Portraits d'Économistes

Arthur Cecil Pigou et les externalités

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Illustration de l'article Arthur Cecil <span class="highlighted">Pigou</span> et les externalités

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Qui suis-je ?

Arthur Victoria Cecil Pigou (1877-1959) est un économiste anglais. Adversaire néo-classique de Keynes, il préfigure l’économie de l’environnement par ses travaux sur le bien-être, champ de l’économie étudie les conditions dans lesquelles on peut assurer le maximum de satisfaction aux individus qui composent la société.

À la lumière de la crise des années 1930, il s’interroge sur l’allocation optimale des facteurs de production : il milite en faveur d’une flexibilité des salaires susceptible de faire disparaître le chômage, mais aussi de la compensation des défaillances de marché.

En étudiant un certain nombre de situations non optimales (situations dans lesquelles on peut améliorer le bien-être d’un individu sans détériorer celui d’un autre), l'économiste britannique a mis en avant avant le rôle déterminant des externalités, positives et négatives.

On a donné son nom à la « taxe Pigou » et à l’« effet Pigou ».

Tout chômage quelconque a uniquement sa cause dans le fait que des changements dans les conditions de la demande ont lieu sans cesse, et que les résistances de frictions empêchent que l’ajustement des salaires appropriés ne s’effectue instantanément.
Arthur Cecil Pigou,

Économiste britannique

Mes dates clés

- Naissance : le 18 novembre 1877 à Ryde, dans le sud de l'Angleterre.

- 1920 : Publication de The Economics of Welfare (Économie du bien-être). Cet ouvrage a fourni une solution au problème très discuté des externalités associées aux inefficacités du marché comme dans le cas de la pollution. 

- Mort : le 7 mars 1959 à Cambridge (Angleterre).

Sa thèse : 

Montrant que les défaillances de marché ont des effets sociaux le plus souvent négatifs, il préconise que le décideur public taxe (ou rétribue) les conséquences involontaires de l’activité économique.

"L’essence du phénomène est qu’une personne A, en même temps qu’elle fournit à une autre personne B un service déterminé pour lequel elle reçoit un paiement, procure par là même des avantages ou des inconvénients d’une nature telle qu’un paiement ne puisse être imposé à ceux qui en bénéficient, ni une compensation prélevée au profit de ceux qui en souffrent. […]

Il est clair que les divergences entre le produit social marginal net et le produit privé marginal net identiques à celles que nous avons étudiées jusqu’à présent, ne peuvent pas, comme pour les divergences résultant des lois sur les baux, être atténuées par une modification de la relation contractuelle existant entre deux parties contractantes, quelles qu’elles soient, parce que les divergences résultent d’un service ou d’un désagrément touchant des personnes autres que les parties contractantes.

Il est, quoi qu’il en soit, possible pour l’État, s’il en décide ainsi, de supprimer la divergence dans n’importe quel secteur par des incitations extraordinaires ou des restrictions extraordinaires portant sur les investissements opérés dans le secteur concerné.

Les formes les plus évidentes que ces incitations et restrictions peuvent prendre sont, bien entendu, celles des primes et des taxes. […]

Aucune main invisible n’est susceptible de générer un bon arrangement pour un ensemble sur la base d’une combinaison des traitements individuels des parties. Il est par conséquent nécessaire qu’une autorité de plus grand ressort puisse intervenir et s’attaquer aux problèmes collectifs de beauté, de l’air et de la lumière, de la même manière que l’on s’est attaqué à ces autres problèmes collectifs du gaz et de l’eau. […]

Le champ de nos investigations se trouve restreint à cette partie du bien-être social qui peut être directement ou indirectement rapportée à l’étalon monétaire. Cette partie du bien-être peut être dite bien-être économique."

