Ils suscitent répulsion ou admiration pour leur réussite. Bref, ils incarnent le fameux « rêve américain ». À la fin du XIXe siècle déjà, aux États-Unis et au-delà, on s’extasiait ou l’on s’indignait de la réussite insolente des self-made-men faisant des États-Unis une terre d’opportunités, pour reprendre la formule de James T. Adams en 1937 dans The Epic of America.
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Trois créateurs d’empires
Trois d’entre eux, Andrew Carnegie (1835-1919), John Pierpont Morgan (1837-1913) et John Davison Rockefeller (1839-1937) ont donné des visages au mythe. Considérés à la fois comme des génies des affaires, mais aussi comme des hommes prêts à tout au point d’être surnommés les « barons voleurs », chacun d’entre eux fut, dans son secteur, un acteur essentiel du processus de croissance.
Celui-là même qui a permis aux États-Unis de devenir la première puissance économique du monde durant les années 1890.
Ils comprenaient les évolutions du monde dans lequel ils vivaient. Leurs intuitions les ont conduits à fonder, puis à diriger trois des plus grandes entreprises américaines dans les secteurs clés de la seconde révolution industrielle qui débute dans les années 1870.
Partis de peu, ces trois hommes comptent, au début du XXe siècle, parmi les plus grandes fortunes mondiales. Andrew Carnegie est à l’origine du développement de la sidérurgie américaine. Installé à Pittsburgh, en Pennsylvanie, il est ouvrier du textile puis employé d’une compagnie de chemins de fer.
À la fin de la guerre de Sécession, il comprend que l’avenir est dans la construction ferroviaire et qu’il faudra donc beaucoup d’acier pour les rails et les ponts. Il investit dans la construction d’une première aciérie tout l’argent qu’il a gagné en travaillant pour le fondateur des wagons-lits Pullman.
En 1875, il introduit aux États-Unis le convertisseur Bessemer qui permet d’obtenir des quantités énormes d’acier de bonne qualité à prix raisonnable : son usine Edgar Thomson devient la plus moderne du monde. En 1892 est fondée la Carnegie Steel Co.
En 1901, elle fusionne avec d’autres sociétés et donne naissance à United States Steel Corporation qui produit 30 % de l’acier américain. La même année, Carnegie vend ses parts pour 487 millions de dollars au banquier J.P. Morgan. US Steel est la première société dans l’histoire dont le capital dépasse un milliard de dollars.
J.P. Morgan est le fils d’un banquier du Connecticut qui a reçu une solide éducation en Europe. Passé par des emplois subalternes pour s’aguerrir, vendeur d’armes pendant la guerre de Sécession, il s’associe à d’autres banquiers de New York pour fonder, en 1871, la Drexler Morgan and Co qui rachète des entreprises pour les revendre plus cher après les avoir restructurées.
Il profite des difficultés de ses concurrents pendant la Grande Dépression (1873-1896) pour accumuler une fortune considérable et acquiert des participations dans des secteurs très divers : matériel ferroviaire, transports, électricité. Adepte de l’intimidation, il finit la plupart du temps par faire céder ses concurrents.
Financeur des recherches de Thomas Edison et Nikola Tesla, Morgan est à l’origine de la fondation de l’Edison Electric Company. Son coup de maître est le rachat, en 1901, des parts de Carnegie dans l’US Steel Co. Il est aussi propriétaire de la White Star Line qui lance le Titanic : Morgan avait l’ambition de contrôler le trafic maritime entre les États-Unis et l’Europe, mais il échouera.
Le troisième personnage emblématique de cette période, c’est Rockefeller. Diplômé d’une école de commerce et comptable de formation, il se lance dans les affaires dès que ses économies le lui permettent. D’abord dans la viande et les céréales, il s’intéresse au pétrole dès 1862. Producteur de naphte et de kérosène, il crée ensuite ses premières raffineries.
En 1872, il fonde la Standard Oil of Ohio. Progressivement, ses affaires s’étendent et Rockefeller acquiert une position dominante dans le raffinage et le transport du pétrole.
Il impose ses vues à ses concurrents, les met à genoux en cassant les prix jusqu’à ce qu’ils s’associent à lui et rejoignent le Standard Oil Trust qui, en 1900, contrôle 90 % du pétrole raffiné aux États-Unis. Ce quasi-monopole aboutit au démembrement du trust, en application du Sherman Act de 1890. Jusqu’à sa mort, en 1937, Rockefeller restera considéré comme l’homme le plus riche du monde.
De « requins » à philanthropes
Si ces trois grands capitalistes ont fait montre d’une grande âpreté au gain, leurs fins de vie sont marquées par des initiatives charitables, notamment en faveur de l’art et de la culture. Carnegie a ainsi financé la construction de la plus célèbre salle de concert de New York, le Carnegie Hall.
Il est aussi à l’origine d’un grand nombre d’œuvres universitaires et a créé sa fondation homonyme qui a beaucoup œuvré pour la création de la Société des Nations (SDN) et la paix après 1919.
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De son côté, Morgan a accumulé d’extraordinaires collections d’art maintenant visibles au Metropolitan Museum of Arts. Rockefeller consacra une bonne partie de sa fortune à la fondation de l’université de Chicago, à l’Institut de recherche médicale Rockefeller et à la fondation Rockefeller pour la science. Il participe aux secours aux populations touchées par la Première Guerre mondiale, à la reconstruction des régions dévastées et décide la construction du Rockefeller Center de New York.
Que conclure de tout cela ? Ces hommes ont eu d’extraordinaires intuitions économiques, ont forgé une partie de la puissance des États-Unis et ont créé un véritable mythe, celui des self-made-men. En ce sens, leurs successeurs actuels, les magnats des Gafam s’inscrivent dans cette lignée.
Les projets de la fondation Bill-et-Melinda-Gates en faveur de la lutte contre la pauvreté, de la santé et de la diffusion des savoirs technologiques, se place dans le sillage des prestigieux anciens, tout comme les procès pour abus de position dominante qui ont été conduits contre Microsoft et Google ou les critiques à l’égard des gigantesques fortunes accumulées.