« Nous avons accompagné 311 projets entre 2017 et 2021, la moitié se sont concrétisés dans des entreprises. Parmi nos pépites, nous trouvons un peu de tech (par exemple, une couveuse solaire pour nouveau-nés prématurés), mais surtout des innovations sociales. »
Comme cet atelier créé par une jeune femme, déterminée à ce que les fillettes sénégalaises ne subissent pas la déscolarisation qu’elle-même a connue. Ou comme cet étudiant qui a lancé une usine locale de transformation de produits laitiers et maintenu du coup sur place une valeur ajoutée qui échappait avant à la région quand elle se contentait de vendre le lait. « On a vu ses yaourts s’installer progressivement dans les échoppes de la ville », se réjouit Ndimby Diop Faye.
Bref, les levées de fonds les plus utiles ne sont pas forcément les plus bling-bling.
Les vrais piliers de la santé
Direction Dakar, la capitale, qui abrite le quart des 17 millions de Sénégalais et quelques dizaines de milliers d’expatriés français.
Caroline Comiti, conseillère en santé mondiale auprès de l’ambassade de France, doit composer avec des mécènes qui préfèrent souvent l’ostentatoire, bon pour l’image : « Tout le monde veut construire un nouvel hôpital, comme si c’était avec plus d’hôpitaux qu’on allait préserver la santé de la population ! En réalité, la santé publique dépend avant tout de l’accès à l’eau potable et à l’hygiène, et de l’acceptation des traitements par la société. L’épidémie de Covid-19 a prouvé que la mise à disposition de grandes quantités de vaccins dans les pays du sud ne garantit pas un taux de vaccination correct, faute notamment d’acceptation. »
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La question se pose alors : les solutions scientifiques servent-elles vraiment les gens ? Dans l’extrême nord du pays, l’expression consacrée « changement climatique : problème global, solution locale » prend tout son sens.
Nous voici sur la Langue de Barbarie. Imaginez une bande sablonneuse de près de 30 kilomètres de long et moins large qu’un tour de terrain d’athlétisme (400 mètres) s’étendant entre l’océan Atlantique et le fleuve Sénégal. C’est depuis son village de pêcheur de Guet Ndar, l’un des quartiers les plus densément peuplés au monde, que Moustapha Dieng explique : « En 2015, nous avons connu une inondation dramatique, et rebelote en 2018, 2019 et 2020, se souvient le président du Syndicat des pêcheurs autonomes du Sénégal. Des milliers de familles déplacées ont dû s’installer dans des tentes de fortune. »
Après que le mur protégeant la Langue a été balayé en 2018, Emmanuel Macron en personne est venu annoncer une aide française de 15 millions d’euros pour « mettre tout le long du territoire, devant les maisons et les murs qui s’effondrent, des rochers pour protéger les habitations ».
Quatre ans plus tard, on peut effectivement marcher sur ces rochers enserrés dans des cages métalliques, qui servent à endiguer temporairement l’érosion côtière mais Moustapha Dieng est soucieux. « D’un côté, les scientifiques et les ONG disent que le problème est structurel et débattent de la meilleure solution technique de long terme, par exemple des brise-vent, mais nos familles disent que leurs ancêtres ont connu ces mêmes événements cycliques d’érosion côtière. » Les ONG prétendent pourtant consulter les populations locales.
Chercheurs déculturés
Cette tendance à la « solution scientifique clé en main », le professeur Sambou Ndiaye (département de Sociologie de l’Université Gaston Berger) constate à regret qu’elle a infusé parmi les élites sénégalaises : 75 % des enseignants-chercheurs de son département ont été formés sur le continent européen.
« Nous, les chercheurs africains, nous sommes déculturés de nos populations locales parce que nous avons été formés à l’étranger, il faut que nous le reconnaissions. » Son idée : « faire de la recherche-action », c’est-à-dire articuler la recherche avec les préoccupations territoriales.
Pour les chercheurs qu’il encadre, pas question d’éduquer les populations locales, ou de leur transmettre un savoir « comme s’il s’agissait de remplir une calebasse vide ». Il s’agit de les écouter d’abord.
Pour la gestion de l’eau, au lieu de lancer de grands projets d’infrastructures, son département lance en 2017 – en partenariat avec l’ONG Gret et l’Agence régionale de développement – un programme visant à inclure les usagers à la gestion des services publics de l’eau potable en milieu rural.
L’étude révèle que les populations sont mal informées sur les réformes qui ont débouché sur l’autorisation des acteurs privés à exploiter les réseaux, avec, en conséquence, un niveau médiocre d’acceptation des décisions et du service. « La gestion de l’eau est un enjeu technique et social. J’ai commencé ma carrière en ne faisant que le technique, confesse Sambou Ndiaye, cela ne marche pas. »