En 1900, Paul Morand disait de l’électricité : « Elle est le progrès […], elle prodigue l’illumination. » Grâce à la lampe à incandescence de Thomas Edison, elle met fin au règne multiséculaire des chandelles, lampes à huile et autres becs de gaz. Elle incarne la modernité.
En 1919, Lénine s’exclame : « Le socialisme, c’est les Soviets plus l’électricité. » Pour la première fois, l’homme peut s’affranchir de l’alternance des jours et des nuits. Car depuis la fin du XIXe siècle, on sait produire, transporter et utiliser l’électricité, une révolution extraordinaire des économies et des sociétés.
Dès son apparition, la « fée électricité » est promise à un bel avenir. Les conséquences économiques de son utilisation sont colossales. L’électrification des villes et des campagnes devient un enjeu politique, mais aussi industriel. Dès les années 1880, suivant l’exemple pionnier de Grenoble, les villes commencent à s’électrifier.
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Dans les usines, l’organisation du travail est totalement revue. La lumière électrique permet de travailler 24 heures sur 24, ouvrant ainsi la voie aux fameux « trois huit ». Les machines-outils fonctionnent grâce au moteur électrique qui actionne aussi les convoyeurs des chaînes de production, dont la première est inaugurée chez Ford, à Detroit, en 1913.
Les transports sont, eux aussi, transformés : si Londres inaugure en 1863 un métro à vapeur, dès 1890, tous les métros et tramways construits dans le monde sont à traction électrique. À leur tour, les chemins de fer européens y passent. La Première Guerre mondiale accélère le recours à l’électricité : les usines d’armement en sont grandes consommatrices.
Une révolution du quotidien de nos sociétés
Pendant la crise des années 1930, les politiques de grands travaux font la part belle aux infrastructures électriques : aux États-Unis, dans le cadre du New Deal, la Tennessee Valley Authority construit des barrages géants couplés à des usines hydroélectriques. Dans le même temps se sont développées des sociétés dont l’activité est entièrement vouée à la production d’électricité ou à la fabrication de biens qui l’utilisent.
C’est ainsi que sont nées AEG Allgemeine Elektricitäts-Gesellschaft (AEG), en 1883, General Electric (GE), produit de la fusion entre Thomson-Houston Electric Company et Edison General Electric Company, en 1892, ou encore la Compagnie générale d’électricité (CGE), en 1898.
En Chiffres
1899
C'est l'année à laquelle la voiture électrique « Jamais Contente » est la première auto à dépasser les 100 km/h.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’électricité est au cœur des programmes de modernisation des économies développées et de la croissance des Trente Glorieuses : avec l’électroménager, la radio, la télévision, le téléphone, aujourd’hui l’ordinateur, c’est l’électricité qui donne accès en masse à des biens ou à des services nouveaux et transforme le quotidien de nos sociétés.
Le seul secteur dans lequel l’électricité montrait encore ses limites est celui des transports routiers et aériens. Les difficultés de stockage et les questions d’autonomie avaient remisé l’énergie électrique à des usages marginaux. Pourtant, la « Jamais Contente » (1899), première automobile à dépasser les 100 km/h, était électrique.
Depuis la fin du XXe siècle, les enjeux environnementaux ont placé la question de la transition énergétique au centre des préoccupations publiques afin de décarboner nos sociétés. Le recours aux sources d’énergie fossiles doit progressivement cesser, l’énergie doit devenir propre et renouvelable. Les transports, à leur tour, se tournent vers l’électrique.
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L’avenir semble donc appartenir à l’électricité qui n’émet aucun gaz à effet de serre durant son utilisation : la transition écologique pousse à l’utilisation de l’électricité et des énergies renouvelables. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit une hausse de 60 % de la demande d’électricité d’ici à 2040.
Géostratégie de la production électrique
C’est toutefois en matière de production d’électricité que se posent les questions écologiques : avec quoi faire fonctionner les centrales ? On retrouve ainsi le dilemme du début du XXe siècle entre le moteur à pétrole, qui assure l’autonomie, et le moteur électrique, qui dépend des capacités de stockage des batteries et des infrastructures de recharge.
Finance verte
Cette notion désigne les opérations financières qui veillent à favoriser la transition énergétique ainsi que la lutte contre le réchauffement climatique.
Le bannissement du charbon, du pétrole et du gaz ne laisse que deux solutions : soit la production nucléaire, sujette à polémique, soit les éléments naturels comme le vent, le soleil ou la force de l’eau. Pour l’instant, les questions de l’efficacité des batteries et celle du financement des réseaux de bornes de recharge ne sont pas résolues de manière satisfaisante.
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Cela ne va d’ailleurs pas sans poser d’importants problèmes dont certains relèvent de la géostratégie. Le photovoltaïque et la production de batterie sont dominées par la Chine, qui, de plus, possède l’essentiel des terres rares nécessaires à la production des semi-conducteurs.
Le nucléaire est discuté et l’éolien et le solaire sont accusés de dégrader les paysages. S’il est indéniable que notre futur sera électrique, quid du recyclage des centrales, des éoliennes, des panneaux solaires ou des batteries ? Autant de questions encore sans réponse et de défis à relever.