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Karl Marx et la lutte des classes
Portraits d'Économistes
Karl Marx et la lutte des classes
Économiste allemand et auteur du Manifeste du parti communiste, Karl Marx est à l’origine de l’une des idéologies les plus influentes de l’histoire. Pourtant, ses vues sur la détermination de la valeur (théorie de la valeur-travail) le rattachent à la tradition classique de Smith et Ricardo.

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Qui suis-je ?
Karl Marx (1818-1883) est à l’origine de l’une des idéologies les plus influentes de l’histoire. Pourtant, ses vues sur la détermination de la valeur (théorie de la valeur-travail) le rattachent à la tradition classique de Smith et Ricardo. Né à Trèves dans une famille d’origine juive convertie au protestantisme, il étudie le droit, l’histoire et la philosophie. Il développe une philosophie basée sur la lutte des classes qui est, selon lui, le moteur de l’histoire. En 1847, il crée avec Friedrich Engels la Ligue des communistes et rédige avec lui le Manifeste du parti communiste. Après l’échec de la Révolution allemande en 1848, il s’exile à Londres où il rédige son œuvre majeure, Le Capital, qu’il laisse inachevée.
L’instrument de travail, lorsqu’il prend la forme d’une machine, devient un concurrent de l’ouvrier.Karl Marx
Talking Dead, quand je reviens à la vie
Mes dates clés
- Naissance : 5 mai 1818 à Trève en Prusse
- 1848 : Publication avec Friedrich Engels du Manifeste du parti communiste
- 1867 : Première publication de son oeuvre majeure, Le Capital
- Mort : 14 mars 1883, à l'âge de 64 ans, à Londres, au Royaume-Uni
Comprendre mes deux erreurs sur l'innovation
"La lutte entre le capitaliste et le travailleur salarié remonte à l’origine même du capital (…). Mais ce n’est que depuis l’introduction des machines que l’ouvrier a lutté contre l’instrument du travail lui-même, l’incarnation matérielle du capital (…).
Au XVIIe siècle, presque toute l’Europe a connu des révoltes des ouvriers contre le métier à tisser (…) À Leyde, cette machine ne fut utilisée qu’en 1629 ; là, les émeutes des tisserands de rubans obligèrent longuement le conseil municipal à l’interdire.
(…) Par un décret impérial du 19 février 1685, son utilisation fut interdite dans toute l’Allemagne. À Hambourg, il a été brûlé en public sur ordre du Sénat. L’empereur Charles VI, le 9 février 1719, renouvela l’édit de 1685, et ce n’est qu’en 1765 que son usage fut ouvertement autorisé dans l’électorat saxon. Cette machine, qui a ébranlé l’Europe jusqu’à ses fondations (…), permettait à un garçon totalement inexpérimenté de mettre en mouvement l’ensemble du métier à tisser avec toutes ses navettes (…).
(…) À peine Everet avait-il érigé en 1758 la première machine à tondre la laine entraînée par l’énergie hydraulique qu’elle a été incendiée par 100 000 personnes qui avaient été licenciées.
(…) L’énorme destruction de machines qui s’est produite dans les districts manufacturiers anglais au cours des 15 premières années de ce siècle, principalement causée par l’emploi du métier à tisser, et connue sous le nom de mouvement luddite, a donné aux gouvernements (…) un prétexte aux mesures les plus réactionnaires et coerciti-ves. Il a fallu du temps et de l’expérience pour que les ouvriers apprennent à faire la distinction entre la machine et son emploi par le capital, et à diriger leurs attaques, non contre les instruments matériels de production, mais contre le mode dans lequel ils sont utilisés.
(…) L’instrument de travail, lorsqu’il prend la forme d’une machine, devient immédiatement un concurrent de l’ouvrier lui-même. (…) Tout le système de production capitaliste est basé sur le fait que l’ouvrier vend sa force de travail comme une marchandise. La division du travail spécialise cette force de travail, en la réduisant à une compétence dans la manipulation d’un outil particulier. Dès que la manipulation de cet outil devient le travail d’une machine, alors, avec la valeur d’usage, la valeur d’échange de la force de travail de l’ouvrier disparaît ; l’ouvrier devient invendable (…). Cette partie de la classe ouvrière, ainsi rendue superflue par les machines (…), soit va au mur dans la lutte inégale des vieux métiers et des manufactures avec des machines, soit inonde les branches industrielles plus facilement accessibles, submerge le marché du travail, et fait baisser le prix du travail sous sa valeur.
