“Dans les années 1980", se souvient Thomas Grjebine, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), "on parlait du “miracle japonais’". C’était vraiment le pays qui montait, censé devenir la première puissance mondiale devant les États-Unis”.
Quarante ans plus tard, le Japon affiche une économie quelque peu fragilisée : il est entré en récession en janvier 2020, le déclin démographique du pays n’en finit pas et surtout, sa dette publique a atteint un niveau record. Elle représentait 238 % du PIB en 2019, d’après le Fonds monétaire international (FMI). À titre de comparaison, la France affichait une dette publique de 98,1 % du PIB.
Mais cette dette gigantesque n’inquiète pas l’Archipel. Il faut dire que, là-bas, “la dette n’est pas un tabou, alors qu’en France, elle est dénoncée comme très négative et sert de prétexte à l’austérité budgétaire”, explique Evelyne Dourille-Feer, ancienne économiste au CEPII et japonologue.
“Dans les années 1980", se souvient Thomas Grjebine, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), "on parlait du “miracle japonais’". C’était vraiment le pays qui montait, censé devenir la première puissance mondiale devant les États-Unis”.
Quarante ans plus tard, le Japon affiche une économie quelque peu fragilisée : il est entré en récession en janvier 2020, le déclin démographique du pays n’en finit pas et surtout, sa dette publique a atteint un niveau record. Elle représentait 238 % du PIB en 2019, d’après le Fonds monétaire international (FMI). À titre de comparaison, la France affichait une dette publique de 98,1 % du PIB.
Mais cette dette gigantesque n’inquiète pas l’Archipel. Il faut dire que, là-bas, “la dette n’est pas un tabou, alors qu’en France, elle est dénoncée comme très négative et sert de prétexte à l’austérité budgétaire”, explique Evelyne Dourille-Feer, ancienne économiste au CEPII et japonologue.
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Face à la pandémie du coronavirus, par exemple, pour soutenir les ménages et les entreprises face à la crise du coronavirus, le Japon a mis sur la table 1 900 milliards d’euros (soit 234 000 milliards de yens), pour l’essentiel sous forme de prêts. Le gouvernement a distribué des chèques d’environ 850 euros (100 000 yens) à tous les citoyens.
"Au Japon, ce qui domine les esprits, c’est la vision keynésienne : il faut faire de la relance budgétaire en cas de crise ou pour investir dans les infrastructures.” Cela explique aussi pourquoi la dette est assez absente du débat public. À part pendant la crise grecque, souligne Brieuc Monfort, maître de conférences à l’Université Sophia à Tokyo et chercheur associé à la Fondation France Japon de l’EHESS. “À ce moment-là, les Japonais ont eu peur de connaître les mêmes problèmes qu’Athènes.”
En Chiffres
238 %
Soit la dette du Japon par rapport à son PIB, en 2019
Un "nationalisme" salutaire
Le niveau colossal de la dette publique japonaise n’est pas perçu comme une menace, assure l’économiste du CEPII. “Il suffit de pouvoir rembourser cette dette, d’évaluer sa soutenabilité.” Or, le pays n’a pas de problème. Il affiche d’importants excédents et un patrimoine financier domestique exceptionnel. Contrairement à la France, plus habituée aux déficits courants, rappelle Evelyne Dourille-Feer.
Pas d’inquiétude non plus du côté des intérêts. Le Japon peut compter sur sa banque centrale pour racheter la quantité nécessaire de titres de dette souveraine pour que les taux obligataires ne dépassent pas 0 %. “Elle joue pleinement son rôle. C’est plus compliqué pour la France”, ajoute Thomas Grjebine. L’Hexagone faisant partie de la zone euro, les décisions sont prises au niveau de la Banque centrale européenne (BCE). Il est difficile, pour les pays membres, de s’accorder sur une politique monétaire commune, avec certains taux qui diffèrent d’un pays à l’autre.
Soutenabilité
Capacité d’un État à rembourser sa dette. Elle est liée aux recettes qui permettront de payer le principal, les frais associés et les intérêts.
