Le groupe Renault était fier d’annoncer la nouvelle à son personnel marocain le 13 septembre dernier, à l’occasion de la célébration des dix ans de son usine de Tanger : le site fabriquera en 2023 la « Mobilize Duo », une voiture sans permis 100 % électrique dédiée aux systèmes d’autopartage. Pour Renault, il s’agira d’une première au Maroc, puisque le constructeur y assemble aujourd’hui surtout des voitures thermiques, badgées Dacia.
Le groupe Stellantis, lui aussi implanté au Maroc, y fabrique déjà pour sa part la Citroën Ami, qui est peu ou prou la même chose que la Duo Mobilize… Mais pourquoi les deux constructeurs français misent-ils tant sur le Maroc, au point que Stellantis a fait sortir de terre une usine flambant neuve en 2019 ? Quant à Renault, il avoue y fabriquer 10 % de la totalité de sa production ?
Investissement direct à l’étranger (IDE)
Prises de participation dans le capital d’une entreprise étrangère avec pour objectif d’obtenir « un intérêt durable et la capacité d’exercer une influence dans sa gestion ». En règle générale, ce sont des investissements durables allant de la création d’entreprise au rachat d’une entreprise existant déjà à l’étranger.
« Il fallait trouver un complément de fabrication à la Roumanie. Or, les Dacia, on ne les fabrique pas dans des pays trop industrialisés, trop robotisés, trop chers et où les fournisseurs ne sont pas à côté » indique Christophe Dridi, directeur industriel de la marque roumaine.
Voilà dix ans, Renault a donc dû s’enquérir d’un nouveau lieu où produire des autos : « Nous cherchions aussi un endroit stable, parce qu’un investissement industriel est quelque chose de très important ; le Royaume du Maroc affichait clairement sa volonté de développer son industrie automobile » ajoute M. Dridi.
Accords de libre-échange et zones franches
Peu après son accession au pouvoir en 1999, le roi Mohamed VI n’avait pas fait mystère de sa volonté de développer l’emploi au Maroc en l’industrialisant. Il a donc mis toutes les chances de son côté pour attirer les investisseurs étrangers : des hectares de terre ont été mis à disposition des entreprises dans des conditions de quasi-gratuité.
Des zones franches ont été créées, afin que les sociétés nouvellement implantées ne soient pas trop soumises aux taxes et impôts, qui peuvent grever leur compétitivité. Les infrastructures du pays (autoroutes, lignes ferroviaires) ont été revues ou améliorées, de manière à répondre aux mêmes standards qu’en Europe.
Zones franches
Zone géographique d’un pays présentant des avantages fiscaux afin d’attirer l’investissement et de développer l’activité économique. Les entreprises qui s’y installent bénéficient d’un environnement fiscal et réglementaire plus favorable que celui en vigueur dans le reste du pays.
Des accords de libre-échange ont été signés avec différents pays, ce qui permet aux entreprises d’exporter depuis le Maroc sans droits de douane à payer vers 55 pays.
Mais surtout, le Maroc a inventé de véritables « écosystèmes » : câblage, batterie, sellerie… Tous les équipementiers spécialistes d’un même secteur ont été physiquement regroupés de manière à partager les coûts, l’expérience, etc. Un système qui permet à chacun de gagner en compétitivité.
Compétitivité
Capacité, pour une entreprise ou une économie, à conquérir des parts de marché face à la concurrence, soit grâce à un niveau de prix plus faible, soit grâce à une adaptation à la demande, à la qualité du produit ou à l’image de la marque.
Si la volonté politique du Maroc de devenir une nation productrice d’automobiles a été couronnée de succès, d’autres faits inhérents au pays en lui-même ont pu jouer en sa faveur. À commencer par les niveaux de rémunération.
Selon une étude du Bureau international du travail parue en 2019, le Maroc jouit d’une « disponibilité de main-d’œuvre relativement qualifiée et bon marché », du moins pour un industriel européen. De plus, « la durée moyenne du travail dans la chaîne de valeur automobile s’établit à 24,4 jours par mois, soit en moyenne 6 jours par semaine », ce qui signifie que les employés sont intrinsèquement plus productifs que leurs homologues de l’autre côté de la Méditerranée.
Un rapport du Sénat français détaille l’affaire : les cadres diplômés au Maroc sont payés « 70 à 80 % des salaires français » dans le secteur automobile, tandis que « pour les salaires des personnels de production […] les salaires représentent 30 % des salaires français. » Mais si importants soient-ils, les niveaux de rémunération ne font pas tout, lorsqu’il s’agit de s’implanter quelque part : « Du point de vue des coûts, le Maroc ne se positionne plus comme une destination 'low cost', mais comme un pays 'best cost' » faisait remarquer en 2017 Younès Lahrichi, le directeur de l’agence marocaine de développement des investissements.
Une situation géographique idéale
Car outre les salaires, les constructeurs de véhicules sont obligés de supporter de gros frais de logistique pour acheminer les véhicules neufs vers leurs lieux d’expédition : « Tous les jours, 6 trains partent de l’usine chargés d’environ 200 voitures et vont directement au port de Tanger med. Une fois au port de Tanger, l’Europe est à 14 kilomètres, le port de Sète n’est pas loin non plus. Il faut 12 heures pour fabriquer la voiture, 20 minutes pour qu’elle quitte l’usine et rejoigne le bateau et de là, un jour à un jour et demi pour qu’elle arrive à Sète. En termes de performance logistique, vous ne pouvez pas faire mieux ! » fait encore observer Christophe Dridi, de Renault.
Stabilité politique, avantages fiscaux, coûts salariaux réduits, logistique simplifiée… Un dernier atout a sans doute été décisif dans le fait de choisir le Maroc pour Stellantis comme pour Renault. Le Bureau international du travail note que désormais, les pays émergents achètent plus de voitures que l’Europe et l’Amérique du Nord réunies.
Attractivité
Capacité d’un territoire à attirer des activités nouvelles et des facteurs de production. Elle est mesurée par l’arrivée d’emplois sur le territoire. On ne retient que ceux créés par des centres de décision extérieurs au territoire.
En d’autres termes, le présent et l’avenir du véhicule neuf se situent en Afrique et en Asie plutôt que dans des pays occidentaux, où les taux de motorisation sont déjà très élevés. Or, implanter une usine dans un pays émergent permet au constructeur de bénéficier d’un certain capital de sympathie auprès des consommateurs. En 2013, le Maroc était le 14e marché de Renault en volumes, avec 47 030 voitures vendues. Le Royaume est devenu en 2021 le 9e marché de Renault (presque 70 000 immatriculations) tandis que la marque Dacia domine outrageusement les ventes de véhicules neufs au Maroc.
Dans le programme de SES
Terminale : « Quels sont les fondements du commerce international et de l’internationalisation de la production ? »
Première : « Comment un marché concurrentiel fonctionne-t-il ? »
Seconde : « Comment crée-t-on des richesses et comment les mesure-t-on ? »