Une pluie de grenades lacrymogènes, de cocktails molotov et des dizaines de blessés. La mobilisation contre les méga-bassines à Sainte-Solline (Deux-Sèvres), fin mars, a surpris par son intensité. Co-organisé par les Soulèvements de la Terre, collectif regroupant de nombreuses entités (syndicats, ONGs, groupements locaux…), l'événement fera date dans l’histoire des luttes écologistes. Quelques semaines plus tard, le gouvernement acte finalement la dissolution du jeune mouvement dans un fracas politique et médiatique.
Depuis, les soutiens aux Soulèvements de la Terre ne cessent d’affluer, de la célèbre activiste Greta Thunberg à l’actrice Marion Cotillard. Des graffitis reprenant leurs slogans et symboles apparaissent dans toute la France. Mais dans quel contexte de telles mobilisations évoluent-elles ?
De l'importance du contexte politique
Si prédire l’avenir est impossible, les sciences politiques nous permettent cependant d’y voir plus clair. Notamment grâce au concept de structure des opportunités politiques (SOP), théorisé par Peter Eisinger, Doug McAdam ou encore le sociologue américain Sidney Tarrow. S’il ne se concentre pas sur les raisons personnelles de l’engagement militant, celui-ci considère le contexte politique et institutionnel comme un catalyseur ou un répresseur des mobilisations sociales. Plus la structure d’un pays est dite « fermée », plus celles-ci vont avoir du mal à s’exprimer et perdurer. Par exemple lorsqu’un Etat réprime durement les manifestations sur son sol ou qu’un gouvernement est fermé à toute négociation politique.
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Une criminalisation du mouvement écologiste
Léna Lazare est l’un des visages des Soulèvements de la Terre. La dissolution de son mouvement lui semble en effet advenir dans un contexte d’escalade autoritaire, en France et ailleurs en Europe. « Nous avons une image d’un mouvement assez classique et qui, de base, ne va pas forcément ouvrir la voie à des récits criminalisants », estime la jeune militante. Si le sabotage fait certes partie de leur répertoire, la désobéissance civile ou la manifestation aussi. Des types d’actions habituelles pour le mouvement écologiste, teintée historiquement d’une forte empreinte pacifiste.
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Il est vrai que depuis les attentats de 2015, les lois antiterroristes se sont particulièrement renforcées en France. Dans un entretien au journal Libération paru le 22 juin, l’avocat Vincent Brengarth estime que celles-ci sont désormais détournées et utilisées pour « museler la contestation écologiste ». Lundi, la Ligue des droits de l’Homme (LDH) a même conclu à la responsabilité de l’Etat et à un usage « disproportionné » des armes lors de la mobilisation de Sainte-Solline.
Dans le même temps, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, n’a eu de cesse de parler d’« écoterrorisme », un néologisme controversé et destiné à discréditer le mouvement. L’actuel gouvernement, persuadé du bien-fondé de ces choix politiques en matière d’écologie, ne semble pour le moment pas ouvert à un quelconque compromis.
Face à un tel blocage politique, institutionnel et à l’urgence de la crise climatique qui semble supplanter tous les autres enjeux, les modes de mobilisation évoluent. Certains écologistes réfléchissent à y inclure une certaine dose de violence, à fédérer au-delà de leurs cercles habituels. La chercheuse Sylvie Ollitrault parle ainsi de « spirale de la radicalité » : la répression des uns va entraîner une réaction d’autant plus forte de la part des autres, s’inscrivant dans un cercle vicieux. La politologue en vient même à s’inquiéter pour ses confrères et étudiants, dont les activités de recherche scientifique pourraient être menacées.
« Un citoyen a le droit de se rebeller »
Cette situation pourrait malgré tout profiter aux Soulèvements de la Terre, notamment grâce au soutien croissant de l’opinion publique et de leur médiatisation. Pour Léna Lazare, le choix de la dissolution - dont elle attend une éventuelle suspension - est en effet à double-tranchant : « Les luttes locales ont des modes d'action dont on n'a jamais autant entendu parler. On voit très bien que ça inspire beaucoup de gens et que de nombreuses personnes ont envie de nous rejoindre. »
Mais la rhétorique sécuritaire et criminalisante de leurs opposants pourrait aussi durablement affaiblir cette dynamique. Avec un risque majeur selon l’écologiste : « L’immobilisme est sans doute l’un des ennemis principaux du milieu militant où il y a des gens qui ont envie d'agir, mais qui ne savent pas comment, qui ont peur, etc. »
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C’est que dans certains pays d’Amérique latine, comme par exemple au Brésil ou au Mexique, la structure des opportunités politiques est si fermée, la répression si forte que des militants écologistes vont même jusqu’à être assassinés pour leurs idées.
En France, Sylvie Ollitrault considère de son côté qu’il existe un risque que certains décident de franchir le Rubicon : « On sait très bien qu'au moment où il y a plus de répression, c'est aussi le moment où il y a aussi une certaine socialisation à la violence. » Le passage en garde à vue ou en prison devient une sorte de rite de passage, réduisant le coût social d’actions particulièrement fortes qui, auparavant, avait valeur d’ostracisation.
De l’autre, « si les Soulèvements de la Terre restent dans un récit citoyen, républicain et démocratique, il est possible qu’ils soient entendus. Un citoyen a le droit de se rebeller, y compris dans nos belles constitutions libérales. »
Pour aller plus
La conférence du sociologue Lilian Mathieu sur le sujet de l'engagement politique.