Portraits d'Économistes
Arthur Laffer et sa courbe sur l'(in)efficacité de l'impôt

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Qui suis-je ?
Arthur Laffer, né en 1940, est considéré comme l’un des chefs de file de « l’économie de l’offre », qui accorde un rôle crucial aux incitations. Les idées qu’il a popularisées ont eu une influence importante sur les politiques de réduction d’impôt de différents gouvernements républicains américains, notamment celui de Ronald Reagan (1980-1988).
L’effet arithmétique fonctionne toujours dans le sens inverse de l’effet économique.Arthur Laffer
Sa théorie : Trop d’impôt tue l’impôt
Cette formule résume une célèbre courbe en cloche qui porte le nom de son auteur, l’économiste américain Arthur Laffer, et qui connut un grand succès dans les années 1980 pendant la présidence de Ronald Reagan.
Elle tente de montrer qu’à partir d’un certain seuil d’imposition, les contribuables cherchent soit à réduire leurs activités qui constituent les assiettes des prélèvements (en travaillant ou en épargnant moins), soit à s’exiler (comme certains sportifs, artistes, jeunes diplômés ou entreprises), soit à frauder (marchés parallèles – cigarettes, travail au noir –, paradis fiscaux…). La relation entre les recettes fiscales de l’État et le niveau de taxation est donc négative. Cela pose la question essentielle des incitations et de l’efficience de la fiscalité.
Au-dessous d’un certain taux, variable selon le degré de consentement à l’impôt des populations, l’accroissement des prélèvements incite à travailler et à gagner plus, pour compenser et retrouver son niveau de vie d’avant imposition.
C’est "l’effet de revenu". L’État y gagne, car ses recettes fiscales augmentent, mais aussi l’économie. Cependant, au-delà d’un niveau maximal ou optimal d’imposition, un "effet de substitution" entre en jeu et pousse le contribuable à travailler et à gagner moins.
La croissance, l’investissement et l’emploi faiblissent et le rendement de l’impôt diminue, l’alourdissement de la fiscalité étant considéré comme confiscatoire et destructeur. Selon Laffer, l’effet de substitution l’emporte sur l’effet de revenu lorsque les taux dépassent un certain seuil.
Antérieurement, Jean-Baptiste Say (au XIXe siècle), Ludwig von Mises (au XXe siècle) ou encore John Maynard Keynes avaient signalé, comme l’écrivit ce dernier dans "The Means To Prosperity" (1933) : "Il ne devrait pas sembler étrange que la fiscalité puisse être si élevée qu’elle puisse aller à l’encontre de son objectif." Le récent "ras-le-bol fiscal" français semble signaler que le niveau de la fiscalité a désormais atteint le seuil d’intolérance.
Mes dates clés
- Naissance : 14 août 1940, Youngstown, Ohio, États-Unis
- 1972: Doctorat de Sciences économiques décroché à l'université de Stanford
Trop d'impôt tue l'impôt : L’implacable courbe de Laffer
L’idée de base qui sous-tend la relation entre les taux d’imposition et les recettes fiscales, c’est que les modifications des taux d’imposition ont deux effets sur les recettes : l’effet arithmétique et l’effet économique.
L’effet arithmétique, d’abord : si les taux d’imposition sont abaissés, les recettes fiscales (par dollar d’assiette fiscale) seront réduites du montant de la baisse du taux. L’inverse est vrai pour une augmentation des taux d’imposition.
L’effet économique, cependant, reconnaît l’effet positif que des taux d’imposition moins élevés ont sur le travail, la production et l’emploi – et donc sur l’assiette fiscale – en offrant des incitations pour accroître ces activités. Le relèvement des taux d’imposition a l’effet économique inverse en pénalisant la participation aux activités taxées. L’effet arithmétique fonctionne toujours dans le sens inverse de l’effet économique.
Par conséquent, lorsque les effets économiques et arithmétiques des changements de taux d’imposition sont combinés, les conséquences du changement des taux d’imposition sur les recettes fiscales totales ne sont plus aussi évidentes. (…)
À un taux d’imposition de 0 pour 100, le gouvernement ne percevrait aucune recette fiscale, peu importe l’importance de l’assiette fiscale.
De même, à un taux d’imposition de 100 pour 100, le gouvernement ne percevrait aucune recette fiscale parce que personne ne travaillerait volontairement pour un salaire après impôt égal à zéro – c’est-à-dire qu’il n’y aurait plus d’assiette fiscale.
Entre ces deux extrêmes, il y a deux taux d’imposition qui perçoivent le même montant de recettes : un d’imposition élevé sur une petite assiette fiscale et un taux d’imposition faible sur une grande assiette fiscale.
