Grand Oral
Triompher en débat (sans crier) grâce à ces huit stratagèmes imparables
Sélection abonnésAu début du XIXe siècle, le philosophe allemand Arthur Schopenhauer rédige un long texte truffé de conseils pour s’imposer dans un débat. On y découvre 38 stratagèmes destinés à convaincre. Deux siècles plus tard, ils sont toujours aussi utilisés. En voici une sélection illustrée.
Adeline Raynal
© Sushil Nash via Unsplash
En théorie oui, en pratique non (stratagème XXXIII)
« C’est peut-être vrai en théorie, mais en pratique ça ne marche pas. » Par ce sophisme, on admet les prémisses, mais on nie les conséquences. L’assertion est basée sur une impossibilité : ce qui est correct en théorie devrait fonctionner en pratique. Sinon, c’est qu’il y a une erreur, que quelque chose a été oublié et que, par conséquent, la théorie est fausse.
Exemple : deux amis débattent sur le traçage des cas contacts de Covid-19.
— Il suffisait, à la sortie du premier confinement, de mettre en place un traçage effectif des personnes ayant été en contact avec des malades et de les isoler deux semaines.
— Sur le papier, cette mesure, qui a été prise, aurait dû fonctionner. Et pourtant, on sait que la situation sanitaire a continué de se dégrader…
— Stopper le contact social conduit pourtant bien à arrêter la transmission du virus.
— Oui, mais en pratique, réussir à suivre tout le monde demande davantage de moyens humains, nécessite que les cas contacts puissent s’isoler sans pour autant arrêter de travailler, or ils vivent peut-être en famille, sont artisans…
En théorie oui, en pratique non (stratagème XXXIII)
« C’est peut-être vrai en théorie, mais en pratique ça ne marche pas. » Par ce sophisme, on admet les prémisses, mais on nie les conséquences. L’assertion est basée sur une impossibilité : ce qui est correct en théorie devrait fonctionner en pratique. Sinon, c’est qu’il y a une erreur, que quelque chose a été oublié et que, par conséquent, la théorie est fausse.
Exemple : deux amis débattent sur le traçage des cas contacts de Covid-19.
— Il suffisait, à la sortie du premier confinement, de mettre en place un traçage effectif des personnes ayant été en contact avec des malades et de les isoler deux semaines.
— Sur le papier, cette mesure, qui a été prise, aurait dû fonctionner. Et pourtant, on sait que la situation sanitaire a continué de se dégrader…
— Stopper le contact social conduit pourtant bien à arrêter la transmission du virus.
— Oui, mais en pratique, réussir à suivre tout le monde demande davantage de moyens humains, nécessite que les cas contacts puissent s’isoler sans pour autant arrêter de travailler, or ils vivent peut-être en famille, sont artisans…
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Retourner l’argument de l’adversaire (stratagème XXVI)
Un coup brillant est le retorsio argumenti, par lequel on exploite contre l’adversaire l’argument qu’il vient d’avancer. Si par exemple, celui-ci dit : « Ce n’est qu’un enfant, soyons indulgents », le retorsio serait : « Justement, parce que c’est un enfant, il faut le punir ou il gardera de mauvaises habitudes. »
Exemple : au cours du premier débat dans la course à la présidentielle américaine, en 2016.
Donald Trump : « [Pour être président] il y a tellement de choses différentes qu’il faut être capable de faire, et je ne crois pas qu’Hillary ait l’endurance.
Hillary Clinton (ex-cheffe de la diplomatie) : Une fois qu’il aura voyagé dans 112 pays et négocié un accord de paix, un cessez-le-feu, une libération de dissidents ou même passé 11 heures à déposer devant une commission du Congrès, alors il pourra me parler d’endurance. »
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Cacher son jeu (stratagème IV)
Quand on désire tirer une conclusion, il ne faut pas que l’adversaire vous voie venir, mais il faut tout de même lui faire admettre les prémisses un par un, l’air de rien, sans quoi le contradicteur tentera après coup de s’y opposer par toutes sortes de chicanes. S’il est douteux qu’il admette les prémisses, il faut établir des prémisses à ces prémisses, faire des présyllogismes et s’arranger pour les faire admettre, peu importe dans quel ordre. Vous cachez votre jeu jusqu’à ce que votre adversaire ait approuvé tout ce dont vous aviez besoin pour l’attaquer.
