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Vivre en société, c’est notre vraie nature
Idées
Vivre en société, c’est notre vraie nature
Source de spéculations philosophiques, la question de l’origine de la vie sociale des humains a aujourd’hui été résolue par la biologie de l’évolution.
Laurent Cordonier, Docteur en Sciences Sociales, Université Paris Diderot
On le constate aisément, les sociétés humaines ne sont pas toutes identiques. Elles peuvent, par exemple, comprendre un nombre très variable d’individus : de quelques dizaines, dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs, à plusieurs millions, dans les sociétés industrielles contemporaines.
Les sociétés diffèrent aussi grandement entre elles quant à leur mode d’organisation politique : démocraties, monarchies, régimes dictatoriaux, etc.
Une chose ne varie en revanche jamais : partout, les êtres humains vivent en société. Il s’agit là d’un fait qui nous paraît si évident que nous ne pensons généralement pas à nous interroger sur son origine.
Pourtant, cette question est longtemps restée source de spéculations philosophiques avant de trouver une réponse scientifique avec le développement de la biologie de l’évolution.
Un contrat social ?
Au cours de l’époque moderne, un certain nombre de philosophes ont proposé des récits sur l’origine de la société humaine.
Ces philosophes sont qualifiés de « théoriciens du contrat » car ils ont en commun d’imaginer que la société serait le fruit d’un contrat social passé entre des personnes qui vivaient jusqu’alors hors société, une situation présociale nommée « état de nature ».
Selon l’Anglais Thomas Hobbes (1588-1679), l’état de nature correspond à une « guerre de tous contre tous » : les individus sont en lutte permanente les uns contre les autres pour accéder aux ressources nécessaires à leur survie.
Rien n’étant légal ou illégal hors société, ils n’hésitent pas à recourir à la violence, voire au meurtre, pour parvenir à leurs fins.
Pour sortir de cette situation, les êtres humains auraient alors décidé de passer un contrat par lequel chacun d’eux s’engage à transférer son pouvoir à un même individu : le souverain. C’est à lui qu’incombe d’édicter et de faire respecter des lois garantissant la sécurité de ses sujets dans cette société nouvellement constituée. Le souverain n’est lui-même soumis à aucune loi ou contrainte externe.
Pour Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), à l’état de nature, les humains ne sont pas particulièrement mauvais ; ils sont même plutôt bons tant qu’ils vivent isolément. Cependant, dès lors qu’ils commencent à entrer en contact avec leurs semblables, ils se mettent à se comporter de façon égoïste, ce qui est source de violence entre eux.
Les humains auraient donc passé un contrat pour faire société et échapper aux tensions de la vie présociale. À la différence du contrat de Hobbes, celui de Rousseau consiste, pour chaque individu, à s’engager à poursuivre le bien commun en faisant correspondre sa volonté particulière avec la volonté générale.
Aux yeux de ces philosophes, le contrat social qu’ils imaginent ne correspond pas nécessairement à une réalité historique. Pour eux, Il s’agit bien plutôt d’une fiction théorique leur permettant de réfléchir à ce qui fait le cœur de l’organisation sociale : l’ordre et la sécurité garantis par un souverain unique tout-puissant, pour Hobbes ; le bien commun visé par des citoyens ayant fait de la volonté générale leur volonté particulière, pour Rousseau.
Nos cousins les bonobos
C’est la science, et non la philosophie, qui a résolu la question de l’origine de la société humaine. La biologie de l’évolution a en effet montré que nous n’avons jamais connu d’état présocial : la vie en société est notre vrai « état de nature » (1).
Comme tous les êtres vivants qui peuplent la planète, les êtres humains sont le résultat d’une longue histoire évolutive. Or, les espèces, dont la nôtre descend, étaient déjà des espèces sociales. Nous n’avons ainsi jamais commencé à vivre en société, puisque nous avons hérité cette caractéristique des espèces de primates pré-humains aujourd’hui disparues.
D’ailleurs, nos cousins actuels – les chimpanzés et les bonobos, notamment – vivent eux aussi en société depuis leur apparition. Cela n’est guère surprenant, puisque le fait que ces espèces nous soient proches du point de vue de l’évolution signifie que nous partageons avec elles des ancêtres assez récents. C’est de ces ancêtres communs que nos cousins et nous tenons notre mode de vie social.
Vivre en société n’est ainsi pas le fruit d’une décision contractuelle. Cela nous est naturel, comme le fait de marcher sur nos deux jambes. Notre longue préhistoire sociale a même abouti à nous doter d’un authentique cerveau social. C’est ce que nous verrons dans le prochain numéro.
En groupe pour survivre
Le célèbre primatologue Frans de Waal nous rappelle notre nature sociale : « Il n’y a jamais eu un moment où nous sommes devenus sociaux : descendants d’ancêtres hautement sociaux – une longue lignée de primates – nous avons vécu en groupe depuis toujours. […] Les humains ont commencé […] interdépendants, liés et inégaux. Nous venons d’une longue lignée d’animaux hiérarchiques pour lesquels la vie en groupe n’est pas une option, mais une stratégie de survie. »
Primates and Philosophers : how morality evolved, F. De Waal, S. Macedo et J. Ober, Princeton University Press, p. 4, 2006. En français : Primates et Philosophes, e-book chez Le Pommier, 2008
Pour aller plus loin
(1) Voir : La Nature du social. L’apport ignoré des sciences cognitives, L. Cordonier, Presses Universitaires de France