Cet article est extrait de notre hors-série consacré à l'amour. Retrouvez-le en kiosque le 12 janvier 2022.
« Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle. » Vous connaissez la suite. L’impitoyable confident décrit les traits parfaits de… Blanche-Neige. La reine, folle de jalousie, développe alors de sombres projets criminels. Une rage rationnelle ? Oui, répondent les chercheurs qui étudient les pulchonocromics, c’est-à-dire l’économie de la beauté.
La liste des avantages que procure un physique flatteur est très, très longue1 : les élèves à tête d’ange sont surnotés par leurs enseignants ; à compétences égales, un bel homme gagnera en moyenne 17 % de plus (et une belle femme 13 %) ; l’attirant professeur d’université touchera un salaire 6 % plus élevé à compétences et expérience égales ; le bel accusé sera moins sévèrement condamné par la justice, surtout si son avocate est beau lui aussi ; les chances d’être convoquée en entretien d’embauche sont quasiment doublées pour une jolie candidate et les hommes les moins beaux ont 15 % de chances de moins que la moyenne de décrocher un emploi. De surcroît, ils goûtent davantage au bonheur : les 15 % les plus beaux sont également 10 % plus heureux.
Personne n’échappe à ces discriminations : « Dans le milieu professionnel, l’apparence importe, et pas seulement dans les postes en contact avec le public. Au service comptabilité et pour les télévendeurs, elle compte aussi », confirme l’économiste Hélène Garner-Moyer, qui a soutenu sa thèse sur l’impact de la beauté sur les itinéraires professionnels. « Les entreprises et les recruteurs doivent en prendre conscience : une apparence physique séduisante peut être interprétée comme le signal de qualités relationnelles recherchées dans une économie de services qui valorise de plus en plus le “savoir-être”. »
Une norme internationale mesurable et incontestable
Nous prêtons inconsciemment aux gens beaux des qualités qu’ils ne possèdent pas forcément, tandis qu’à l’inverse, nous accordons aux « laids » des défauts imaginaires. Nous sommes victimes de l’« effet de halo » de la beauté. Dès 1972, deux chercheuses, K. K. Dion et E. Berscheid, ont montré que les personnes les plus belles sont aussi perçues comme les plus sensibles, les plus aimables, les plus chaleureuses, les plus sociables…
Cette perception de la beauté n’est pas une fumeuse construction sociale. Dès l’âge de trois jours, les bébés fixent plus longtemps les jolis visages que les autres, a démontré Alan Slater, psychologue à l’université d’Exeter. Et inutile de tenter de se rassurer en expliquant que la beauté est relative, qu’elle change en fonction du regard de chacun. Confrontées à différents physiques de cobayes dans des expériences, les foules de différents pays arrivent au même jugement.
Il existe une norme moyenne internationale, mesurable et incontestable.
Jean-François Amadieu,auteur de La Société du paraître.
« Quand on soumet des visages à des Britanniques et à des Japonais, ils manifestent sensiblement les mêmes préférences physiques. Il existe une norme moyenne internationale, mesurable et incontestable », explique Jean-François Amadieu, auteur de La Société du paraître. « Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas des préférences individuelles éloignées des standards – comme les hommes qui préfèrent des femmes rondes –, mais ce sont justement des exceptions, des niches. »
Les femmes plus sélectives
Pour l’expérience, la psychologue Marilou Bruchon-Schweitzer a sélectionné au Louvre douze silhouettes féminines issues de périodes historiques diverses pour les soumettre au jugement de 240 personnes. Verdict : les silhouettes élancées et minces se retrouvent en tête chez tous les sondés. Les corps ronds comme ceux des Égyptiennes au bassin large, sont jugés plus sévèrement. Des critères intangibles et archaïques ressortent : nous sommes inconsciemment attirés par les caractères physiques sexuellement tranchés (les visages très masculins ou très féminins), la jeunesse et la symétrie du visage.
Mais le jugement varie en fonction du sexe. Quand on demande aux hommes de juger le physique de plusieurs profils féminins, la courbe est relativement équilibrée : une femme a autant de chances d’être trouvée très désirable que peu attirante. Ce n’est pas le cas dans l’autre sens. Les femmes examinent les hommes plus sévèrement : 80 % d’entre eux sont jugés plus laids que la moyenne. « Il existe une sorte de déni social de la beauté, qui cherche à maintenir la fiction que tout le monde peut être beau et que les inégalités n’existent pas dans ce domaine, juge Jean-François Amadieu. C’est sans doute une forme de protection du fonctionnement social, nous avons besoin de belles histoires pour coexister. »

En dépit de notre déni collectif, c’est incontestablement sur le marché de l’amour que la loi de la beauté est la plus implacable, surtout pour les femmes. « Pas grand-chose n’a changé depuis la nuit des temps, explique Jean-François Amadieu. Chez les hommes, le statut socio-économique élevé peut compenser une apparence disgracieuse. L’inverse n’existe pas. »

