L’essentiel
- Le 31 janvier marque le troisième anniversaire du départ du Royaume-Uni de l’Union européenne, mais l’heure n’est pas à la fête.
- Les difficultés économiques (inflation, pénurie de produits et de main-d’œuvre, départs d’emplois dans la finance…) font regretter à certains Britanniques, le vote du Brexit.
- Selon des chercheurs, 10 % des partisans du Brexit changeraient leur vote et un nombre croissant d’électeurs choisiraient de "Rester" en cas de second référendum.
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« J’ai voté pour le Brexit. Je croyais à la résilience du Royaume-Uni, à l’ouverture d’une nouvelle ère pour l’industrie britannique. » Dans son bureau de Sutton Coldfield, en banlieue de Birmingham, Steve Hardeman laisse échapper un soupir. « Ce que je n’avais pas pris en compte, c’est l’incompétence de nos dirigeants. Aucun n’est à la hauteur. »
Son entreprise, une PME de 30 employés spécialisée dans la confection de rivets pour l’industrie automobile, tient pourtant le cap depuis la sortie définitive de l’Union européenne (UE) en janvier 2021. Clevedon Fasteners, au chiffre d’affaires de 4,8 millions de livres sterling (5,5 millions d’euros), exporte 30 % de sa production, dont une bonne partie vers le continent.
L’essentiel
- Le 31 janvier marque le troisième anniversaire du départ du Royaume-Uni de l’Union européenne, mais l’heure n’est pas à la fête.
- Les difficultés économiques (inflation, pénurie de produits et de main-d’œuvre, départs d’emplois dans la finance…) font regretter à certains Britanniques, le vote du Brexit.
- Selon des chercheurs, 10 % des partisans du Brexit changeraient leur vote et un nombre croissant d’électeurs choisiraient de "Rester" en cas de second référendum.
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« J’ai voté pour le Brexit. Je croyais à la résilience du Royaume-Uni, à l’ouverture d’une nouvelle ère pour l’industrie britannique. » Dans son bureau de Sutton Coldfield, en banlieue de Birmingham, Steve Hardeman laisse échapper un soupir. « Ce que je n’avais pas pris en compte, c’est l’incompétence de nos dirigeants. Aucun n’est à la hauteur. »
Son entreprise, une PME de 30 employés spécialisée dans la confection de rivets pour l’industrie automobile, tient pourtant le cap depuis la sortie définitive de l’Union européenne (UE) en janvier 2021. Clevedon Fasteners, au chiffre d’affaires de 4,8 millions de livres sterling (5,5 millions d’euros), exporte 30 % de sa production, dont une bonne partie vers le continent.
« Les deux premiers mois après la sortie du marché unique, c’était le chaos, se remémore le directeur exécutif. Personne n’était prêt, ni au Royaume-Uni, ni côté européen. Puis on s’est adaptés aux nouvelles procédures administratives et on a même gagné des clients, contre toute attente. »
Marché unique
Créé le 1er janvier 1993, le marché unique permet la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux au sein de l’Union européenne. Depuis le 1er janvier 2021, le Royaume-Uni a quitté cet espace : les entreprises doivent donc s’acquitter de nouvelles formalités administratives chronophages et coûteuses. Les contrôles à la frontière ralentissent également les flux de marchandises. De leur côté, les citoyens européens sont contraints de demander un visa pour travailler dans le pays.
« J’aime Boris de tout mon cœur, mais bon Dieu… »
Mais la bonne santé de Clevedon Fasteners masque un sentiment général de gâchis. D’inachevé. « Le gouvernement n’a aucune stratégie industrielle, juge-t-il. Le vivier de talents est épuisé. Pendant quarante ans, tous les meilleurs sont partis faire carrière à Bruxelles, et maintenant il ne nous reste plus que des gens qui ont le niveau de conseillers municipaux, et ce n’est pas gentil pour les élus locaux, qui sont pour la plupart compétents et se décarcassent. »
Depuis le référendum du 23 juin 2016 (52 %-48 % en faveur du Brexit), l’instabilité politique règne. Les Premiers ministres conservateurs se succèdent à un rythme effréné. Cinq au total, dont le médiatique et charismatique artisan de la rupture avec l’UE, Boris Johnson (2019-2022). « Je l’aime de tout mon cœur, hein, mais bon Dieu… », souffle Hardeman.
