’a gêné plutôt que de celui qui l’a aidé2. Les bébés s’attendent donc à ce qu’un individu préfère quelqu’un qui lui est venu en aide (le « gentil » personnage) par rapport à quelqu’un qui lui a nui (le « méchant »).
Ce que cela laisse penser, c’est que les bébés font très tôt la différence entre des actions « bonnes » et des actions « mauvaises », même quand ces actions ne les concernent pas directement – c’est-à-dire, quand aucun mal ou aucun bien ne leur est fait à eux directement.
Ils comprennent aussi que les autres, comme eux-mêmes3, préfèrent les personnes qui accomplissent des actions « bonnes ».
Égoïsme : l’erreur de Durkheim
Le sociologue Émile Durkheim écrivait, à tort, en 1897 que l’« enfant [est] naturellement égoïste ». Selon lui, notre sens moral nous provient tout entier de la société et ce n’est qu’une fois adulte qu’il aura eu le temps de se développer : « C’est l’action de la société qui a suscité en nous ces sentiments de sympathie et de solidarité qui nous inclinent vers autrui ; c’est elle qui, nous façonnant à son image, nous a pénétrés de ces croyances religieuses, politiques, morales qui gouvernent notre conduite […]. »
Le Suicide, É. Durkheim, Alcan, p. 226, 1897.
Des variantes de ces expériences indiquent de plus que les très jeunes enfants ont également un sens minimal de la justice.
Ainsi, quand on leur donne la possibilité de récompenser ou de punir les personnages impliqués dans ces petites scènes, les enfants d’un peu moins de 2 ans récompensent le « gentil » en lui donnant un cadeau et ils punissent le « méchant » en lui retirant un objet qu’il possède4. Les bébés ont donc un certain nombre d’intuitions morales sur la base desquelles ils évaluent les actions des autres.
Ce sens moral des jeunes enfants s’applique-t-il aussi à leurs propres actions ? Il semble que ce soit le cas, car eux-mêmes ont très tôt tendance à vouloir aider les autres5. Nous verrons pourtant dans le prochain SocioLogics que leur altruisme s’évanouit dès qu’il implique pour eux de devoir renoncer à quelque chose qu’ils désirent. Aider, oui, mais à condition que cela ne coûte rien !
La société renforce l’intuition
Ainsi, il ne semble pas que les humains aient besoin d’apprendre qu’il existe des actions « bonnes » et d’autres « mauvaises ».
De plus, le fait de venir en aide à quelqu’un d’autre est spontanément perçu par les bébés comme un comportement « bon », alors que le fait de lui causer du tort est perçu comme « mauvais ». Il s’agit bien là des signes de l’existence d’une morale « naturelle » minimale.
Cela ne veut absolument pas dire que notre environnement social ne compte pas dans le développement de notre morale. Au contraire, le discours social joue un rôle central en insistant sur certaines normes morales qui vont dans le sens de nos intuitions : cela en renforce l’efficacité.
Et, bien sûr, les règles morales explicites d’une société viennent énormément enrichir le répertoire de ce que nous considérons comme bien ou mal, au-delà des quelques intuitions morales très basiques que nous avons dès notre plus jeune âge.
Pour aller plus loin
1. Intuition morale et morale naïve, V. Nurock, L’Année sociologique, 54 (2), 2004.
2. Social evaluation by preverbal infants, J. K. Hamlin, K. Wynn et P. Bloom, Nature, 450 (7169), 2007.
3. Young infants prefer prosocial to antisocial others, J. K. Hamlin, K. Wynn et P. Bloom, Cognitive Development, 26 (1), 2011.
4. How infants and toddlers react to antisocial others, J. K. Hamlin, K. Wynn et P. Bloom, PNAS, 108 (50), 2011.
5. Helping and cooperation at 14 months of age, F. Warneken et M. Tomasello, Infancy, 11 (3), 2007.