Doubler la rémunération des enseignants en cinq ans, supprimer toutes les cotisations sur les salaires pour améliorer le pouvoir d’achat, faire disparaître l’impôt sur la fortune pour que l’argent des riches ruisselle sur les plus désargentés : voilà quelques engagements pour tous les goûts, du genre de ceux que l’on voit fleurir pendant les campagnes électorales.
Ces promesses, malgré leur invraisemblance, séduisent beaucoup d’électeurs. La faute à notre cerveau, pas toujours bien armé pour résister aux propositions les plus démagogiques, notamment dans le domaine complexe de l’économie.
Défaut de formation
La psychologie cognitive, qui étudie le fonctionnement de notre cerveau, permet d’éclairer ces « failles » dans notre raisonnement. Celui-ci repose sur un système dual (dual reasoning) qu’explique Lou Safra, chercheuse en psychologie politique au Cevipof :
« Deux systèmes de raisonnement s’affrontent chez chacun d’entre nous : le système un est rapide et intuitif, il dépend de nos habitudes, il est donc sujet à des biais de raisonnement et à des raccourcis ; le système deux est plus lent, plus coûteux en ressources cognitives, car il demande de traiter plus d’informations, de raisonner. En fonction des situations auxquelles nous sommes confrontés, nous allons fonctionner avec le système un ou le système deux. »
Doubler la rémunération des enseignants en cinq ans, supprimer toutes les cotisations sur les salaires pour améliorer le pouvoir d’achat, faire disparaître l’impôt sur la fortune pour que l’argent des riches ruisselle sur les plus désargentés : voilà quelques engagements pour tous les goûts, du genre de ceux que l’on voit fleurir pendant les campagnes électorales.
Ces promesses, malgré leur invraisemblance, séduisent beaucoup d’électeurs. La faute à notre cerveau, pas toujours bien armé pour résister aux propositions les plus démagogiques, notamment dans le domaine complexe de l’économie.
Défaut de formation
La psychologie cognitive, qui étudie le fonctionnement de notre cerveau, permet d’éclairer ces « failles » dans notre raisonnement. Celui-ci repose sur un système dual (dual reasoning) qu’explique Lou Safra, chercheuse en psychologie politique au Cevipof :
« Deux systèmes de raisonnement s’affrontent chez chacun d’entre nous : le système un est rapide et intuitif, il dépend de nos habitudes, il est donc sujet à des biais de raisonnement et à des raccourcis ; le système deux est plus lent, plus coûteux en ressources cognitives, car il demande de traiter plus d’informations, de raisonner. En fonction des situations auxquelles nous sommes confrontés, nous allons fonctionner avec le système un ou le système deux. »
Par exemple, en cas de menace ou de contexte inquiétant, on aura plus tendance à fonctionner selon le système un ; ce qui explique qu’en période d’incertitude économique ou politique, les discours démagogiques, plus faciles à comprendre et donc plus rassurants, auront plus d’impact.
À lire La machine infernale des « fake news »
Se projeter dans l’avenir, penser en « grandes masses » ou extrapoler n’est pas accessible à tous, car notre cerveau n’est pas armé pour traiter des informations complexes. Cette limite a un impact sur notre vote, mais aussi sur nos choix en matière de placements financiers : on préférera souvent un gain modeste, mais rapide, plutôt qu’un gain plus important, mais lointain.
Le monde est créé sans intention supérieure, par le fait du hasard – tout comme l’économie. C’est ce qui la rend difficile à appréhender et à comprendre.
Sebastian Dieguez,chercheur en psychologie à l’université de Fribourg
Le fonctionnement de notre cerveau n’explique pas à lui seul notre perméabilité aux discours démagogiques. Au double raisonnement et à nos biais de perception, vient s’ajouter le fait que beaucoup d’entre nous ont du mal à comprendre comment fonctionne l’économie, faute de formation académique suffisante.
Sebastian Dieguez, chercheur en psychologie à l’université de Fribourg (Suisse) et auteur, avec Sylvain Delouvée, du Complotisme : cognition, culture, société (Mardaga, nov. 2021), voit là un parallèle avec la théorie de l’évolution, « un concept difficile à comprendre car contre-intuitif : le monde est créé sans intention supérieure, par le fait du hasard – tout comme l’économie. C’est ce qui la rend difficile à appréhender et à comprendre ».
Force du simplisme
Faute d’un bagage économique, l’électeur se fonde essentiellement sur son expérience du quotidien, ce que les chercheurs appellent l’« économie naïve ». Le déficit de compréhension des phénomènes économiques explique pourquoi des citoyens vont adhérer à des théories plus simples à comprendre, comme celle du ruissellement : elle affirme que plus les riches sont riches, plus ils dépensent et plus la société dans son ensemble en profite.
Folk economics
« L’économie populaire », en anglais. Désigne une économie « intuitive », voire naïve, c'est-à-dire telle que perçue par les personnes sans formation particulière en économie.
« Sauf que dans les faits, cette théorie ne se vérifie pas, les riches investissent où ils veulent », explique le chercheur suisse. De même, il se trouvera des électeurs pour croire ce responsable politique qui promet de supprimer les cotisations sur les salaires, pour que le brut et le net se confondent, sans comprendre que ces cotisations salariales non versées devront être récupérées d’une autre façon. L’argent public, comme l’argent privé, existe en quantité limitée.
Mythe d’une élite aux règles secrètes
Les critiques de la finance sont particulièrement efficaces auprès des électeurs, car celle-ci a une mauvaise image d’inéquité et d’irresponsabilité. Les placements à risques provoquent un rejet chez de nombreux Français.
L’être humain n’aime pas le hasard et les incertitudes, il préfère s’imaginer que la finance est un théâtre d’influence où une élite disposant d’informations privilégiées que les communs des mortels n’ont pas, tire des ficelles à partir de règles secrètes. « Et pourtant, si on schématise, la finance est plus proche d’un jeu de casino subtil où les joueurs ne sont pas gagnants à tous les coups, loin de là », souligne Sebastian Dieguez.
Cette approche de l’élite qui « cache quelque chose » explique également pourquoi les complotistes, qui croient voir une main invisible derrière toutes les institutions (politiques, bancaires, médiatiques…), sont des victimes idéales pour les arnaqueurs qui vont les prendre à leur propre piège.
Lire aussi ENA, Sciences Po, prépa : toujours aussi peu de diversité
Il suffit au commercial de flatter leur tendance à se méfier de tout, et de leur proposer des investissements « dont personne ne parle », en leur promettant des informations « que personne ne connaît », pour les faire plonger et sortir leur carnet de chèques : « C’est le drame du complotiste, s’amuse le chercheur suisse. Il ne fait pas confiance à la presse, mais il est prêt à confier ses économies au premier venu sur Internet qui lui promet des investissements confidentiels dans des produits à très haut rendement. Sa méfiance se retourne contre lui. »
Même les politiques s’emmêlent parfois dans leur critique de l’économie, par excès de démagogie, ou de populisme, comme le relève Sebastian Dieguez : « Pendant la campagne présidentielle américaine de 2016, Bernie Sanders affirmait en même temps que la finance était devenue un jeu de casino à la merci d’algorithmes incontrôlables et qu’elle était truquée par l’élite, en défaveur des petites gens, pour mieux enrichir une poignée d’individus. » Deux propositions pas vraiment compatibles.
Lire aussi Lors des élections américaines, « c’est presque toujours le plus riche qui gagne »