KARL MARX, LE CAPITAL, CHAPITRE 15 (traduction DeepL)
Ce célèbre passage de Marx offre une peinture apocalyptique du progrès technique. Les inventions, en se substituant au travail humain, le dévalorisent, ce qui, lorsque le politique omet de dresser des obstacles à l’adoption d’une innovation, entraîne misère, émeutes et répression. Pour l’auteur, cette fatalité est inhérente au système capitaliste et doit entraîner la paupérisation inéluctable des ouvriers, qui débouchera sur la révolution et le triomphe du communisme.
Depuis Le Capital, les inventions permettant d’augmenter la productivité n’ont fait que se multiplier. Qu’on songe à la chaîne d’assemblage, à la machine-outil, au transistor, ou, plus près de nous, aux progrès de la microélectronique et des nouvelles technologies de l’information.
Pourtant, le scénario catastrophe envisagé par Marx ne s’est pas réalisé. Bien au contraire, sous l’effet du progrès technique, le niveau de vie de l’ensemble de la population a cru de manière spectaculaire. Ainsi, entre 1870 (peu après la publication du Capital) et 2016, la consommation moyenne d’un Français, exprimée en termes réels, a aug-menté de 650 %1 .
Et pourtant, le mécanisme qu’il nous propose semble frappé au coin du bon sens. Plus près de nous, de nombreuses professions ont disparu ou sont menacées d’être remplacées par des machines : les tourniquets se sont substitués aux poinçonneurs du métro et les caissières pourraient bientôt céder leur place aux scanners automatiques qu’on observe de plus en plus dans les supermarchés.
Ces effets négatifs de la technologie sont réels et expliquent le luddisme et les obstructions politiques à la mise en place des innovations décrites par Marx dans la première partie du texte. Mais, à long terme, d’autres mécanismes bien plus puissants ont prévalu, ce qui explique que l’histoire économique s’est déroulée à l’inverse de ce qu’il pré-voyait.
Le premier mécanisme ignoré par Marx, c’est que la technologie permet de produire moins cher, c’est-à-dire plus avec moins de ressources.
Ceci est bénéfique pour l’ensemble des consommateurs, y compris les travailleurs et les pauvres. Ainsi, la blogueuse Eve Fischer a calculé qu’au Moyen Âge, la confection d’une chemise nécessitait près de 580 heures de travail. Avec un coût horaire du travail au niveau du SMIC d’environ 10,50 euros et une TVA à 20 %, en 2019, une telle chemise serait facturée 7 300 euros au consommateur !
Si elle n’en coûte que quelques dizaines, c’est grâce aux innovations spectaculaires dans le domaine du textile qui se sont succédé au cours des siècles – ces mêmes innovations que déplorait Marx – et qui ont permis de réduire considérablement la quantité de travail nécessaire à la production d’une chemise.
Le second mécanisme ignoré par Marx, c’est la complémentarité entre l’homme et la machine. Si le métier à tisser a jeté tant d’ouvriers à la rue au XIXe siècle, ce n’est pas tant parce qu’il remplace le tisseur que parce que le marché ne pouvait pas absorber l’énorme hausse de la production qu’aurait entraînée le maintien dans l’emploi d’ouvriers actionnant chacun une machine très performante. D’où la nécessité pour la main-d’œuvre de se redéployer vers d’autres secteurs. Notons d’ailleurs que Marx ignore ostensiblement cette possibilité. Il n’en reste pas moins que l’utilisation des machines a considérablement accru la productivité des ouvriers qui les actionnent, ce qui, sur le long terme, a permis la hausse des salaires.
1. Source : Jordà-Schularick-Taylor Macrohistory Database, www.macrohistory.net/data/
Dessin de Gilles Rapaport
Le règne de la liberté commence seulement à partir du moment où cesse le travail dicté par la nécessité et les fins extérieures ; il se situe donc, par sa nature même, au-delà de la sphère de la production matérielle proprement dite. [...] La réduction de la journée de travail est la condition fondamentale de cette libération.Karl Marx