La courbe de Laffer elle-même ne dit pas si une réduction d’impôt entraînera une hausse ou une baisse des revenus. La réaction des recettes à un changement de taux d’imposition dépendra du régime fiscal en place, de la période considérée, de la facilité de passage aux activités souterraines, du niveau des taux d’imposition déjà en place, de la prévalence des échappatoires fiscales d’ordre juridique et comptable et des tendances des facteurs de production.
Si le taux d’imposition actuel est trop élevé – dans la “fourchette prohibitive” indiquée ci-dessus – alors une réduction du taux d’imposition entraînerait une augmentation des recettes fiscales. L’effet économique de la réduction d’impôt l’emporterait sur l’effet arithmétique de la réduction d’impôt. Si l’on passe du total des recettes fiscales aux budgets, il y a un effet sur les dépenses en plus des deux effets que les changements de taux d’imposition ont sur les recettes.
Comme les réductions d’impôt incitent à accroître la production, l’emploi et la production, elles contribuent également à équilibrer le budget en réduisant les dépenses publiques soumises à conditions de ressources. Une économie à croissance plus rapide se traduit par une baisse du chômage et une hausse des revenus, ce qui se traduit par une réduction des prestations de chômage et d’autres programmes d’aide sociale. »
« La courbe de Laffer : passé, présent, et futur »,
Arthur Laffer, The Heritage foundation, 2004
Ce texte expose les idées directrices de la courbe de Laffer, que l’on pourrait résumer par la fameuse formule « trop d’impôt tue l’impôt ». La courbe de Laffer relie les recettes fiscales provenant d’un impôt particulier au taux de cet impôt. Cette courbe est non monotone : si le taux devient trop élevé, les recettes fiscales finissent par baisser. Lorsque le taux auquel une activité économique est imposée augmente, l’incitation à se livrer à cette activité est réduite, ce qui a un effet négatif sur la base d’imposition.
Les recettes fiscales sont égales au produit du taux d’imposition par la base. Le premier augmente (« effet arithmétique »), le second diminue (« effet économique »). Si l’effet économique est plus fort que l’effet arithmétique, une hausse de l’impôt réduira la quantité totale d’impôts collectée. Supposons qu’il existe une taxe de 20 % sur les ventes de chaussures, dont le montant s’élève à un milliard.
Cette taxe rapporte deux cents millions à l’État. Une hausse de la taxe à 30 % réduit la profitabilité du secteur et donc l’incitation à produire. Supposons que l’activité en soit réduite de moitié. Les recettes fiscales s’élèvent alors à 30 % de cinq cents millions, soit cent cinquante millions. Augmenter les impôts a fait perdre à l’État cinquante millions. On pourrait imaginer qu’en pratique, un gouvernement ne choisirait jamais un taux d’imposition situé sur une portion décroissante de la courbe de Laffer.
En effet, dans une telle situation, il suffirait d’alléger la fiscalité pour accroître le bien-être de tout le monde, y compris de ceux qui vivent de l’impôt, puisque les recettes augmenteraient ! En réalité, il y a autant de courbes de Laffer que de taux d’imposition, et celles-ci ne sont pas directement observables. On ne peut que les modéliser et les estimer en faisant des hypothèses sur le comportement des agents face à un changement de la fiscalité. De plus, la base fiscale ne réagit pas immédiatement aux taux d’imposition.
Il faut du temps pour décider de prendre une retraite anticipée, fermer une entreprise ou installer une usine à l’étranger, en fonction du système fiscal. Ainsi, la fiscalité a peu d’effets sur la base d’imposition à court terme – l’effet arithmétique domine – mais il en va autrement à long terme.
L’effet économique a d’autant plus de chances de l’emporter que le taux d’imposition est déjà élevé. Si je paye 10 % d’impôts, mon revenu après impôt est réduit d’environ 2,2 % lorsque le taux augmente de deux points. Mais si j’en paye 90 %, il baisse de 20 % lorsque le taux passe à 92 %. L’effet désincitatif est donc dix fois plus fort dans ce cas.
Or de nombreux pays développés pratiquent des taux d’imposition élevés du fait du poids de l’État dans la société. Il n’est pas rare, lorsque l’on estime une courbe de Laffer, de conclure que l’on se trouve sur une portion décroissante de cette courbe, ou à proximité du taux correspondant au maximum de recettes fiscales.
Ainsi, d’après une étude récente, l’imposition sur les hauts revenus serait excessive dans cinq pays européens : Belgique, Autriche, Danemark, Finlande et Suède1. Le taux maximum d’impôt sur le revenu s’y établit entre 63 % et 75 %.
D’autres pays, comme la France ou les Pays-Bas, se situeraient presque au sommet de la courbe de Laffer, alors que l’Allemagne ou l’Australie conserveraient une marge importante.
Analyse de Gilles Saint-Paul
1. “The Laffer curve for high incomes”, Jacob Lundberg, document de travail, université d’Uppsala.
La courbe de Laffer
Pour aller plus loin
“The Laffer curve for high incomes”, Jacob Lundberg, document de travail, université d’Uppsala
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