Exemple : Marion veut convaincre son compagnon, Simon, de faire la cuisine. Habituellement, il trouve toujours une pirouette pour échapper à cette activité, qu’il voit comme une perte de temps.
— Simon, manger des aliments de saison est bon pour la santé, n’est-ce pas ?
— Euh, oui, Marie…
— Hier, j’ai eu le temps d’aller faire le marché, j’ai pris des courges et des épinards frais. Je suis aussi passée chez le poissonnier que tu apprécies pour y acheter de la daurade.
— Merci.
— Tu ne m’as pas dit que le médecin t’avait conseillé plus d’oméga-3 ?
— Oui, c’est possible…
— Alors si on mangeait cette daurade ce soir ? Au fait, j’ai mon cours de yoga de 19 h à 20 h, tu veux bien t’occuper de la préparer ?
Fâcher l’adversaire (stratagème VIII)
La colère voile le jugement et l’adversaire perdra de vue où sont ses intérêts. Comment provoquer sa colère ? En étant injuste envers lui à plusieurs reprises, en multipliant les chicanes, bref en le provoquant.
Exemple : le 2 mai 2007, lors du débat entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy avant l’élection présidentielle, au bout de presque deux heures de joutes verbales, ce dernier évoque l’accompagnement des élèves handicapés. Il provoque une vive émotion chez la candidate socialiste. Elle l’accuse d’atteindre « le summum de l’immoralité politique ». L’échange se déroule ainsi :
— Jouer avec le handicap comme vous venez de le faire est scandaleux, c’est moi qui ai créé le plan Handiscol pour accueillir les enfants handicapés. J’avais créé 7 000 places d’aides-éducateurs d’accompagnement et c’est votre gouvernement qui a supprimé les aides éducateurs et le plan Handiscol. Vous le savez parfaitement ! Vous avez cassé cette politique-là ! Non, Monsieur Sarkozy, tout n’est pas possible dans la vie politique.
— Calmez-vous, ne me montrez pas du doigt avec cet index pointé. Pour être président de la République, il faut être calme.
— Non, pas quand il y a des injustices.
— Je ne sais pas pourquoi madame Royal a perdu ses nerfs. […] Vous vous mettez bien facilement en colère : un président de la République, c’est quelqu’un qui a des responsabilités très lourdes.
Gagner du temps (stratagème XXII)
Face à quelqu’un de pugnace, il peut être utile de retourner contre lui ses talents de raisonnement. Par exemple en sélectionnant une de ses thèses clés et en affirmant qu’il s’agit d’une « pétition de principe » non démontrée. Le temps passé à vous prouver la solidité de cette thèse ralentira le rythme de l’échange et vous fera gagner quelques minutes pour préparer le coup d’après.
Exemple : imaginons une réunion de travail dans une PME. La directrice financière, madame Laval, conteste un argument du directeur de production, monsieur Ramon :
— Madame Laval, nous savions dès l’an dernier qu’il allait falloir financer cette nouvelle ligne de production. Vous n’avez pas su anticiper ce besoin.
— En effet, mais pourriez-vous me rappeler le coût précis de la machine X et de la machine Y qui devaient s’intégrer dans cette ligne ?
— Je crois qu’elles coûtaient entre 100 000 et 140 000 euros…
— Nous ne pouvons pas nous contenter d’un à peu près ! Il faut estimer ce coût au plus juste !
— Écoutez, je dois aller vérifier dans les devis que j’ai reçus, nous en reparlerons ensuite, mais…
L’homonymie (stratagème II)
Il s’agit de jouer sur les différents sens, les différentes dimensions d’un mot pour réfuter un argument adossé à ce mot. On peut ainsi réfuter triomphalement l’argument adverse en utilisant un autre sens du mot. Démonstration avec le « communisme ».