L’autre avantage majeur de la dette japonaise, c’est qu’elle est détenue majoritairement par les résidents (près de 90 % en 2018, dont 46 % par la Banque du Japon). “Elle échappe ainsi aux investisseurs étrangers et à leurs inévitables pressions politiques”, analyse Alexandre Roy, maître de conférences à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). Ce n’est pas le cas pour la France, puisque la dette est majoritairement détenue par des agents étrangers (53,6 %).

"Au Japon règne une sorte de nationalisme. Acheter ou consommer des produits nationaux, c’est quelque chose de plus naturel dans l’Archipel qu’ici en France”, poursuit Thomas Grjebine. Qui plus est, la dette japonaise est émise en monnaie nationale (le yen). “De bout en bout, la dette publique est sous contrôle. Elle peut donc encore croître sans risque pour la souveraineté financière”, complète Alexandre Roy.
"Au Japon, ce qui domine les esprits, c’est la vision keynésienne : il faut faire de la relance budgétaire en cas de crise ou pour investir dans les infrastructures.”
Brieuc MonfortMaître de conférences à l’Université Sophia à Tokyo
Les retraites en question
Avec la crise du coronavirus, le Japon doit en effet s’attendre à une nouvelle augmentation de sa dette publique. D’après le FMI, elle pourrait atteindre 268 % du PIB cette année. “C’est un choc de plus, mais un choc ponctuel, explique Brieuc Monfort. La dette étant soutenable, il ne faut pas être obsédé par son niveau.”
Pour soutenir l’économie face à la pandémie, un nouveau plan massif a été annoncé “et c’est ce qu’il fallait faire”, renchérit Brieuc Monfort, qui rappelle que le Japon a été moins impacté par le Covid-19 que la France tant sur le plan sanitaire, qu’économique. “Le pays va sans doute mieux s’en sortir que les États-Unis ou que l’Europe.”
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Il n’empêche que certaines inquiétudes se font jour. “Du côté des jeunes générations, on voit bien les conséquences de cette dette élevée, décrit le chercheur. On sait que les impôts vont augmenter, progressivement sans doute, mais quand même. Surtout, on se demande comment on va financer les retraites” alors que la population vieillit de plus en plus. Des peurs qui, pour le coup, ressemblent beaucoup à celles des Français.
Mauvais choix et "décennies perdues"
Pour comprendre la dette du Japon, remontons au début des années 1990. Le pays vit alors une série de chocs économiques. Éclatement de bulles spéculatives boursières et immobilières, attentats du 11 septembre 2001, effondrement de Lehman Brothers en 2008, catastrophe de Fukushima… Pour tenter d’enrayer une déflation qui va durer plus de 20 ans (les “décennies perdues”), le gouvernement nippon ouvre les vannes. Le Premier ministre Shinzo Abe mise sur son programme “en trois flèches” (les “Abenomics”) qui s’appuie sur une relance budgétaire massive, un assouplissement monétaire radical et des réformes structurelles.
Mais ça ne suffit pas. Ni la consommation ni la croissance ne repartent. Les Japonais craignent une augmentation des prix et préfèrent épargner. “Ils ont été un peu forcés", note Brieuc Monfort. Car pour les frais de santé ou pour les pensions de retraite, le système japonais est moins généreux qu’en France. Et puis, “certains se sont brûlé les ailes avec les bulles immobilières et financières dans les années 1990”. Les hausses sporadiques de la TVA (introduite en 1989) n’aident pas non plus. “Le Japon a fait de mauvais choix économiques”, tranche Thomas Grjebine.
Contrairement à la France, qui a souvent connu l’alternance politique, le Japon est dominé par le Parti libéral démocrate (PLD) depuis 1955 presque sans interruption. Mais cette stabilité politique n’empêche pas les zigzags économiques. “Quand vous annoncez un plan de relance massif, puis que vous augmentez la TVA quelques mois plus tard, vous cassez l’élan. C’est un peu ce qu’a fait la France en 2011 en augmentant massivement les impôts.” Le résultat ? “Ça tue la croissance et ça créé du chômage.”
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