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Angela Merkel : au-delà du symbole, peu d’avancées pour les femmes

Les féministes sont déçues outre-Rhin. Les seize années de la chancelière à la tête du pays n’auront finalement pas changé grand-chose en matière de lutte contre les inégalités femmes-hommes. Des réformes ont eu lieu du côté de la politique familiale, mais « on aurait pu aller plus loin », dénonce-t-on en Allemagne.

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© Kay Nietfeld/ZUMA Press/ZUMA/REA

[C’était Merkel - 4/6] Le 26 septembre, après les élections fédérales, Angela Merkel ne sera plus la chancelière allemande. Les jeunes nés après novembre 2005 connaîtront pour la première fois un autre dirigeant outre-Rhin. L’occasion pour Pour l’Éco de revenir sur les choix de politiques économiques qui ont marqué ses quatre mandats. Ici, la lutte contre les inégalités femmes-hommes outre-Rhin.

« Oui je suis féministe. » La déclaration a fait couler beaucoup d’encre. Et pour cause, cela faisait 16 ans qu’un bon nombre de personnes l’attendaient. Début septembre, alors qu’elle participait à une discussion publique aux côtés de l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, Angela Merkel a osé tenir ces propos pour la première fois.

Un « surprenant volte-face » qui a « été largement récompensé par les acclamations du public », relate la journaliste Caroline Schwarz dans les colonnes du titre allemand Tageszeitung. Pourtant, « la chancelière ne mérite pas d’applaudissements », poursuit-elle. « Trop peu de choses ont été faites au cours des quatre mandats de Merkel. »

L’avis est largement partagé outre-Rhin. « Il y a une déception de la part des Allemandes, car la période Merkel au pouvoir n’a pas changé grand-chose à la situation des femmes », constate Agathe Bernier-Monod, maîtresse de conférences spécialiste des études germaniques à l’Université du Havre-Normandie.

« Conservatrice, la dirigeante a suivi la ligne de son parti. Et elle l’avait, en quelque sorte, annoncé. Juste après son élection, elle a expliqué qu’une 'hirondelle ne fait pas le printemps'. Une façon de prévenir que son arrivée à la chancellerie ne signifierait pas la fin des inégalités femmes-hommes. »

Un monde économique très patriarcal

Pour Michaela Wiegel, rédactrice politique pour le journal Frankfurter Allgemeine Zeitung, Angela Merkel aura été « l’arbre qui cache la forêt. Une femme au premier plan qui a masqué le manque d’ambition sur la lutte contre les inégalités ».

Car « le monde économique allemand est resté très patriarcal », analyse Elisa Goudin-Steinmann1, maîtresse de conférences, experte en histoire et civilisation allemande contemporaine à la Sorbonne.

En témoignent les chiffres. Les hommes restent majoritaires dans les entreprises : d’après une étude de la fondation germano-suédoise Allbright, les conseils d’administration des trente plus grands groupes allemands comptaient 12,8 % de femmes (contre 22,2 % en France).

Angela Merkel aura été l’arbre qui cache la forêt : une femme au premier plan qui a masqué le manque d’ambition sur la lutte contre les inégalités.
Michaela Wiegel

Journaliste politique à la Frankfurter Allgemeine Zeitung

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La question d’instaurer des quotas dans les conseils d’administration ou à la tête des partis politiques a pourtant été évoquée ces dernières années. Mais « Angela Merkel a beaucoup zigzagué sur ce point. D’abord, elle a refusé, puis elle a louvoyé pour qu’il y ait une loi fixant un quota de femmes dans les conseils d’administration, mais la date butoir a été fixée à 2025 », explique Elisa Goudin-Steinmann.

Aujourd’hui encore, la direction de la CDU est très masculine même si Angela Merkel a largement soutenu des personnalités comme Annegret Kramp-Karrenbauer qui était secrétaire générale du parti chrétien-démocrate ou Ursula von der Leyen lorsqu’elle était ministre de la famille.

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Peu d’efforts sur la politique de l’emploi

Sur l’égalité salariale, ça n’a pas vraiment avancé non plus. Les Allemandes gagnaient en moyenne 18 % de moins que les hommes en 2020. Même si le taux d’emploi a explosé (d’après Eurostat, plus de 80 % des femmes âgées de 25-49 ans travaillaient en 2019 outre-Rhin), les données sont à relativiser.

Les Allemandes travaillent en effet beaucoup plus en temps partiel (47 % des femmes âgées de 20 à 64 ans en 2019) et représentent les deux-tiers des personnes qui détiennent un mini-job comme emploi principal.

Éco-mots

Mini-job

Type d’emploi à temps partiel, rémunéré moins de 450 euros par mois et précaire. Il est moins taxé que les contrats classiques, mais ne donne ni droit à l’assurance-santé ni à l’assurance-chômage.

En Chiffres

Près d'une femme sur deux

Soit la part d'Allemandes âgées de 20 à 64 ans qui travaillaient en temps partiel en 2019.