Exemple : le 21 février 2016, l’émission Agora sur France Inter a pour thème « Être communiste au XXIe siècle ». Sont invités Pierre Laurent, secrétaire général du Parti communiste et Thierry Wolton, essayiste. Pierre Laurent utilise le stratagème de l’homonymie en faisant référence à un deuxième sens, distinct, du mot communisme. Thierry Wolton l’emploie pour parler du système politique, alors que Pierre Laurent désigne en ce terme une aspiration à lutter contre le capital et pour une meilleure répartition des richesses.
— Je pense évidemment à la Russie d’aujourd’hui, avec des oligarchies, avec un président tout-puissant, etc. Qui est aussi un héritage quelque part du communisme […]. Je pense à la Chine aujourd’hui qui reste un pays communiste, bien sûr, et qui évidemment a des ambitions internationales, lance Thierry Wolton.
— Vous, vous pensez que la Chine aujourd’hui est un pays communiste ?, l'interroge Pierre Laurent.
— Ah oui absolument, bien sûr. Ne serait-ce que dans son fonctionnement politique.
— […] La Chine, c’est un pays qui est très complexe, très difficile à lire, et vous dites avec beaucoup de certitude : « C’est le communisme en Chine. » […]. Vous nous parlez du communisme comme si c’était un bloc […]. De Marx à Lénine à Mao, tout ça, c’est la même chose […]. C’est un bloc idéologique, il n’y a pas la réalité, il n’y a pas de contradictions… Moi je pense que ce n’est pas cela. Je pense que l’histoire du siècle et demi passé, c’est celle d’une lutte, importante, entre les forces du capitalisme et des forces qui cherchent à s’en libérer. Et si on ne pense pas à ces contradictions, ces mouvements, ces luttes, je crois qu’on ne comprend pas grand-chose.
Interrompre et détourner le débat (stratagème XXVIII)
Si nous nous rendons compte que l’adversaire s’est lancé dans une série d’arguments qui va mener à notre défaite, il ne faut pas lui permettre d’arriver à sa conclusion, mais l’interrompre au milieu de son argumentation, le distraire et dévier vers d’autres sujets.
Exemple : lors du débat opposant Donald Trump et Joe Biden, le 29 septembre 2020, dans le cadre de la campagne présidentielle américaine, le candidat républicain n’a cessé de couper la parole à son adversaire lorsqu’il déroulait son argumentation.
Ce dernier a même fini par lâcher avec lassitude la phrase la plus retenue du débat « Will you shut up, man ? » (« Vas-tu la fermer ? »). Donald Trump peinait à reprendre la main, tentant continuellement d’interrompre Joe Biden, jusqu’à se faire fermement rappeler à l’ordre par le modérateur, le journaliste de Fox News Chris Wallace.
L’extension (stratagème I)
Il s’agit de reprendre la thèse adverse en l’élargissant au-delà de ses limites naturelles, en lui donnant un sens aussi général et large que possible, bref de l’exagérer, tout en campant sur les limites de ses propres positions. L’idée : plus une thèse est générale, plus il est facile de l’attaquer.
Exemple : lors de l’émission de télévision On n’est pas couché, du 4 février 2017, Laurent Ruquier questionne l’avocat Éric Dupond-Moretti au sujet de la procédure pénale, c’est-à-dire des règles à respecter lors de poursuites judiciaires, du jugement et lors de l’exécution d’une peine. Il souligne qu’un accusé peut être innocenté sur la forme, alors qu’il est coupable sur le fond.
— Mais alors, par exemple, vous êtes quand même d’accord pour dire que certains accusés vont avoir la possibilité d’avoir une armada d’avocats qui vont savoir dénicher le vice de procédure, chose que tout le monde ne peut pas avoir… Est-ce que ça n’est pas une injustice ?
— Oui c’est vrai, il y a 20 justices différentes, bien sûr. Bien sûr, Monsieur Ruquier, c’est vrai. Il vaut mieux avoir un bon avocat qu’un mauvais avocat, mais est-ce que ce n’est pas pareil – ça ne nous réconforte pas – en matière de médecine ? C’est exactement la même chose.
— Bien sûr, il y a une médecine à deux vitesses.
— Bon ben voilà, on le sait. Hélas, c’est comme ça.
N.B. : deux exemples sont inspirés de l’ouvrage Avoir raison avec Schopenhauer, de Guillaume Prigent (Librio).
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