Arthur Cecil Pigou, Économie du bien-être, chap. « Le concept d’effet externe », 1920

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Dessin Gilles Rapaport

Ça se discute… 

L'analyse contemporaine, par Martial Poirson, Professeur à l’Université Paris 8

Pigou prolonge les Principes (1890) d’Alfred Marshall sur les externalités, les intégrant à l’économie du bien-être. Il définit l’impact indirect (positif ou négatif) de la production ou consommation d’un agent économique (individu ou entreprise), exerçant une influence sur d’autres agents, ne faisant l’objet d’aucune transaction.

Ce sont des avantages ou dommages n’entraînant aucune contrepartie monétaire, révélant une défaillance de marché qui engendre un « coût externe » et provoque un écart entre coûts social et privé. La pollution est caractéristique d’une externalité négative, qu’elle soit physique, chimique ou sonore. 

Elle résulte souvent de l’utilisation abusive, à des fins mercantiles, de ressources non marchandes relevant du bien commun telle que l’eau ou l’air, et entraîne un coût social ou écologique pour la collectivité.

De même, la consommation de cigarettes encouragée par l’industrie du tabac induit des coûts médicaux et des pertes économiques liées à la réduction de l’espérance de vie. La pollinisation des champs et vergers par les abeilles de l’apiculteur constitue quant à elle, pour les agriculteurs, une externalité positive étudiée par James Mead dès 1952.

Afin de corriger ces défaillances de marché entraînant une discordance entre intérêts publics et privés, Pigou préconise l’intervention de pouvoirs publics chargés de réguler les effets de l’activité économique, voire à se substituer au marché pour administrer les conditions d’accès aux biens collectifs dont personne ne doit être exclu.

Il insiste sur la nécessité de créer, non seulement des systèmes de pénalisation des préjudices, mais encore de gratification des bénéfices indirects. Les externalités positives donc peuvent faire l’objet de rétribution, aspect souvent occulté au profit de la seule taxation du « pollueur-payeur », expression qui lui est indûment attribuée.

En l’absence de contrepartie monétaire aux externalités, il convient donc d’inventer des systèmes de compensation. Internaliser les externalités revient à intégrer les coûts et éventuels avantages sociaux dans le calcul économique.

Il existe pour cela trois types de leviers politiques. Le « décret d’obligations », voire d’interdictions, qui vise à mettre en œuvre des normes de production soutenables ; les incitations fiscales ou taxes écologiques (dite « taxes Pigou ») pour les activités polluantes et de façon symétrique de subventions ou déductions fiscales pour favoriser l’adoption de technologies moins nocives, comme la prime à la voiture propre dans l’industrie automobile ; l’attribution aux entreprises de quotas de « droits à polluer » sur un marché secondaire, comme la taxe carbone, afin d’intégrer l’estimation du coût social de l’émission de gaz carbonique.

Un tel dirigisme émanant d’un penseur pourtant classique est contesté par les libéraux. Ils objectent que l’action publique elle-même génère un coût qui peut s’avérer élevé et contribue à perturber l’équilibre général.

En cause, les coûts de transaction qui augmentent sous l’impact de mesures de régulation, un préjudice engendré par une externalité négative difficile à évaluer et l’identification de la partie lésée incertaine, tout comme le consentement à payer de la partie incriminée ou même l’effet désincitatif de la taxe.

En effet, certaines entreprises préfèrent payer les pénalités, qu’elles intègrent aux coûts de production et répercutent sur les prix, que d’investir dans une réelle stratégie de recherche-développement et d’innovation.

Ronald Coase, reprenant à son compte l’hypothèse d’externalité, rejette la solution interventionniste. Il démontre qu’il est possible d’obtenir un accord gagnant-gagnant négocié de gré à gré, en l’absence d’instance de contrainte ou de contrôle. Il permet la maximisation de la valeur du produit collectif et l’allocation optimale des ressources, même en situation de coût social.

Cependant, cette transaction s’effectue, selon lui, en l’absence de coût de transaction, hypothèse difficilement vérifiable empiriquement…

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