Le second exemple, c’est celui de l’Iran. Les sanctions générales prises contre le développement d’un programme nucléaire militaire, contribuent à la morosité économique du pays. Pour preuve : « l’inflation a très fortement accéléré passant de 12,4 % en 2010 à 34,7 % en 2013, hausse largement imputable aux sanctions », est-il indiqué dans le rapport. De ce fait, les conséquences des sanctions sur les habitants sont notables. En 2012, près de 30 % de la population iranienne était en situation de pauvreté absolue et le taux de chômage a atteint 23 %.
En effet, les entreprises ont techniquement la possibilité d’investir dans un pays sanctionné. Mais elles s’exposent elles aussi à des restrictions. Alors, « les investisseurs n’ont pas envie de s’y engager », souligne la chercheuse. En fait, les sanctions économiques créent un flou juridique pour les sociétés étrangères. Ce flou démotive les entreprises, auparavant déterminées à investir. Et la croissance du pays en pâtit.
Par exemple, quand Barack Obama révoque les sanctions contre l’Iran, l’entreprise française Total participe au projet gazier South Pars. En 2018, deux ans plus tard, Donald Trump, alors Président des États-Unis, rétablit les sanctions à l’égard du pays. Total met un terme au projet dans le golfe Persique. Ce contrat à cinq milliards de dollars a depuis été remporté par le groupe pétrolier public chinois CNPC.
Pourtant, si elles se veulent dures et contraignantes, ces sanctions ne verront pas leur objectif atteint : l’Iran n’a pas mis fin à son programme d’enrichissement en uranium.
Le marché noir, grand gagnant
Autre effet pervers sur l’économie locale : le renforcement du marché noir et d’économies illicites.
C’est ce qui s’est également passé en Birmanie. Quand la junte militaire prend le pouvoir, l’UE impose des mesures restrictives dès 1988. Elle gèle les aides au développement et impose un embargo sur les armes et le matériel susceptible de réprimer la population. Elle restreint aussi l’exportation dans des secteurs comme celui du bois et des pierres précieuses.
Or, une partie des matières premières soumises à l’embargo sont exportées illégalement le long des frontières du pays, par le marché noir. Combinées aux sanctions américaines et japonaises, les mesures stoppent la modernisation de l’industrie. De ce fait, la population est maintenue dans un état de dépendance à l’économie souterraine. Plus de 100 000 personnes qui travaillaient dans des usines textiles ont dû se confronter au chômage et « beaucoup des jeunes filles qui travaillaient dans ce secteur sont allées grossir les rangs de la prostitution dans les grandes agglomérations », selon le rapport de l’Iris.
La Birmanie finira malgré tout très progressivement par entamer un processus de démocratisation. Il est difficile cependant d’en attribuer le mérite aux sanctions, car si le pays a perdu des investisseurs occidentaux, d’autres acteurs économiques ont profité des restrictions pour s’immiscer dans l’économie birmane, comme la Chine.
« La sanction est une pratique occidentale, commente Sylvie Matteli. La Chine ne se sent pas engagée par les sanctions unilatérales. » En effet, il existe deux régimes de sanctions bilatérales : le régime américain, l’Office of Foreign Assets Control (Ofac) et le système européen. Alors, quand l’Union européenne s’interdit un marché, d’autres puissances profitent de l’émergence économique des pays sanctionnés. Ainsi, la Chine a profité du régime de sanctions internationales contre la Birmanie pour augmenter ses échanges avec ce pays (c’est ce qu’elle avait fait, aussi, avec l’Iran, lors du retrait de Total).
Dernier exemple dramatique : les restrictions appliquées contre la Corée du Nord ont entraîné des situations de famine dans les années 1990. Aujourd’hui, elles entretiennent une situation de malnutrition chronique (40 % de la population en 2017). Les sanctions ont eu aussi pour effet de renforcer l’émigration, avec la fuite des habitants vers la Chine et la Corée du Sud. Et, comble de perversité, le régime ne se prive pas d’instrumentaliser ces mesures restrictives pour sa propagande, afin de monter la population locale contre les puissances internationales.
Des mesures de plus en plus ciblées
Les conséquences des sanctions généralisées (comme les embargos) sur les populations poussent de plus en plus la communauté internationale à adopter des sanctions ciblées. Elles permettent en théorie d’épargner les personnes qui ne sont pas responsables des exactions commises par les gouvernants. « Il y a alors moins d’effets négatifs sur l’économie des pays, car les sanctions ne touchent que les dirigeants », explique Sylvie Matteli. Cela peut prendre la forme de sanctions financières avec le gel des fonds à l’étranger et l’interdiction de déplacement et de voyager pour les personnes visées et parfois de leur famille. Le Vieux continent était alors loin d’imaginer que la Biélorussie organiserait en représailles une traite humaine à la frontière polonaise.
Quand elle cible des dirigeants, l’Union européenne parle alors de mesures restrictives plutôt que de sanctions. « Le système est en réforme permanente pour accroître la performance des mesures de rétorsion, explique la directrice adjointe de l’Iris. Les sanctions à l’encontre d’acteurs privés, telle que l’interdiction de survoler le territoire européen pour les compagnies aériennes accusées d’acheminer les migrants, sont par exemple assez novatrices. »
Les sanctions ordonnées par l’Union européenne sont « pires que mieux », au vu des conséquences sur les populations. C’est aussi « mieux que rien », pour condamner des actions contraires aux droits humains.