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Dico de l'éco

Le multiplicateur keynésien

À l’aide de politiques de relance, l’État joue, sur l’activité, un rôle contracyclique grâce aux revenus supplémentaires qu’il injecte dans l’économie. Mais ce multiplicateur doit être manié avec prudence et pose la question de l’efficacité des dépenses publiques.

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Bannière de la section "Le Dico de l'Éco"

Face à la crise économique provoquée par la pandémie de Covid-19, les États ont massivement investi afin de soutenir les entreprises et ménages. En France, le montant du plan de relance exceptionnel s'élève à 100 milliards d'euros. Plus tôt déjà, en 2019, la crise des « gilets jaunes » avait conduit le gouvernement à mettre fin à l’orthodoxie budgétaire et à injecter 17 milliards d’euros dans l’économie.

Et une décennie avant, la crise de 2008 avait, elle aussi, redonné une certaine jeunesse à une notion fondamentale de l’analyse keynésienne – le « multiplicateur », un mécanisme qui permet de justifier la dépense publique pour stimuler l’économie.

Éco-mots

Orthodoxie budgétaire 

Règle signifiant que le budget de l’État doit être équilibré. L’État peut dépenser mais seulement à hauteur de ses recettes. Le déficit est interdit et le budget ne peut pas être utilisé pour agir sur la conjoncture économique.

C’est en effet l’économiste britannique John Maynard Keynes (1883 – 1946), dans Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, publiée en 1936, qui montre que, dans certains cas, les marchés ne s’autorégulent pas et que l’intervention de l’État dans le processus économique est efficace à court terme.

À l’aide de politiques de relance et en s’endettant pour financer ces politiques (notamment quand les taux d’intérêt sont faibles, voire nuls), l’État joue, sur l’activité, un rôle contracyclique grâce aux revenus supplémentaires qu’il injecte dans l’économie.

Éco-mots

Contracyclique 

Ce qui va dans le sens opposé au cycle de croissance économique. En période de récession, une politique de relance est contracyclique grâce aux dépenses publiques supplémentaires, aux réductions d’impôts et en facilitant la création monétaire. En période de surchauffe économique, les mesures budgétaires et monétaires seront restrictives pour freiner l’emballement de la croissance.

Consommation ou épargne ?

Selon Keynes, toute augmentation de la demande globale, c’est-à-dire toutes les dépenses de consommation et toutes les dépenses d’investissement (notamment celles de l’État pendant les crises), engendrent des revenus et provoquent une hausse, plus que proportionnelle, des revenus et de la richesse créée dans le pays. Le mécanisme se répète en chaîne, car toute dépense constitue le revenu de quelqu’un d’autre, mais ce mécanisme n’est tout de même pas sans fin.

Tout dépend des ménages et de la part de l’augmentation de leur revenu qu’ils vont décider de consacrer à un surplus de consommation (appelée « propension marginale à consommer ») car s’ils épargnent au lieu de consommer, cela va amoindrir la force du multiplicateur au fil du temps.

Retrouver ici le portrait de John Maynard Keynes

D’après Keynes, le multiplicateur est supérieur à 1 (un euro de dépense provoque un surplus de production supérieur à un euro) mais il n’est pas très élevé. Évidemment, s’il est inférieur à 1, il devient un diviseur, c’est-à-dire qu’une dépense d’un euro rapporte moins que la dépense initiale. Tout le débat est là : quel est son vrai niveau ?

Les effets du multiplicateur sont différents selon que l’on raisonne à court ou à long terme. Par exemple, augmenter les minima sociaux ou le Smic impacte favorablement la consommation à court terme – c’est le cas des mesures « gilets jaunes » –, mais les effets peuvent être négatifs à long terme sur la productivité et la compétitivité.

De même, réduire les impôts des entreprises ou des plus gros contribuables a plus d’effets positifs à long terme, en termes d’investissements, qu’à court terme. Qui fait les meilleurs choix de dépenses ? L’État, les consommateurs, les entreprises ? La question reste ouverte.

De plus, le multiplicateur joue dans les deux sens. Une baisse des dépenses publiques peut déprimer l’activité économique, selon le même mécanisme. Ce fut le cas en Europe dans les années 2010-2013 en raison des politiques d’assainissement des finances publiques menées pour réduire les dettes publiques.

Éviction vers l’extérieur

Le mécanisme est efficace dans certaines conditions, mais des « fuites » réduisent son impact, par exemple quand la production intérieure n’a pas les capacités disponibles pour répondre rapidement au surplus de demande. Autre cas : quand les biens demandés ne sont pas produits sur le territoire, une partie de la demande est alors satisfaite par des importations et la relance profite aux entreprises étrangères.

C’est l’effet d’éviction par l’extérieur : la production nationale et l’emploi ne sont pas stimulés. En France, économie très ouverte, « lorsque la demande globale augmente d’un euro, les importations augmentent de 80 centimes et le PIB de 20 centimes seulement », estimait l’économiste Patrick Artus en mars 2017. En revanche, quand l’économie est plutôt fermée, l’inflation peut être la conséquence de cette demande qui, à court terme, n’est pas satisfaite par les entreprises nationales.

Éco-mots

Politique de relance 

Politique économique conjoncturelle expansionniste visant à stimuler la production et l’emploi. Par exemple en augmentant le pouvoir d’achat des ménages les plus modestes qui ont la propension à consommer la plus forte et en baissant les taux d’intérêt pour encourager l’endettement et les dépenses d’investissement.

De même, il se peut que les ménages craignent l’avenir et des difficultés financières futures, et préfèrent épargner leur surplus de revenu au lieu de le dépenser. Dans ce cas, la consommation jouant un rôle capital dans la décision des entreprises d’investir, la croissance sera plus faible. C’est ce qui se passe en France où l’épargne a atteint, en 2019 plus de 15 % du revenu disponible (son plus haut niveau depuis six ans) en raison du climat économique et social.

Reste la question du déficit et de la dette publique (désormais 100,4 % du PIB en France) pour soutenir l’économie. En économie fermée, dit Keynes, la croissance des revenus due au multiplicateur engendre des recettes fiscales qui remboursent alors le déficit public initial.

Toutefois, le financement de ces dépenses se traduit par un fort besoin de capitaux de la part de l’État (un emprunteur sûr) et risque de concurrencer et d’évincer les entreprises qui, elles aussi, ont besoin de capitaux pour investir. C’est là encore un effet d’éviction qui peut déclencher une remontée des taux d’intérêt, préjudiciable à la croissance.

Avec toutes ces fuites, force est de constater que les pays ayant des dépenses publiques et une dette très élevées, comme la France, ne sont pas aujourd’hui ceux qui connaissent la plus forte croissance économique et le plein emploi. En réalité, le multiplicateur pose la question de l’efficacité des dépenses publiques.