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Chez les partisans du Brexit, la déception se mue de plus en plus en regrets, ces derniers mois. D’après Stephen Drinkwater, professeur à l’Université de Roehampton et Colin Jennings, maître de conférences à Kings College London, 10 % d’entre eux changeraient leur vote « si on leur en donnait l’occasion ». Dans le même temps, « il semblerait qu’un pourcentage toujours plus élevé d’électeurs, y compris des abstentionnistes de 2016 », choisirait de cocher la case “Remain” (Rester dans l'UE) en cas de second référendum.
D’importantes pénuries de main-d’œuvre
Cette tendance au “Bregret”, estiment les deux chercheurs, puise « probablement » sa source dans « les difficultés économiques du pays ». À mesure que les effets de la pandémie de Covid-19 s’estompent, les conséquences du Brexit apparaissent au grand jour. « Pour de nombreuses entreprises, l’année 2022 a permis de clairement identifier les obstacles au commerce avec l’UE », confirme un rapport de la Chambre de commerce britannique publié à l’occasion du deuxième anniversaire de la rupture avec Bruxelles.
Sur la période, « les exportations sont tombées dans le rouge ». En parallèle, poursuit le document, « l’abolition de la liberté de circulation des personnes a engendré des pénuries dans de nombreux secteurs » dépendants de la main-d’œuvre européenne, comme la santé, la restauration et l’agriculture.
« On nous rabâche constamment les oreilles avec les conséquences du Brexit, mais le Royaume-Uni n’est pas le seul pays à traverser une crise économique actuellement », conteste Steve Hardeman.
Partout en Europe, les difficultés s’accumulent et les prix explosent, alimentés par les difficultés d’approvisionnement post-pandémie et les répercussions de la guerre en Ukraine sur le marché de l’énergie. « C’est l'énergie qui nous pénalise le plus, assure Steve Hardeman, notre facture mensuelle est passée de 5 000 à 33 000 livres en fin d’année. »
Au sein de la zone euro, le taux d’inflation s’établissait ainsi à 9,2 % en décembre 2022. Mais outre-Manche, la situation était encore pire. Dans de nombreux secteurs clés, les grèves se sont multipliées pour réclamer des hausses de salaires, pour compenser une augmentation des prix évaluée à 10,5 %. La faute, dans une certaine mesure, à la perte de valeur de la livre sterling depuis le scrutin de 2016 : pour importer des marchandises, les Britanniques paient désormais plus cher qu’avant le référendum.
Dépréciation (monnaie)
Constatation de la baisse de la valeur d’une monnaie sur le marché des changes, sans qu’elle soit le résultat d’une décision officielle des autorités monétaires du pays. À la différence de la dévaluation, son origine n 'est pas une action de l'état ou d’une banque centrale. Cette situation peut résulter d’un manque de confiance de la part des investisseurs ou d’une trop grande présence de déficit ou encore d’un excédent de monnaie mis en circulation sur le marché.
Juste devant la Russie, frappée par les sanctions
D’autres indicateurs permettent d’isoler avec davantage de précision l’impact du Brexit : le Royaume-Uni, par exemple, demeure le seul État du G7 (Canada, France, États-Unis, Japon, Allemagne, Italie, Royaume Uni) dont le Produit intérieur brut (PIB) n’a pas encore retrouvé son niveau pré-pandémie. Les prévisions 2023 en matière de croissance économique placent même le pays en queue de peloton (-0,4 %) des 38 membres de l’OCDE, juste devant la Russie, frappée par une batterie de sanctions depuis le début de l’invasion de l’Ukraine.
« Ce ne sont que des estimations, balaie Steve Hardeman. Elles valent ce qu’elles valent. La réalité c’est qu’il n’y a aucun moyen de démêler avec exactitude les effets respectifs de la pandémie, de la guerre en Ukraine et du Brexit. »
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Le maire de Londres Sadiq Khan, lui, s’inscrit en faux : europhile convaincu, l’élu travailliste a fustigé dans un discours prononcé mi-janvier « les dégâts immenses » de la sortie de l’UE sur la City. Le premier centre financier européen serait « durement touché par la perte de contrats et de talents » au profit de ses concurrents continentaux, dont Paris, a-t-il déploré. Avant d’appeler à un nouveau rapprochement entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.
« De toute manière, au rythme où on va et avec la clique au pouvoir, il faudra au moins une génération pour que les bénéfices de la sortie de l’UE se matérialisent, prédit Steve Hardeman, résigné. Et d’ici là, l’un de nos dirigeants nous aura sans doute fait ré-adhérer. »
Dans le programme de SES
Terminale. « Quelles politiques économiques dans le cadre européen ? »
Terminale. « Quels sont les sources et les défis de la croissance économique ? »