1. Accueil
  2. Portraits d'Économistes
  3. Alfred Marshall et l’équilibre partiel

Portraits d'Économistes

Alfred Marshall et l’équilibre partiel

Cet économiste britannique est à l’origine du principe d’équilibre partiel, au cœur de l’économie moderne. En rupture avec l’approche théorique et abstraite en place avant lui,  Marshall peut être considéré comme le leader de la nouvelle science économique, toujours dominante aujourd'hui.

Manon Touchard
,

© Domaine public

Qui suis-je ?

Économiste britannique de la fin du XIXe siècle, Alfred Marshall (1842 – 1924) est considéré comme le père fondateur du néoclassicisme (ou néolibéralisme), un des courants de pensée économique encore dominant.

On lui doit le principe de l’équilibre partiel tel qu’il est encore utilisé en économie. Il est déterminé par un prix et une quantité au point de rencontre entre la courbe de l’offre, croissante, et la courbe de la demande, décroissante, sur chaque marché. Sa théorie réunit les concepts d’offre et de demande, de prix, de coût et d’utilité marginale.

Professeur à l’université de Cambridge, c’est auprès de lui que John Maynard Keynes débute sa carrière. Alfred Marshall l’informa alors que tout ce qu’il est possible de connaître en économie se trouve dans ses livres. Tout nouvel économiste serait donc condamné à rabâcher son travail.

À lire > Le paradoxe de l’eau et du diamant, réflexion autour de la rareté et de l’utilité du bien.

Plus largement, Alfred Marshall est à l’origine de la professionnalisation de la discipline dès le XIXe siècle et peut être considéré comme le leader de la nouvelle science économique qui domine encore la réflexion économique actuelle.

Jusqu’alors, l’économie de marché était définie par le trio composé de William Stanley Jevons, Carl Menger et Léon Walras depuis le début des années 1870. Ils héritent des travaux de David Ricardo, favorable à une approche libérale, théorique et abstraite.

Équilibre partiel contre équilibre général

Prolongeant les théories de Léon Walras sur l’équilibre général, Alfred Marshall s’y oppose avec son principe d'équilibre partiel.

L’équilibre général est caractérisé par des biens substituables aux yeux du consommateurs. Il est qualifié ainsi, car prend en compte tous les biens et interactions économiques à l’œuvre à un instant T. Le consommateur adapte sa demande au prix imposé par les firmes : les quantités sont donc fonction du prix.

L'équilibre partiel est, lui, construit sur chaque marché, pour chaque bien : lorsque l’équilibre est atteint sur un marché, il ne l’est pas nécessairement sur tous les autres marchés. L’équilibre est ainsi défini différemment sur le court et le long terme.

À court terme, les coûts de production sont fixes et l’offre des entreprises ne peut s’adapter aux fluctuations de la demande. Le prix est défini par l’utilité du bien : plus la satisfaction du consommateur augmente quand il consomme un bien, plus il est enclin à payer un prix élevé. La formation de l’équilibre se rapproche alors de celle de l’équilibre général.

À lire > Investir dans un vaccin, est-ce rentable pour une entreprise ?

À long terme, Alfred Marshall centre sa théorie sur l’offre des firmes qui vendent tant que le coût de production d’une unité supplémentaire produite rapporte plus que son prix. Elles cessent de produire lorsque leur coût marginal équivaut au prix de vente. Dans le cadre de l’équilibre partiel, le prix est donc fonction des quantités produites.

Dans cette approche, la formation du prix dépend essentiellement du coût de production du bien puisque l’entreprise peut varier ses capacités de production et ainsi bénéficier des rendements croissants de sa production. La formation du prix se rapproche de la construction de la théorie libérale selon laquelle la valeur du bien est fonction de la quantité de travail investie pour sa production.

Tout comme la formation du prix, les rendements d’échelle de l’entreprise sont différents à court terme et à long terme : c’est la théorie des rendements non proportionnels. À court terme, les rendements croissants dominent la productivité marginale du travail grâce à la division du travail.

Au contraire, à long terme, les rendements de la firme sont décroissants puisque l’unité de production la plus productive est utilisée en premier.

L’entreprise bénéficie alors d’économies d’échelle de deux types : internes et externes. Les premières sont endogènes, c’est-à-dire qu’elles sont réalisées grâce à l’expérience de production de la firme qui lui permet d’améliorer sa technique et son organisation. Les secondes sont exogènes, c’est-à-dire qu’elles dépendent des améliorations de l’environnement de la firme qui en bénéficie sans en être à l’origine.

Ce passage des rendements croissants aux rendements décroissants suivent l’évolution naturelle d’une firme.

Le bien-être économique face au paradoxe de la pauvreté

L’économie du bien-être précède Alfred Marshall, qui lui a apporté un outil de mesure monétaire. Il voit le surplus du consommateur comme une évaluation de son bien-être économique. Ainsi, le bien-être économique d’un individu est représenté par le flux de satisfaction procurée par la dépense de son revenu.

Dans sa théorie du bien-être, l’économie intègre aussi l’idée d’un bien-être moral, qui au contraire du bien-être économique défini de manière quantitative, est défini de manière normative. Il regroupe des notions telles que la satisfaction que procure la réalisation d’un travail.

À lire > À quels indicateurs économiques tient le bonheur ?

Mais Alfred Marshall fait face au « paradoxe de la pauvreté au sein de l’abondance ». Il demande alors à l’État d’intervenir dans les sphères éducatives, privées et économiques pour briser le cercle structurel de la pauvreté : « L’organisation d’un État libre et bien administré doit être regardée à certains égards comme un élément important de la richesse nationale. »

À lire > Le budget de l’État : il vient d’où et il sert à quoi ?

Pour mesurer le bien-être économique d’une entreprise, le Britannique applique le même raisonnement. En juxtaposant le surplus des producteurs et celui des consommateurs sur un même marché, il montre qu’une situation d’équilibre entre les quantités offertes et demandées ne correspond pas systématiquement à une situation de satisfaction globale maximum, comme le soutiennent les économistes libéraux.

L’esprit du temps nous incite à examiner avec plus d’attention la question de savoir si notre richesse croissante ne pourrait pas servir, plus qu’elle ne le fait, à développer le bien-être général.
Alfred Marshall,

dans Principles of Economic, 8th édition, 1920.

Mes dates clés et principaux ouvrages

1842 Naissance à Bermondsey (Londres)

1879 The Economics of Industry

1890 Principles of Economic : principal ouvrage d’Alfred Marshall. Il a été le manuel d’économie dominant aux États-Unis, mais a subi de vives critiques dès sa sortie, notamment concernant sa mesure monétaire qui ne mène pas à un montant homogène d’utilité ou de bien-être. Il a connu huit rééditions du vivant de l’auteur.

1885 Élection à la chaire d’économie politique de Cambridge

1919 Industry and Trade

1923 Money, Credit and Commerce

1924 Mort à Cambridge

Un individu attaché simplement à des fins matérielles n’est qu’une pauvre créature.
Alfred Marshall,

dans Industry and Trade, 1919.