Airbnb a fêté son dixième anniversaire en août 2018. Avec ses cinq millions d’annonces de logements dans 80 000 villes et 191 pays, cette toute jeune société n’a plus rien à voir avec la modeste start-up originelle.
L’idée de deux de ses cofondateurs, Brian Chesky et Joe Gebbia, est née lors d’un congrès de designers à San Francisco, alors que les hôtels affichaient complet. Leur proposition, ce jour-là – louer une chambre de leur appartement équipée de simples matelas gonflables (air beds), avec petit déjeuner compris – est à l’origine du premier nom du site Internet, Airbed & Breakfast. Il a été simplifié en 2009 pour officialiser l’extension du service à des appartements entiers, des maisons et aux locations de vacances, y compris les plus exotiques (yourtes, bateaux, cabanes dans les arbres…).
Comme souvent sur Internet, les fondateurs d’Airbnb ont recyclé une vieille idée – le logement chez l’habitant – pour lui donner une ampleur insoupçonnée en l’associant à une plateforme web de mise en relation entre hôtes et voyageurs. Les clés du succès : une interface très simple, un système d’évaluation des participants (essentiel pour établir la confiance) et une solution de réservation et de paiement garantie de bout en bout. Sans oublier, bien sûr, le prix : 30 % moins cher que l’hôtel en moyenne.
Éco-chiffres
- Chiffre d’affaires : 2,6 milliards de dollars (2017), 3,5 à 4 milliards (prévision 2018)
- Excédent brut d’exploitation (Ebitda) : 93 millions (2017)
- Nombre de salariés : 4 000
- Valorisation : 31 milliards
- Trésorerie : 5,5 milliards
- Montant total des loyers encaissés par les hôtes depuis 2008 : 41 milliards
- Nuitées : 255 à 265 millions attendues en 2018
- Prix moyen (2018) : 27 €/nuit/voyageur
- Présence pays : 189
- Nombre de villes référencées dans le monde : 81 000
- Nombre d’annonces : 5 millions dans le monde dont 500 000 en France (10 %)
- Nombre d’hôtels partenaires : 28 000 (430 000 pour Booking.com)
- Voyages d’affaires : Les services Airbnb for Work comptent 700 000 entreprises utilisatrices et réalisent 15 % du chiffre d’affaires total en 2017.
De quoi attirer les clients par dizaines de millions dans le monde. Et générer rapidement des bénéfices. Airbnb prélève en effet une commission de 9 à 15 % sur le montant des locations. Celle-ci est payée conjointement par les hôtes (via des frais de recouvrement des loyers de 3 %) et les voyageurs (qui règlent des frais de réservation de 6 % à 9 %). Les dépenses ? Elles se révèlent remarquablement faibles. Airbnb n’aurait dépensé que 300 millions de dollars depuis ses débuts. En effet, la marque est devenue si forte qu’elle attire les clients sans nécessiter de grosses dépenses marketing.
Rentable et autonome
Résultat : Airbnb aurait en banque plus que les 4,4 milliards de dollars apportés par des investisseurs. Son secret ? Elle fait fructifier elle-même cette petite fortune dans un fonds d’investissement maison qui lui rapporte de l’argent ! Tout le contraire des « machines à brûler du cash » que sont habituellement les start-up.
Autre point remarquable : Airbnb est rentable depuis le deuxième semestre 2016, huit ans seulement après sa naissance, quand le français BlaBlaCar, autre représentant de l’économie du partage, a dû attendre 12 ans. En 2017, Airbnb a dégagé un bénéfice de 93 millions de dollars pour un chiffre d’affaires de 2,6 milliards de dollars. Et ses recettes atteindraient 3,5 à 4 milliards en 2018. La start-up est ainsi valorisée 31 milliards de dollars. Deux fois et demie plus que le géant français de l’hôtellerie AccorHotels !
Fier d’avoir accueilli 300 millions de voyageurs au cours de sa première décennie, Brian Chesky n’entend pas s’arrêter là et vise le milliard par an en 2028 ! Il confie son rêve de « créer une société durable, qui existera encore au XXIIe siècle ». Vaste programme ! Mais les obstacles à surmonter pour y arriver sont encore nombreux. À commencer par l’hostilité croissante des concurrents d’Airbnb.
Les hôteliers sont les principales victimes de la plateforme de locations de courte durée qu’ils accusent de concurrence déloyale. Conçue au départ pour des particuliers cherchant un complément de revenu en louant une partie de leur résidence principale, elle attire désormais des quasi professionnels, voire des hôteliers clandestins.
