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Brexit : ces poissons que les pêcheurs français ne peuvent (quasiment) plus pêcher
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Brexit : ces poissons que les pêcheurs français ne peuvent (quasiment) plus pêcher
Contraints au respect de quotas sur certaines espèces et méfiants d’une législation oscillante, les pêcheurs français perdent patience et réclament des sanctions suite aux nouvelles dispositions annoncées par le gouvernement britannique vendredi 30 avril. Pendant ce temps, une grande majorité d’entre eux est obligée de restreindre son activité jusqu’à ce que la législation leur permette de la reprendre.
Elena Garcia
© Mary Turner/PANOS-REA
C’est la goutte qui a fait déborder le vase. Vendredi 30 avril, l’île anglo-normande de Jersey a introduit des nouvelles consignes dans l’accord de pêche post-Brexit, effectif depuis le 1er janvier dernier.
Non concertées, ces dispositions précisent des nouveaux zonages où les navires français peuvent aller, le nombre de jours que peuvent passer les pêcheurs dans ces eaux et les caractéristiques des bateaux autorisés.
Ces précisions annoncées par l'île de Jersey n’avaient pas été précisées lors de l’accord initial. Elles illustrent une manque de clarté du gouvernement britannique, vivement critiqué par les pêcheurs français.
“Les pêcheurs ont l’impression que le Royaume-Uni a joué la montre pour les écarter de leur zones traditionnelles de pêche alors qu’il y a un accord général qui devrait leur permettre d’y accéder”, déplore Jérémie Souben, secrétaire de la Fédération des Organisations de Producteurs de la Pêche Artisanale (FEDOPA).
Combien représente la pêche dans les échanges commerciaux entre l’UE et la Grande-Bretagne ?
L’accord de commerce et de coopération entre l’Union européenne et le Royaume-Uni en matière de pêche donne accès aux pêcheurs européens aux eaux britanniques jusqu’en juin 2026.
Pendant ces cinq ans et demi, l’Union européenne devra rendre 25% de ses prises, l’équivalent d’environ 650 millions d’euros par an, sur les 700 milliards d’euros d’échanges commerciaux annuels entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.
En attente depuis des mois d’une autorisation pour pouvoir travailler, les pêcheurs français, qui réalisent 30% de leurs prises dans les eaux britanniques, sont obligés de renoncer à la pêche de certaines espèces qu'ils ont traditionnellement pêchées.
Dans quels périmètres les pêcheurs français ont-ils le droit de pêcher ?
La législation britannique post-Brexit est divisée en plusieurs types de licences, en fonction du périmètre déterminé par le nombre de milles nautiques depuis la côte anglaise (1 mille nautique équivaut à 1,8 km).
Pour obtenir l’autorisation correspondante aux eaux des 6 à 12 milles (11,1 à 22,2 kilomètres), le périmètre le plus proche de la côte anglaise, les navires doivent prouver une activité antérieure à l’année 2021 dans ces zones. “Uniquement les navires dotés d’un VMS (Vessel Monitoring System), un outil de géolocalisation, ont la possibilité de le justifier”, remarque le secrétaire.
Les flottes qui ne possèdent pas cet outil sont obligées de fournir un faisceau d’indices détaillé sur leur présence antérieure. “Une démarche très difficile à réaliser pour des pêcheurs qui n’ont pas l’habitude de rassembler ces documents et dont l’activité principale n’est pas de d’effectuer ce type de paperasse”, rajoute-t-il.
C’est notamment le cas des pêcheurs des Haut-de-France. Même s’ils “possèdent des petits navires à capacité de retrait très limitée”, ils travaillent dans “une zone très étroite qui se situe déjà sur le périmètre ciblé par ces licences de 6 à 12 milles nautiques”, constate le secrétaire.
Ces conditions limitent le nombre de navires ayant le droit à obtenir ces licences. “Aujourd’hui, sur 120 flottes françaises, 70 unités attendent toujours leur licence”, remarque Jean-Luc Hall, directeur général du comité national des pêches maritimes.
Pour travailler dans les zones des 12 à 200 milles nautiques, les plus éloignées de la côte anglaise, les navires doivent également demander une licence. Elles, d’après Jérémie Souben, “ont été livrées sans beaucoup de difficulté, autour du 21 janvier”.
Pourront-ils pêcher les mêmes espèces et les mêmes quantités qu'avant le Brexit ?
Cabillaud, encornet, églefin, merlan, lieu noir, raie, merlu ou sole… À chaque espèce, ses eaux de prédilection et donc... Sa réglementation.
Les eaux les plus proches des côtes anglaises (6 à 12 milles) sont aussi les plus poissonneuses. Elles “concentrent des espèces à haute valeur sur le marché, tel l’encornet, un type de calamar, qui est normalement pêché en début d’année par des flottes européennes. Sur le mois de janvier cette zone peut représenter 25% du chiffre d’affaires des flottilles concernées par la pêche de cette espèce, ce qui revient entre 175 et 200 000 euros”, souligne Jérémie Souben.
Quant aux licences 12 à 200 milles nautiques, elles “sont relatives à des zones de grande pêche où les prises sont soumises à des quotas”, poursuit-il : 25% de chaque prise doit revenir au Royaume-Uni. “Une situation qui empire les niveaux de pertes des pêcheurs, déjà fragilisés pendant la crise sanitaire”, rajoute Jérémie Souben.
Le climat est tendu et explosifJérémie Souben
Secrétaire de la Fédération des Organisations de Producteurs de la Pêche Artisanale (FEDOPA)
Les négociations ont également établi des “totaux admissibles de capture” (TAC) pour l’année 2021. Les TAC encadrent la pêche d’espèces menacées d’extinction. Celles-ci ont été déterminées “stock par stock” et ont surtout affecté les espèces les plus nombreuses comme “le merlan, le lieu noir, les raies, le merlu ou la sole”, précise Jean-Luc Hall.
Les TAC et quotas concernent également les poissons qui sont “les plus prisés par leurs pêcheurs”, comme le cabillaud ou l’églefin. “Ils représentent une part importante du chiffre d'affaires généré par l’activité de la pêche dans l'ensemble des pays européens”, rappelle le directeur général.
Pour lui, 25% de quota sur chaque stock d’espèce pêchée, “ce n’est pas négligeable”. “Ça reste une moyenne car certains stocks ont perdu davantage, comme le maquereau, une ressource importante pour beaucoup de pêcheries françaises, qui lui est soumis à un quota de 65%”, précise-t-il. Le merlan bleu et le chinchard font également l’objet d’une exception avec un pourcentage de capture de 65%.
Il faut se mettre dans la peau d’un chef d’entreprise qui va devoir rendre un quart de cette espèce, soumise à quotas.Jean-Luc Hall
Directeur général du comité national des pêches maritimes.
Les pêcheurs français, comme le reste des pêcheurs européens, se retrouvent donc face à une double contrainte : une législation qui restreint leur accès aux espèces les plus rares et d'un autre côté des licences plus simples à obtenir mais dans des zones où les stocks sont cotés.
La complexité des démarches administratives a changé la configuration des navires présents sur les côtes anglaises. “Historiquement, les eaux 6 à 12 milles étaient les endroits de prédilection des navires européens. Aujourd’hui l’accès est limité à la zone sud”, rappelle Jérémy Souben.
Suite aux modifications apportées par l’accord de pêche post-Brexit, le secteur de la pêche risque de se restructurer, “en ne laissant sur le marché que les navires les plus modernes”, conclut-il.