Chez les hommes, le statut socio-économique élevé peut compenser une apparence disgracieuse. L’inverse n’existe pas.
Jean-François Amadieu,auteur de La Société du paraître.
Pour séduire, Gainsbourg ou Sartre pouvaient faire oublier leur visage inesthétique par leur talent, alors qu’une femme en sera toujours réduite à son physique aux yeux des hommes, quelles que soient ses compétences. D’ailleurs, dans les rencontres amoureuses, un niveau d’études élevé n’est valorisé que par les femmes. Le capital de beauté reste, avec le statut socio-économique, le facteur déterminant des rencontres. Le tiers des Américaines les plus belles épouse encore aujourd’hui des hommes plus éduqués et plus riches que les autres, selon Daniel Hamermesh, économiste pionnier des pulchronomics.
Chute moins brutale pour les hommes
Un critère contre lequel personne ne peut grand-chose supplante les autres : les effets physiques de l’âge. Enquêtes et usages le confirment : les femmes et les hommes perdent de leur superbe avec les années. Dans une enquête de l’Université du Michigan, les sondés placent 45 % des femmes et 36 % des hommes de 18 à 29 ans dans les catégories de beauté supérieures à la moyenne. Pour les personnes de 50 à 64 ans, les femmes ne sont plus que 18 % à obtenir les scores les plus élevés. Chez les hommes, cela tombe à 21 %.
Autrement dit, s’agissant de la perception de leur beauté, les hommes partent souvent de moins haut que les femmes, mais la chute est moins brutale. Dans le film American Beauty, le père de famille est attiré par l’amie de sa fille. Immoral ? En tout cas, les mâles en ligne sont statistiquement attirés par les femmes plus jeunes, quel que soit leur propre âge, note Marie Bergström, sociologue à l’Institut national d’études démographiques (Ined), qui s’est plongée dans les statistiques des utilisateurs de Meetic.
« Dès l’âge de 19 ans, où la possibilité d’indiquer leur préférence pour une femme plus jeune leur est ouverte, les hommes descendent progressivement dans les âges, augmentant à chaque fois l’écart entre l’âge minimum et leur propre âge. Alors qu’ils sont devenus 10 ans plus âgés entre 18 et 28 ans, l’âge minimum moyen sollicité n’augmente que de 3,7 ans (passant de 18,7 à 22,4 ans). »
21 ans, l’apogée féminin… en ligne
Christian Rudder, cofondateur du site de rencontres OkCupid, confirme cette tendance. « Une femme cherche un homme à peu près aussi âgé qu’elle. Mais l’attente d’un homme, elle, n’évolue pas en même temps que son âge, écrit l’entrepreneur dans son livre Dataclysme. Un homme de 50 ans désire les mêmes personnes qu’un étudiant. » Les millions de données issues de l’application révèlent que l’utilisateur masculin de 30 ans passe par exemple autant de temps à envoyer des messages à des femmes de 18 et 19 ans qu’à celles de son âge.

Le sommet de désirabilité d’une femme est ainsi atteint, dans les yeux d’un homme – du moins en ligne –, à 21 ans (l’apogée masculin est atteint vers 30 ans). « Ce chiffre ne paraît pas illogique, juge Jean-François Amadieu. Ce qui déclenche l’attirance physique dans les normes internationales est extrêmement corrélée à l’âge, que ce soit l’évolution de la peau, le poids, les cheveux… Même s’il existe dans ce chiffre un caractère évidemment indicible et blessant. »
Le blues du petit homme
1,81 m, 1,93 m… Cela peut paraître surprenant mais la taille est parfois la première information mise en avant dans les biographies masculines des applis de rencontre. Une taille haute est en effet un atout non négligeable pour la carrière, les études et les rencontres amoureuses2 ! D’ailleurs, les PDG américains mesurent en moyenne 8 cm de plus que l’Américain moyen et 30 % d’entre eux mesurent plus de 1,87 m, contre 3,9 % des Américains3.
En France aussi, la taille semble jouer, comment expliquer sinon que les cadres mesurent en moyenne 1,78 m, soit 3,2 cm de plus que les ouvriers ? À l’inverse, ne pas être grand est un handicap. « Chez l’homme, la petite taille est équivalent, en termes de discrimination et de moquerie, au surpoids et à l’obésité chez les femmes », explique Jean-François Amadieu, directeur de l’Observatoire des discriminations.
Notes
1. Beauty and the Labor Market, D. Hamermesh, 1994 ; Beauty is talent : Task evaluation as a function of the performer’s physical attractiveness, D. Landy et H. Sigall ; Defendant’s Attractiveness as a Factor in the Outcome of Criminal Trials : An Observational Study, J. Stewart, 1980 ; Are Good-Looking People More Employable ?, B. Ruffle, Z. Shtudiner, 2018.
2. Le pouvoir des grands : de l’influence de la taille des hommes sur leur statut social, N. Herpin, La Découverte, 2006.
3. Blink, M. Gladwell, Little Brown Libri, 2005.