Le lobby de l’hôtellerie en veut pour preuve le nombre élevé d’hôtes proposant plusieurs biens à la location ou la proportion importante d’offres de logements entiers (près de deux sur trois aux États-Unis en 2016). Problème, ces concurrents non officiels ne sont pas soumis aux mêmes réglementations et ont longtemps évité de payer des taxes de séjour. D’où des procès retentissants qui se sont multipliés dans tous les pays, soit contre des « hôtes », soit contre Airbnb.
Paris et New York en première ligne
Ce combat a commencé à payer puisque, dans de nombreuses villes, il est désormais courant de payer une taxe de séjour. En France, la mesure vient même d’être généralisée aux 23 000 communes qui l’imposent déjà aux hôteliers. De plus en plus de villes obligent par ailleurs les hôtes à déclarer leur activité, et même à afficher un numéro d’enregistrement sur l’annonce. Une identification qui permet de leur faire payer des impôts sur ce revenu et de vérifier qu’ils respectent le nombre maximum de jours de location autorisé. Cette limite varie encore beaucoup selon les villes (60 jours à Amsterdam, 120 à Paris) mais les grandes métropoles sont de plus en plus nombreuses à en imposer.
Paris, première ville au monde pour le nombre d’annonces Airbnb (60 000) et New York, destination la plus demandée, mènent le combat pour réguler l’activité de la plateforme. Celle-ci est accusée de favoriser la spéculation immobilière, de renchérir les prix et donc d’aggraver la pénurie de logements et la désertification des centres urbains… Les deux villes sont engagées dans des procédures judiciaires pour forcer Airbnb à retirer les annonces illégales. Les amendes pleuvent sur les hôtes en infraction, notamment ceux qui pratiquent la sous-location illégale. À New York, l’application stricte de la réglementation pourrait remettre en cause pas moins de la moitié des offres. À Paris, un élu demande même qu’Airbnb soit banni des quatre arrondissements centraux. Mais des attitudes encore plus drastiques se font jour à Berlin, Barcelone, aux Baléares ou encore au Japon…
Face à ces menaces, le site s’est doté d’un service juridique fort de 300 personnes et d’un budget de 85 millions de dollars, rapporte l’agence Bloomberg. Mais cette bataille a aussi un coût en termes d’image qui, à terme, pourrait détourner le public d’Airbnb. Comme d’autres géants du web, l’entreprise est également critiquée pour son optimisation fiscale : seulement 161 000 euros d’impôts payés en 2017 en France, pourtant son deuxième marché après les États-Unis. Le chiffre d’affaires généré chez nous remonte en effet artificiellement – mais pour l’instant légalement – en Irlande, pays à la fiscalité plus douce. Mais les règles pourraient là encore, changer…
Objectif n°1 mondial
Pendant ce temps, les concurrents et notamment les agences de voyages en ligne, se sont lancés à leur tour dans l’hébergement alternatif. Expedia a racheté le spécialiste HomeAway, mais c’est surtout le n°1 mondial, Booking.com, qui a mis les bouchées doubles au point de compter un nombre d’appartements, de villas et de bed & breakfast équivalent à celui d’Airbnb (4,85 millions d’offres), en plus d’une offre de chambres d’hôtel bien plus conséquente.
Deux concurrents

Marques : Booking.com, Priceline, Kayak, Rentalcars, OpenTable…
Chiffre d’affaires : 12,7 milliards de dollars
Bénéfice opérationnel : 4,5 milliards de dollars
Capitalisation : 88 milliards de dollars
Nombre de salariés : 17 000
Nuitées (2017) : 673 millions dont 270 millions en dehors des hôtels (villas, appartements, bed & breakfast)
Nombre de destinations : 144 000
Présence « pays et territoires » : 229
Nombre d’offres : 29 millions dont 4,85 millions en dehors des hôtels

Marques : Expedia, Trivago, HomeAway, Hotels.com, CarRentals…
Chiffre d’affaires : 10 milliards de dollars (2017)
Bénéfice opérationnel : 625 millions de dollars
Trésorerie : 3,3 milliards de dollars
Capitalisation : 18 milliards de dollars
Nombre de salariés : 22 600
Face à cette concurrence, la croissance d’Airbnb commencerait à s’essouffler sur les marchés occidentaux les plus matures, selon une étude récente de Morgan Stanley Research qui a fait grand bruit. La start-up doit donc aller chercher des relais de croissance en Afrique ou en Asie. Mais la conquête du marché le plus prometteur, la Chine, s’avère difficile sans partenaire local.
Toutefois, Airbnb a engagé une diversification d’activités qui commence à porter ses fruits. Son objectif ? Créer une plateforme de voyage complète, allant du transport aux activités en passant par la restauration et la location de voitures. Et devenir ainsi n°1 mondial du tourisme !
Pour aller plus loin
AirBnB, les données et les algorithmes au service de l’expérience client, Henri Isaac, Marie Joachim, Centrale de cas et de médias pédagogiques (CCMP, Université Paris-Dauphine)