« Le riche est né pour beaucoup dépenser ;
Le pauvre est né pour beaucoup amasser.
[…] Ainsi l’on voit en Angleterre, en France,
Par cent canaux circuler l’abondance.
Le goût du luxe entre dans tous les rangs ;
Le Pauvre y vit des vanités des Grands ;
Et le travail, gagé par la mollesse,
S’ouvre à pas lents la route à la richesse »
Prenant position dans la « querelle sur le luxe » qui agite les esprits au XVIIIe siècle, Voltaire est un partisan de la dépense improductive, qu’il considère comme source de prospérité. Il passe sous silence le commerce des denrées coloniales issues de la traite esclavagiste telles que le sucre ou le café, dont le chapitre 19 de Candide (1759) offre une dénonciation sans appel à travers la figure du « nègre de Surinam ».
Vantant les mérites d’une France galante empreinte de mondanité, soucieuse de savoir-vivre, il aborde le luxe, non plus comme une question éthique, à l’instar de ses devanciers, mais comme un enjeu économique et idéologique. Et énonce une série de paradoxes et d’idées contre-intuitives.
« Le riche est né pour beaucoup dépenser ;
Le pauvre est né pour beaucoup amasser.
[…] Ainsi l’on voit en Angleterre, en France,
Par cent canaux circuler l’abondance.
Le goût du luxe entre dans tous les rangs ;
Le Pauvre y vit des vanités des Grands ;
Et le travail, gagé par la mollesse,
S’ouvre à pas lents la route à la richesse »
Prenant position dans la « querelle sur le luxe » qui agite les esprits au XVIIIe siècle, Voltaire est un partisan de la dépense improductive, qu’il considère comme source de prospérité. Il passe sous silence le commerce des denrées coloniales issues de la traite esclavagiste telles que le sucre ou le café, dont le chapitre 19 de Candide (1759) offre une dénonciation sans appel à travers la figure du « nègre de Surinam ».
Vantant les mérites d’une France galante empreinte de mondanité, soucieuse de savoir-vivre, il aborde le luxe, non plus comme une question éthique, à l’instar de ses devanciers, mais comme un enjeu économique et idéologique. Et énonce une série de paradoxes et d’idées contre-intuitives.
François Marie Arouet, dit Voltaire (1694-1778)

Fils de notaire et filleul de l’abbé de Châteauneuf, qui l’introduit dans les milieux mondains, Voltaire est philosophe et homme de lettres. Proche de la bourgeoisie libérale, il défend liberté individuelle, tolérance, justice et progrès.
Plusieurs fois emprisonné et exilé, notamment en Angleterre (1726-1730) où il découvre une grande nation commerçante, rompu aux affaires, il acquiert en 1759 le domaine de Ferney. Il y entreprend différentes expériences agricoles et industrielles (vers à soie, textile, dentelle, horlogerie), tout en faisant fortune dans la spéculation. C’est en capitaine d’industrie et financier qu’il raisonne sur l’économie.
Sur le plan philosophique, Voltaire renvoie dos à dos le mythe d’un âge d’or fondé sur le dénuement et la frugalité à la réalité d’un âge de fer, aube de la révolution industrielle dans laquelle il perçoit une promesse d’opulence.
Le philosophe s’oppose à la fois à l’ascétisme gréco-romain, au sacrifice des richesses judéo-chrétien et à l’austérité rousseauiste. Il propose une vision nouvelle du bonheur, indexé sur la jouissance matérielle en ce monde plutôt que la poursuite de la vertu dans l’espoir d’un au-delà.
Révolutions industrielles
Périodes marquées par des inventions et innovations majeures avec de larges effets d'entraînement et des bouleversements des structures économiques et sociales.
Plaidoyer pour une juste répartition des richesses
Sur le plan social et économique, son coup de force consiste à donner une portée globale à la richesse des élites, en lui conférant une utilité collective.
Dans une société où le service domestique constitue une part essentielle de l’emploi, où les dépenses d’apparat des aristocrates et grands bourgeois sont une source d’activité pour les artisans et créateurs, et où le modèle productiviste s’impose à la faveur de l’industrialisation des villes et aussi des campagnes (manufacture dispersée), la richesse des élites est présentée comme profitable pour le plus grand nombre.
À lire La bataille sans fin de la productivité
Rousseau, dans une lettre à Moulton, affirme pourtant que « la feinte charité du riche n’est en lui qu’un luxe de plus ; il nourrit les pauvres comme des chiens et des chevaux », prenant l’exact contre-pied de la position voltairienne.
Sur le plan politique, reconnaître l’utilité des richesses pour la multitude permet de s’en remettre à la régulation opérée par un circuit économique considéré comme équitable, gageant que la répartition spontanée évite d’avoir à mettre en œuvre un système de redistribution forcée.