(Source : Statistisches Bundesamt, l'office allemand de la statistique)

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L’une des explications ? « La répartition des tâches reste fortement genrée. Les femmes font encore le gros du travail », explique Anne Salles, enseignante-chercheuse à la Sorbonne. Les mères prennent encore majoritairement le congé parental et « peu de choses existent pour favoriser la réinsertion professionnelle des femmes à l’issue de ces interruptions ou pour encourager une meilleure participation à l’emploi quand elles ont des enfants ».

Ajoutez à cela une pression sociale encore très présente en Allemagne, « il est plus simple de conjuguer maternité et carrière en France, plutôt qu’en Allemagne ».

Cela se répercute sur les retraites puisqu’un Allemand percevait, en 2017, une retraite presque deux fois plus importante que celle d’une femme du même âge.

Là encore, « la question a fait débat sous l’ère Merkel, mais rien n’a abouti », indique Anne Salles. Et ce, malgré l’instauration d’une retraite minimum il y a quelques années.

Qui plus est, ajoute l’experte de l’Allemagne contemporaine, « le système fiscal n’incite pas les femmes à travailler autant que les hommes puisqu’elles se retrouvent pénalisées financièrement ». Le calcul de l’impôt se fait en additionnant le revenu d’un couple, ce qui encourage les Allemandes au temps partiel ou au mini-job, plutôt qu'au temps plein.

Des mesures de politique familiale plus égalitaires

Quelques mesures, menées pendant la mandature Merkel, représentent néanmoins une amélioration pour les femmes. Pour les dénicher, il faut s’intéresser aux politiques familiales, s’accordent à dire les spécialistes.

Tout d’abord, l’augmentation de l’offre d’accueil pour la petite enfance : 500 000 places en crèches ont été créées, le budget a bénéficié de près de 6 milliards d’euros en plus et un « droit opposable d’accueil pour tout enfant âgé de 1 à 3 ans » a été instauré en Allemagne. Cela signifie qu’une place en crèche doit être proposée aux parents, qui peuvent sinon faire valoir leur droit devant les tribunaux.

La mesure est importante puisqu'elle ambitionne de rendre compatible la carrière des femmes avec la maternité. « Mais on la doit en réalité à Renate Schmidt, ministre de la Famille sous Schröder, le chancelier précédent », nuance Anne Salles.

Mais puisque cette politique est en vigueur plus tard, « Angela Merkel a dû affronter beaucoup de haine alors qu’elle-même était divorcée, sans enfant et protestante. Les conservateurs catholiques y voyaient une attaque à la famille traditionnelle », complète Elisa Goudin-Steinmann.

L’autre réforme à saluer s’est tenue en 2007 avec la mise en place d’un congé parental d’un an. Depuis, les parents touchent les deux-tiers de leur salaire, soit des montants bien plus élevés qu’en France. Un moyen d’inciter les couples à se répartir les tâches de manière plus égalitaire. Même si dans les faits, ce sont toujours les femmes qui le prennent en nombre.

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Un symbole féministe malgré elle

Au-delà des actes, force est de constater que la chancelière, en dirigeant le pays le plus riche et le plus peuplé d’Europe, a incarné un symbole fort, souligne-t-on unanimement du côté des observateurs.

Comme le dit Alice Schwarzer (l’une des féministes les plus célèbres d’Allemagne) dans le Spiegel, « la vie, le parcours, le succès d’Angela Merkel sont du pur féminisme. Elle a prouvé que les femmes peuvent réussir sans se plier aux exigences des hommes », tenant tête à de grands dirigeants comme Trump ou Poutine, faisant face à beaucoup de misogynie et servant de role model pour les jeunes femmes.

La chancelière a dirigé au-delà des clichés, poursuit Alice Schwarzer. « Elle [n’a] joué ni à la femme soumise en talons hauts, ni au mec » et a « introduit un style politique complètement nouveau, sans prétention, basé sur des faits et respectueux des gens ». C’est finalement ce dernier point qui, pour la féministe, constitue le plus grand héritage d’Angela Merkel.

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1 : Autrice de l'ouvrage "La RDA après la RDA. Des Allemands de l'Est racontent" (Editions nouveau monde, septembre 2020)

Le poids des mots

En allemand, il existe deux termes assez proches « feminismus » et « frauenbewegung » (littéralement, le mouvement des femmes). Le premier revêt un caractère plus radical qu’en français, c’est peut-être aussi pour ça qu’Angela Merkel n’est pas à l’aise avec l’expression.

« Le terme 'feminismus' est davantage associé à une culture occidentale. Or, Angela Merkel a été socialisée en RDA [l’Allemagne de l’Est, l’ancien état communiste entre 1949 et 1990], là où les femmes travaillaient toutes, même si elles n’étaient pas aux postes importants. Son parti chrétien-démocrate défend aussi une vision plus traditionnelle de la famille, des pôles de genres », indique Agathe Bernier-Monod, pour tenter d’expliquer la frilosité d’Angela Merkel d’employer le terme « féministe ».

C'était Merkel...