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John Maynard Keynes et le multiplicateur
Portraits d'Économistes
John Maynard Keynes et le multiplicateur
Ses idées ont inspiré la politique interventionniste du New Deal, mise en œuvre dans les années 1930 par le gouvernement américain, mais aussi la plupart des politiques économiques occidentales jusque dans les années 1970 et au-delà.

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Qui suis-je ?
John Maynard Keynes est l’un des grands économistes du XXe siècle. Sa Théorie générale pose les fondements de la macroéconomie en analysant les causes des fluctuations et du sous-emploi. Le schéma keynésien, selon lequel le niveau d’activité à court terme est déterminé par la demande, fonde encore la plupart des modèles des administrations et des grandes entreprises.
Ses idées ont inspiré la politique interventionniste du New Deal, mise en œuvre dans les années 1930 par le gouvernement américain, mais aussi la plupart des politiques économiques occidentales jusque dans les années 1970 et au-delà. Keynes a également joué un rôle essentiel dans la mise en place des institutions de Bretton Woods, en 1944, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Il s’est plusieurs fois enrichi et ruiné en spéculant à la bourse.
Les autorités monétaires ont tendance à se concentrer sur les dettes à court terme.John Maynard Keynes
Mes dates clés
- Naissance : Le 5 juin 1883, à Cambridge en Angleterre
- 1919 : Devient un auteur à succès avec la publication de l'ouvrage Les conséquences économiques de la paix.
- 1936 : Publication de la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie
- Mort : Le 21 avril 1946, à Firle, en Angleterre
Sortir de « la trappe à liquidité » : les conseils de Keynes
En fonction de la quantité de monnaie créée par l’autorité monétaire, il y aura (…) un taux d’intérêt déterminé ou, plus strictement, un ensemble déterminé de taux d’intérêt pour des dettes de durée différente. (…)
Si l’autorité monétaire était disposée à traiter (…) des dettes de toutes échéances, (…) la relation entre l’ensemble des taux d’intérêt et la quantité de monnaie serait directe. (…) Une offre complexe de la banque centrale d’acheter (…) des obligations d’État de toutes les échéances (…) est peut-être l’amélioration pratique la plus importante que l’on puisse apporter à la technique de gestion monétaire.
(…) Dans la pratique, les autorités monétaires ont souvent tendance à se concentrer sur les dettes à court terme et à laisser le prix des dettes à long terme être influencé par des réactions tardives et imparfaites du prix des dettes à court terme ; bien que, là encore, il n’y ait aucune raison pour qu’elles le fassent. (…) Si l’autorité monétaire ne s’occupe que des dettes à court terme, il faut se demander quelle est l’influence du prix (…) des dettes à court terme sur les dettes à plus longue échéance.
Il y a donc certaines limites à la capacité de l’autorité monétaire d’établir un ensemble donné de taux d’intérêt pour des dettes de durée et de risques différents, que l’on peut résumer comme suit :
(1) (…) [Les] pratiques de l’autorité monétaire qui limitent sa volonté de traiter des dettes d’un type particulier.
(2) Il est possible (…) qu’après que le taux d’intérêt a atteint un certain niveau, la préférence pour la liquidité de-vienne pratiquement absolue, en ce sens que presque tout le monde préfère les liquidités à la détention d’une dette qui rapporte un taux d’intérêt aussi bas. Dans ce cas, l’autorité monétaire aurait perdu le contrôle effectif du taux d’intérêt. (…) Aux États-Unis, à certaines dates en 1932, il y a eu une crise de liquidation, où personne ne pouvait être incité à se séparer de ses avoirs monétaires à des conditions raisonnables.
Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt, et de la monnaie (chapitre 15)
(Traduction deepL, source : https://www.marxists.org/reference/subject/economics/keynes/general-theory/ch15.htm)
Ce texte visionnaire de Keynes nous explique ce qu’est une « trappe à liquidité » et expose, déjà, quelques moyens d’y remédier. Lorsque la banque centrale injecte de la monnaie dans l’économie, nous savons qu’elle fait baisser les taux d’intérêt. Pourquoi ? Parce que, pour que le secteur privé soit prêt à détenir ces liquidités supplémentaires, le rendement des autres actifs (actions, bons du Trésor, etc.) doit baisser. Cette baisse des taux relance ensuite l’économie, car elle rend plus facile pour les entreprises le financement de leurs investissements.
Le processus atteint ses limites lorsque l’économie se trouve dans une trappe à liquidité. Il s’agit d’une situation où le secteur privé est prêt à détenir toute monnaie supplémentaire injectée par l’État à taux d’intérêt in-changé. Un exemple typique de trappe à liquidité surgit lorsque les taux d’intérêt sont nuls (zero lower bound) ; ils ne peuvent pas devenir négatifs, car alors le simple fait de convertir toute son épargne en espèces permettrait d’obtenir un rendement nul, donc supérieur.
Ainsi, dans une trappe à liquidité, la politique monétaire traditionnelle devient inopérante, car impuissante à faire baisser le taux d’intérêt. Une trappe à liquidité a d’autant plus de chances de se produire que l’économie se trouve en déflation (c’est-à-dire que les prix baissent). En effet, si j’anticipe une baisse des prix de 5 %, le pouvoir d’achat de chaque euro détenu augmente de 5 %. Détenir de la monnaie me garantit, en conséquence, un taux d’intérêt réel de 5 %. La déflation tend donc à accroître le coût réel du crédit, ce qui nuit à l’activité économique. La banque centrale voudra naturellement compenser cela en réduisant les taux d’intérêt, avec un risque accru de buter sur le plancher du taux nul.
Ainsi, le Japon a connu deux décennies de déflation, entre 1992 et 2012, période pendant laquelle l’indice des prix a chuté d’environ quinze points. La banque centrale a réagi en réduisant ses taux d’intérêt, mais ceux-ci ont buté sur le zero lower bound, en 1998. De même, après la récession de 2008, qui a déclenché une baisse de l’inflation voire quelques épisodes sporadiques de déflation, la Fed américaine a fait baisser ses taux, tombant dans une trappe à liquidité, entre 2009 et 2015. Les taux directeurs de la BCE deviennent nuls à leur tour, en 2012.
Pour tenter de pallier l’inefficacité de la politique monétaire en cas de trappe à liquidité, des méthodes déjà préconisées par Keynes dans la citation ci-dessus ont été envisagées, voire mises en œuvre. Les programmes d’assouplissement quantitatifs (quantitative easing) mis en place par de nombreuses banques centrales, après la crise de 2008, visent à pallier les difficultés associées à des taux courts nuls en agissant directement sur les taux longs. Comment ? En achetant des bons du Trésor à long terme. C’est ce que Keynes qualifie plus haut d’« amélioration pratique la plus importante que l’on puisse apporter à la technique de gestion monétaire ».
Autre solution pour échapper à la trappe : plutôt que de transiter par le système bancaire, la banque centrale pourrait injecter de la monnaie dans l’économie en achetant directement des biens et services. De telles politiques, qualifiées parfois de « helicopter money », ont été récemment proposées comme une méthode créative pour sortir de la trappe à liquidité.
Après la crise de 2008, ces différentes politiques non conventionnelles semblent avoir fonctionné, puisqu’elles ont maintenu à un niveau très faible les taux d’intérêt sur la dette publique. Elles ont mis un frein à la crise de la dette souveraine dans la zone euro. Mais certains reprochent à ces politiques des inconvénients sérieux : risque de dérive de la politique monétaire vers un financement inflationniste des dépenses publiques ; risque de ré-amorcer des bulles spéculatives sur les marchés d’actifs lorsque les épargnants, à la recherche de rendements meilleurs, se rabattent sur les actions ou l’immobilier ; risque d’intrusion de la banque centrale dans les décisions de politique économique, à travers des méthodes d’injection monétaire potentiellement biaisées.
Dessin de Gilles Rapaport