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Au Chili, la demande mondiale redessine les paysages

L’économie de ce pays de 18 millions d'habitants est entièrement alignée sur l'exportation des denrées agricoles et minières, au détriment des petites exploitations de l'environnement.

Adeline Raynal (au Chili)
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© Adeline Raynal

Des parcelles verdoyantes et rectilignes à l’infini : vus des airs, les vignobles de la vallée de Maipo tranchent avec les terres arides alentour. Au Chili, ce pays long de plus de 4300 kilomètres coincé entre la cordillère des Andes et l’océan Pacifique, les productions vouées à l’export ont modelé les paysages. Cap au nord. À Chuquicamata, la plus grande mine de cuivre à ciel ouvert au monde balafre le désert d’Atacama : 45% des réserves mondiales de cuivre sont là, sous ce désert particulièrement aride. Ce métal représente 10% du PIB chilien selon Coface. Premier client : la Chine, dont les industries automobile et électronique dépendent de cette matière première.

En Chiffres

45%

des réserves mondiales de cuivre sont à Chuquicamata, sous le désert d'Atacama particulièrement aride.

Arbres et saumons d'élevage

On quitte les airs pour rouler sur la Panaméricaine. Les paysages défilent en direction de Santiago. Autour de la capitale, seuls verdoient les hectares de vignes et de vergers assidument irrigués à la faveur de profonds forages vers les nappes phréatiques. Ce vin, ces raisins de table, ces pommes, ces avocats, ces framboises ou ces noix viendront bientôt nourrir les étals européens ou américains.

La route se prolonge vers le sud. En Araucanie, de part et d’autre de la voie, s’élancent vers le ciel des pins rectilignes et des eucalyptus à croissance rapide. Strictement alignés. Propriétés de quelques riches familles d’entrepreneurs chiliens, ces exploitations forestières ont remplacé les hectares de forêts indigènes en moins de 30 ans. La filière forêt-bois représente 13% de la valeur des exportations selon l’OCDE.

Sur l’île de Chiloé, les fermes d’élevage de saumons monopolisent des centaines de kilomètres de côtes. Le Chili talonne la Norvège en termes de production mondiale. Seulement 2% de la production aquacole est consommée sur place. «Le Chili demeure très fortement subordonné à la division internationale du travail», souligne Franck Gaudichaud, maître de conférences à l’université Toulouse-Jean-Jaurès. La demande mondiale dicte la santé économique. Et influence fortement les choix politiques nationaux.

Durant la dictature, de 1973 à 1990, Augusto Pinochet a imposé une vision extrêmement libérale de l’économie, dans le sillage des recommandations des Chicago Boys, au premier rang desquels Sergio de Castro. Formé à l’université de Chicago par Milton Friedman, un chantre du libéralisme, de Castro fut ministre de l’Économie puis ministre des Finances. Les Chicago Boys appliquent la théorie économique du Britannique David Ricardo (1772-1823) selon laquelle chaque pays doit s’intégrer au jeu du commerce mondial en se spécialisant dans le domaine où il détient des avantages comparatifs. Le Chili possède un sous-sol riche en minerais, il dispose

de terres arables et d’un climat tempéré. Une poignée de riches familles d’entrepreneurs ont donc privatisé des pans entiers du territoire avec l’assentiment du gouvernement: elles ont implanté de gigantesques exploitations forestières et agricoles. «L’économie chilienne d’aujourd’hui est l’héritière de cette forte influence de l’école de Chicago », note Bertrand Badie, politiste et professeur émérite à SciencesPo.

Record d'accords de libre-échange

Une fois la démocratie revenue, dans les années 1990, un seul objectif: «Croître, croître, croître!» résume Sofía Boza Martínez, enseignante à l’Université du Chili, à Santiago. L’agro-industrie se développe. Les fermes aquacoles apparaissent. Des milliers d’hectares de terres agricoles sont alloués à la production de fruits de «contre-saison» destinés aux marchés européens et américains. «Le Chili est le pays de la planète ayant signé le plus grand nombre d’accords de libre-échange», rappelle Franck Gaudichaud.

Le Chili talonne la Norvège en termes de production de saumons d'élevage au niveau mondial.
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Mais l’extraction minière, les productions agricoles et forestières, ont des conséquences néfastes sur l’environnement. L’impact sur la biodiversité est avéré. Près des mines, les micro-algues dont se nourrissent les flamants roses andins se raréfient. Ces majestueux oiseaux aussi. Au sud, sur les terres du peuple indigène des Mapuches, les plantations de pins et d’eucalyptus acidifient les sols, accélèrent leur assèchement. La biodiversité a drastiquement reculé.

Priorité à l'avocat assoiffé

Dans la région de Valparaiso, l’avocat est devenu le fruit roi dans les assiettes occidentales. Or un avocatier consomme 67 litres d’eau par jour alors que la sécheresse fait rage. D’immenses réserves d’eau sont accaparées. De l’autre côté de la clôture, certains agriculteurs, impuissants, voient leurs bêtes mourir faute d’avoir de quoi les abreuver. À Petorca, la municipalité est même contrainte d’acheter de l’eau pour la distribuer par camions-citernes à la population. Dans la constitution chilienne, boire et se laver n’ont pas priorité sur l’activité agricole. Les «droits sur l’eau» se monnaient.

«Le monde agricole chilien se divise en deux camps, note Sofía Boza Martínez, d’un côté une poignée de grandes entreprises exportatrices qui jouissent de moyens technologiques et logistiques poussés et tirent profit de la mondialisation, d’autre part l’immense majorité de petits exploitants qui se démènent sur de petites surfaces et sont très vulnérables face au manque d’eau.» Dans le secteur agricole, comme dans le reste de la société chilienne, le paysage est criant d’inégalités.

"Zonas de sacrificio"

Au Chili, on les appelle les zones sacrifiées. Des territoires dangereusement pollués au profit de l’extraction minière et de la production énergétique qu’elle nécessite. Exemple: la baie de Quintero,  à une  trentaine de kilomètres de Valparaiso une fonderie-raffinerie de cuivre, quatre centrales électriques à charbon, des terminaux gaziers et pétroliers et plusieurs usines chimiques s’y concentrent. Contaminé, l’environnement est devenu toxique pour les habitants.