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Robert Solow et le résidu
Portraits d'Économistes
Robert Solow et le résidu
Cet économiste américain a permis de renouveler l’analyse du chômage en incluant le progrès technique comme facteur de croissance au côté de l’accroissement du capital et du travail. Un modèle, un résidu et un paradoxe économique portent son nom.
Manon Touchard
© Olaf via Flickr / CC BY-SA 2.0
Qui suis-je ?
Actuellement professeur émérite du département économique du MIT, Robert Solow fut l’un des élèves de l’économiste keynésien Wassily Leontief qui dirigea son doctorat.
En 1957, dès la parution de son article « Technical Change and the Aggregate Production Function » dans The Review of Economics and Statistics en 1957, la fonction de production agrégée de Solow – il prend en compte l’accroissement du facteur travail, du facteur capital et du progrès technique – est très vivement critiquée par Warren Pat Hogan, économiste à l’université de Sydney opposé aux théories économiques hétérodoxes.
Hogan considère l’existence d’un résidu comme l’unique conséquence logique de la façon dont Solow isole le progrès technique. Robert Solow répondit aux nombreuses critiques de Hogan publiées dans The Review of Economics and Statistics en éludant cependant la critique sur sa façon d’isoler le progrès technique.
Les observations de Hogan montrent que la faille majeure du modèle de Solow reste le caractère inexpliqué du progrès technique.
En 1958 il publie, avec Paul A. Samuelson (prix Nobel 1970), son ami de longue date, et Robert Dorfman, un ouvrage sur le développement des modèles, Linear programming and economic analysis.
C'est avec ce même Samuelson, qu'il étoffe, en 1960, la courbe de Phillips qui établit à l'origine la relation entre la hausse des salaires nominaux et le chômage. Les deux économistes prouvent ainsi la relation empirique négative entre le taux de chômage et l'inflation, renforçant les théories de l’école keynésienne américaine à laquelle ils sont rattachés.
La découverte du résidu
Le modèle de Solow repose sur l’hypothèse de la flexibilité des facteurs de production, en opposition au modèle Harrod-Domar, dans lequel les facteurs de production étaient fixés et qui suppose des rendements d’échelle constants ainsi que le réinvestissement de toute l’épargne.
L’hypothèse de substituabilité des facteurs est centrale pour expliquer que la croissance mène au plein-emploi. En cas de chômage, le prix du travail baisse, libérant des fonds pour remplacer le facteur capital par le facteur travail et donc embaucher.
D'après Robert Solow, l'équilibre est la règle et le déséquilibre l'exception. Ainsi, à long terme, l’économie tend vers une situation d'équilibre. Elle met en œuvre une méthode empirique de mesure de la contribution des forces de production à la croissance : le travail et le capital constituent les deux principaux moteurs de la croissance endogène.
Tout le modèle de Solow s’appuie sur cette fonction de la production agrégée (c.-à-.d. l'addition des facteurs de productions).
Si Dieu avait voulu qu’il y ait plus de deux facteurs de production, [le travail et le capital], Il aurait rendu plus facile la représentation des diagrammes à trois dimensions.Robert Solow,
The Production Function and the Theory of Capital, 1955-1956.
L'économiste en déduit alors qu’il existe un facteur résiduel, une troisième force, qui permet une augmentation de la production par tête grâce à l’accroissement du stock des capitaux : le progrès technique.
Cette découverte permet à Solow d’intégrer un facteur qualitatif à la croissance : même en travaillant moins, le progrès technique permet de produire plus.
Il touche aussi bien l’amélioration de la qualité de la main-d’œuvre, que celle du capital, mais aussi de l’organisation de l’entreprise et du management. Le résidu est surprenant par son ampleur et son importance dans l'explication de la croissance.
Les causes de la croissance, que ce soit l’augmentation de la population ou le progrès technique sont donc exogènes : leur origine n’est pas déterminée par le modèle.
Un paradoxe obsolète ?
Robert Solow ne s'arrête toutefois pas à cette découverte. En 1987, près de 20 ans après l'invention d'Internet, il remarque que l’introduction massive des ordinateurs dans l’économie ne se traduit pas une augmentation statistique de la productivité, alors même que l’informatique constitue un progrès technique de taille : « Vous pouvez voir l'ère informatique partout, sauf dans les indicateurs de productivité. »
L’économiste l’explique par le décalage temporel entre l’investissement dans les appareils et l'apprentissage des connaissances nécessaires pour utiliser pleinement les machines.
À partir de 1995, on observe une nouvelle dynamique : les États-Unis atteignent un niveau de productivité record. Solow reconnaît alors que son paradoxe n'est peut-être plus d'actualité.
Aujourd'hui la numérisation de l'économie pourrait remettre le paradoxe de Solow au goût du jour. L'apparition du cloud, le développement du commerce en ligne et l'utilisation de plus en plus répandue de l'intelligence artificielle ou du machine learning promettent d'importantes possibilités d'amélioration de la productivité des entreprises.
Pourtant, malgré les technologies disponibles, une étude de McKinsey révèle qu'à l'échelle mondiale, seul un tiers des produits et des services sont numérisés. Les entreprises font encore face à des coûts de transition importants et ne devrait pouvoir tirer entièrement profit de ces nouvelles technologies que dans quelques années.
Cette nouvelle vague de progrès technique et technologique pourrait permettre une augmentation de la productivité d'autant plus importante que les innovations et leurs applications diverses sont renforcées par des effets de réseaux, faisant émerger une nouvelle génération d'entreprises de pointe.
Mes dates clés
1924 Naissance à Brooklyn, New-York
1956 Publication de l’article « Contribution to the Theory of Economic Growth », il y définit à la fois le cadre de la théorie macroéconomique moderne et les conditions d'une croissance régulière de plein emploi grâce à l’intervention de l’Etat et au progrès technique.
1958 Publication de « Linear programming and economic analysis » avec Paul A. Samuelson (prix Nobel 1970) et R. Dorfman
1961 Il reçoit la médaille John Bates Clark, décernée par l’American Economic Association aux meilleurs économistes de moins de 40 ans
1987 Il reçoit le prix Nobel pour son article « Growth Theory and After » publié dans l’American Economic Review, sur la théorie de la croissance. Cet article est depuis rentré dans le club très fermé des « articles fondateurs » (seminal papers).
1999 Il reçoit la National Medal of Science
La théorie de la croissance n'a pas commencé avec mes articles de 1956 et 1957, et elle ne s'est certainement pas arrêtée là. Elle a peut-être commencé avec « La richesse des nations », et même Adam Smith avait probablement des prédécesseurs.Robert Solow,
La théorie de la croissance et son évolution, 1988.
Photo : Robert Solow, par Olaf via Flickr. CC BY-SA 2.0