Illustration : Gilles Rapaport.
Pourtant, Voltaire lui-même, dans les Lettres philosophiques (1734), exprime son indignation face à l’inégale répartition des richesses, inversement proportionnelle au mérite : « Il a fallu des siècles pour rendre justice à l’humanité, pour sentir qu’il était horrible que le grand nombre semât, et le petit recueillît. »
La consommation des riches comme moteur de l'économie
Il est aisé de voir dans cette justification de la fortune des plus riches la préscience de la doctrine du « ruissellement des richesses » âprement débattue de nos jours, sans être attribuable à aucun économiste en particulier : favoriser l’accumulation par les plus riches en les exonérant de charges se justifierait par les retombées positives qu’elle est supposée engendrer sur l’ensemble de l’échelle sociale.
La « consommation ostentatoire » de la « classe des loisirs » théorisée par Thorstein Veblen dès 1899 constituerait dès lors le moteur de l’économie.
Si elle n’a jamais été prouvée empiriquement ni chiffrée, cette conviction centrale de l’utilitarisme est pourtant la justification invoquée par des libéraux soucieux d’équité tels que John Rawls, ou désireux de réduire la pression fiscale des grandes fortunes sans contrepartie ni contrôle tels qu’Arthur Laffer.
En revanche, John Maynard Keynes dénonce cette optique, préconisant dans la Théorie générale (1936) l’« euthanasie des rentiers », au motif des effets nocifs de l’épargne sur la croissance, tout en relevant les effets positifs de la consommation sur l’économie réelle, postulat qui ne s’oppose pas à l’optique voltairienne.
Plus largement, on peut reconnaître chez Voltaire l’apologie d’un modèle productiviste voyant dans la croissance le seul horizon de réalisation du capitalisme, là où le désastre écologique engendré par les externalités négatives de l’activité économique porte aujourd’hui à envisager des formes alternatives de développement durable, de croissance soutenable, voire de décroissance, dont un levier consiste précisément à limiter le gaspillage, la consommation forcée et l’exploitation des ressources naturelles en réduisant notre train de vie.
Dans une France ou le secteur du luxe et l’industrie touristique sont de puissants ressorts de croissance et vecteurs de compétitivité internationale, facteurs d’emploi et de rayonnement culturel, mais où les inégalités de revenu et surtout de patrimoine ont atteint des proportions inquiétantes, le débat sur le luxe est loin d’être tranché de manière univoque.
À lire Les inégalités en forte hausse en France ? Faux !
Le Mondain (1736) et Défense du mondain ou l’apologie du luxe (1737), Voltaire
« Regrettera qui veut le bon vieux temps,
[…] Et le jardin de nos premiers parents ;
Moi, je rends grâce à la nature sage
Qui, pour mon bien, m’a fait naître en cet âge
Tant décrié par nos tristes frondeurs :
Ce temps profane est tout fait pour mes mœurs.
J’aime le luxe, et même la mollesse,
Tous les plaisirs, les arts de toute espèce,
La propreté, le goût, les ornements :
Tout honnête homme a de tels sentiments.
Il est bien doux pour mon cœur très immonde
De voir ici l’abondance à la ronde,
Mère des arts et des heureux travaux,
Nous apporter, de sa source féconde,
Et des besoins et des plaisirs nouveaux.
[…] Ô le bon temps que ce siècle de fer !
Le superflu, chose très nécessaire,
A réuni l’un et l’autre hémisphère.
[…] Quand la nature était dans son enfance,
Nos bons aïeux vivaient dans l’ignorance,
Ne connaissant ni le tien ni le mien.
Qu’auraient-ils pu connaître ? Ils n’avaient rien,
Ils étaient nus ; et c’est chose très claire
Que qui n’a rien n’a nul partage à faire.
[…] La soie et l’or ne brillaient point chez eux,
Admirez-vous pour cela nos aïeux ?
Il leur manquait l’industrie et l’aisance :
Est-ce vertu ? C’était pure ignorance.
[…] Sachez surtout que le Luxe enrichit
Un grand État s’il en perd un petit.
Cette splendeur, cette pompe Mondaine,
D’un Règne heureux est la marque certaine.
Le riche est né pour beaucoup dépenser ;
Le pauvre est né pour beaucoup amasser.
[…] Ainsi l’on voit en Angleterre, en France,
Par cent canaux circuler l’abondance.
Le goût du luxe entre dans tous les rangs ;
Le Pauvre y vit des vanités des Grands ;
Et le travail, gagé par la mollesse,
S’ouvre à pas lents la route à la richesse.