Economie

Tour Eiffel miniatures : rencontre avec la concurrence pure, mais pas parfaite

Dans ce récit fiction, une touriste-économiste analyse le marché singulier des tours Eiffel miniatures. Elle en tire une leçon économique : il n’y pas ici de concurrence pure et parfaite.

Audrey Bonval, étudiante à l’ENS de Rennes
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Illustration de l'article Tour Eiffel miniatures : rencontre avec <span class="highlighted">la concurrence pure, mais pas parfaite</span>

© DR

La flèche de Notre-Dame de Paris a disparu. Voici à peu près la seule chose qui a changé depuis sa dernière visite dans la capitale. Celle-ci en a pourtant traversé, des épreuves. À commencer par ce fameux virus dont nous tairons le nom.

Pourtant, tout est comme inchangé aujourd’hui. Sous le soleil de plomb qui s’abat sur la ville, les rires s’échappent des terrasses bondées, se mêlant à l’agitation de la circulation et formant ainsi une symphonie bien typique du lieu.

Elle avance lentement à l’ombre des immeubles Art Déco, profitant de chaque note de cette mélodie qui lui a tant manqué. Puis, au détour d’une longue avenue, elle aperçoit ce symbole parisien par excellence : la Tour Eiffel.

La capitale, elle la connaissait au travers de ses rues, ses musées, ses quais et ses ponts mais ne s’était jamais aventurée au pied de la Dame de Fer. 

La vente de tours Eiffel miniatures, un marché dynamique

À l’approche du parvis du monument, elle croise un homme, un peu à l’écart, vendant de petites tours Eiffel. « Souvenirs à vendre » est-il inscrit sur une modeste pancarte en carton apposée devant le tapis noir qui lui sert d’étal.

Sur celui-ci, les rayons du soleil viennent faire scintiller la multitude de couleurs des objets exposés. Quelques mètres plus loin, elle croise un autre vendeur, dont le soleil fait briller les tours Eiffel avec la même ardeur. Puis un autre. Et encore un autre. Elle ne compte plus.

Se laissant emporter par la brillance de ces répliques miniatures de l’édifice qui surplombe la place, elle en oublie ce qui l’entoure, jusqu’au moment où quelqu’un vient la heurter. Tout aussi désolé qu’elle, le touriste poursuit son chemin.

C’est alors qu’elle s’aperçoit de la foule qui l’entoure. Une multitude de touristes. Autant que de vendeurs. Impossible à dénombrer. Elle se retrouve au cœur d’un immense fourmillement. Dans cette cohue, certains vendeurs alpaguent les passants.

Quelques-uns d’entre eux s’arrêtent - et achètent, parfois - les autres poursuivent leur chemin. Chacun vagabonde à sa guise au milieu de cette effervescence. Tout est en mouvement, rien n’est figé ; même pas les allées formées par la disposition des tapis qui valsent au gré des entrées et sorties des vendeurs qui quittent le parvis aussi aisément qu’ils l’ont gagné. 

Malgré toute cette agitation, une chose demeure : les tours Eiffel miniatures. Unies ou multicolores, à paillettes ou à lumières scintillantes, minuscules ou gigantesques, la diversité ne manque pas. Pourtant, en arpentant la place avec attention, un sentiment de déjà-vu l’envahit. À bien y regarder, ce sont exactement les mêmes petits souvenirs qui sont partout exposés sur ces tapis. Elle poursuit tout de même son chemin, éblouie à chaque pas de la même façon. 

Un vendeur l’interpelle lorsqu’elle arrive à sa hauteur. Un sourire aux lèvres, il lui assure que pour deux euros, elle peut repartir avec cinq des petites merveilles qu’il vend. Ces paroles retentissent comme l’écho de celles d’un autre vendeur, quelques mètres auparavant. Mais également d’un autre, et de tous les autres.

Pour ce prix-là, elle se demande si ces souvenirs perdureront, ou si ce sont de simples joyaux éphémères qui s’éteindront aussi vite que le soleil cessera de les caresser de ses rayons. Dubitative, elle poursuit son chemin et gardera pour seul souvenir l’image de cette vague de couleurs et de vie. 

Une concurrence pure...

De cette balade dans la capitale, l’économiste vous dira deux choses. Premièrement, sur le marché de la Tour Eiffel miniature, la concurrence est dite « pure » puisque les trois conditions de cette dernière sont remplies. 

En effet, l’on a une multitude d’acheteurs faisant face à une multitude de vendeurs, aucun d’entre eux n’ayant un pouvoir de marché lui permettant d’influer sur le prix ou les quantités échangées : il y a donc atomicité de l’offre et de la demande

Par ailleurs, les acheteurs sont libres d’entrer ou sortir du marché comme bon leur semble, en achetant ou non les produits proposés. De même, en pratique, les vendeurs peuvent également, sans coût insupportable, quitter le marché tout comme le pénétrer pour faire concurrence à ceux qui s’y trouvent déjà. La condition de libre entrée et libre sortie du marché - aussi appelée fluidité des acteurs du marché - est donc également vérifiée. 

Enfin, les produits proposés sont tous identiques d’un vendeur à l’autre, de telle sorte qu’un acheteur n’a aucune raison de préférer le produit d’un vendeur à celui d’un autre : cela constitue la condition d’homogénéité du produit

… mais imparfaite 

L’économiste vous dira pour autant dans un second temps que, sur ce marché, la concurrence n’est pas « parfaite » dans la mesure où les deux conditions qui lui sont propres ne sont pas caractérisées. 

D’abord, il n’y a pas transparence de l’information, laquelle suppose que les agents disposent de toute l’information disponible sur le marché. Ici, si certains économistes comme Michael Spence nous enseignent que le prix est un signal et que dès lors un prix bas rime souvent pour le consommateur avec moindre qualité, le bon sens fait savoir à tout un chacun que la qualité des petites tours Eiffel vendues n’est sans doute pas élevée.

Pour autant, ces dernières sont dépourvues de toute étiquette et les vendeurs n’en disent pas davantage. La situation se caractérise donc par une asymétrie d’information - et plus particulièrement de sélection adverse - puisque les vendeurs possèdent plus d’informations que les acheteurs sur leurs produits et ne les dévoilent pas. 

Éco-mots

Asymétrie d'information

Lorsque les deux signataires d’un contrat ne disposent pas du même nombre d’informations pertinentes, cela donne un avantage au participant le mieux informé.

Enfin, la condition de mobilité des facteurs de production n’est pas non plus tout à fait remplie. Si l’on considère d’abord le matériel nécessaire à l’activité exercée par les vendeurs - entendu comme le facteur capital - sa mobilité tant géographique que vers un autre marché semble pouvoir être observée.

À contrario, si l’on s’attarde ensuite sur les vendeurs eux-mêmes - c’est-à-dire le facteur travail - ce mouvement d’un lieu à un autre ou d’un marché vers un autre s’avère beaucoup moins évident (au regard des barrières légales ou encore des attentes des consommateurs par exemple). Aussi ne peut-on pas parler, sur le marché de la Tour Eiffel miniature, de concurrence parfaite. 

Elle a donc rencontré la concurrence pure, mais pas parfaite.

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