Des spots jaune et bleu s’agitent dans tous les sens. La tension monte. Dans la salle, les 28 000 fans commencent à crier. Soudain, des feux d’artifice jaillissent de la scène, illuminant sept hommes jeunes qui se mettent à danser. « La foule était en délire ! C’était encore plus impressionnant que le concert de Madonna ! », se souvient la sociologue Sylvie Octobre. Chorégraphies, chants, costumes à paillettes, confettis et autres pyrotechnies. Nous sommes en 2018, à l’AccorHotels Arena de Paris. Les deux premiers concerts en France du groupe BTS se jouent à guichets fermés.
Un an plus tard, à Cannes, Bong Joon-ho reçoit la Palme d’or pour son film Parasite. C’est la première fois qu’un Sud-Coréen remporte ce prix. Consécration quelques jours plus tard : il repart avec quatre statuettes de la cérémonie des Oscars.
Puis en 2021, en pleine pandémie de Covid-19, la série Squid Game, diffusée sur Netflix, atteint des records d’audience : 111 millions de visionnages (au moins partiels) en un mois. « Les yeux du monde sont tournés vers la culture coréenne », résume la même année Kim Nam-joon, l’un des membres des BTS lors d’un discours au Metropolitan Museum of Art de New York. Le jeune homme voit juste : la Corée du Sud a su répandre sa culture partout dans le monde. De l’Europe à l’Afrique subsaharienne, en passant par l’Amérique latine.

Graphique : Les exportations de contenus ont augmenté de 6,3 % pendant la pandémie, alors que les expéditions globales de marchandises ont baissé de 5,4 %. Sources : Bloomberg (données de la Korea Creative Content industry, Ministère coréen du commerce)
Intérêt économique et soft power
Pour comprendre l’ampleur du phénomène, il faut remonter le temps. En 1997, l’Asie subit une grave crise financière. Séoul n’est pas épargnée. Face à la morosité, les Coréens se réfugient dans la culture. Le gouvernement y voit un potentiel inexploité : à titre de comparaison, les recettes du film Jurassic Park, sorti un peu plus tôt, équivalent à la vente de 1,5 million de voitures Hyundai.
Et si exporter des productions culturelles était plus rentable que l’industrie automobile ? Les autorités et les grands conglomérats coréens (chaebol) tentent le pari. Une série de mesures sont mises en place pour encourager l’art : incitation fiscale pour investir dans le secteur du cinéma ; déréglementation pour promouvoir les industries culturelles ; investissements pour développer internet.
En plus de l’intérêt économique, « le gouvernement coréen a reconnu la valeur de ce phénomène, qui n’est pas seulement de vendre plus de biens culturels, mais aussi l’image de la culture coréenne et de la Corée du Sud à l’étranger », note le géopolitologue Barthélémy Courmont. Résultats ? Certains contenus culturels, comme la série What is Love All About ou les musiques du groupe H.O.T., rencontrent un succès énorme en Chine, au Japon ou à Taïwan.
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Syndrome Jurassic park
Quand la culture est évaluée comme une marchandise, pour sa valeur d’échange et non plus pour sa valeur d’usage uniquement (Vincenzo Cicchelli et Sylvie Octobre).
Des fans très actifs
C’est toutefois avec l’avènement du digital que la pop-culture coréenne va prendre sa vraie dimension. En 2012, le rappeur PSY fait danser la terre entière avec son titre Gangnam Style. Sur YouTube, il totalise un milliard de vues en six mois.
Avec la vague Hallyu 2.0, tous les réseaux sociaux sont mobilisés : les k-dramas (séries) sont diffusés sur les plateformes Netflix, Rakuten TV ou Amazon Prime. En plus de la production, des interviews ou des concerts sont partagés sur Instagram, TikTok ou Snapchat. Et les fans participent au succès en relayant les informations ou des fanfictions, en communiquant sur des forums, en organisant des évènements… « Le digital est absolument central. C’est comme ça que la K-pop s’est diffusée en Occident et partout dans le monde », expliquent Sylvie Octobre et Vincenzo Cicchelli, auteurs de l’ouvrage K-pop, Soft power et culture globale (PUF, avril 2022).
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En Chiffres
44 milliards de dollars
Ou 52 600 milliards de wons. C’est l’impact économique que représente le groupe BTS sur la période 2014-2023. Soit plus que celui des Jeux olympiques d’hiver de 2018, estimé à 41 600 milliards de wons (34 milliards de dollars).
Sources : Hyundai Research Institute et Ego_Centrick, 2018, cités par Sylvie Octobre et Vincenzo Cicchelli.
Le succès mondial vient aussi des contenus eux-mêmes, assurent les sociologues : « Les Coréens ont appris à faire des produits culturels de très haute qualité artistique : qu’il s’agisse des scénarios, du jeu des acteurs, de l’esthétique… ». Le tout en diffusant des valeurs universelles qui résonnent auprès du public : le travail, « en répétant que c’est grâce à lui que les artistes réussissent, et non par leur talent » ; l’empathie (jehong), en montrant que « l’humanité est présente même dans le pire » ; l’amour, avec une approche plus spirituelle. « On est loin du baiser non consenti de James Bond et des scènes érotiques de Fifty Shades of Grey. »
En d’autres termes, le k-drama offre une alternative aux modèles occidentaux, analysent les chercheurs : « On constate une saturation grandissante du public pour les œuvres mainstream : trop violentes, trop sexualisées, pas assez inclusives, qui ne font plus rêver… ».
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Dynamique de marché
Cela n’empêche pas les Sud-Coréens de s’inspirer des succès internationaux, bien au contraire ! « Ils prennent le meilleur de toutes les disciplines, adoptent les standards de qualité internationaux, adaptent leurs chansons aux goûts et styles musicaux ayant cours dans les aires géographiques ciblées. »
Contrairement aux Américains ou au Japonais, « ils ne cherchent pas à promouvoir un japanese way of life, mais prennent plutôt en compte les contextes locaux d’exportation et proposent une hybridation ». Si bien que « les produits culturels sud-coréens sont passés du “fait pour la Corée” des années 1990 au “fait par la Corée” à partir des années 2010 » 1.
En Chiffres
13 %
La part de touristes ayant visité la Corée du Sud en 2019 spécifiquement dans le but de découvrir la pop-culture et d’assister à des événements de fans. Leurs dépenses sont estimées à 2,7 milliards de dollars cette année-là.
Source : L’organisation des échanges culturels internationaux du ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme de Corée du Sud (KOFICE).
Et si un contenu ne fonctionne pas ? « Ils arrêtent. Là où les Français s’inscrivent dans une logique de conservation et de perpétuation, les Sud-Coréens se placent dans une dynamique de marché et de test and learn », résume l’entrepreneur et expert de la Corée Didier Borg, dans le média ADN.
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Si ça marche, en revanche, ils standardisent. « Ils ne vont pas créer un seul Michaël Jackson, mais 1000. Les groupes de K-pop sont fabriqués à la chaîne à partir de minutieuses analyses de marché. Les maisons de production vont jusqu’à parler de “génération de groupe”, comme pour les iPhone. »
Rien ne semble plus arrêter la déferlante sud-coréenne, donc. Pas même la pandémie : en 2020, les exportations de productions culturelles sud-coréennes représentaient 10,8 milliards de dollars. Pour Vincenzo Cicchelli et Sylvie Octobre, il ne s’agit pas d’un effet de mode : « Très peu de pays disparaissent des radars une fois qu’ils ont connu une ouverture culturelle. Même si, bien sûr, il faut que le marché se renouvelle, s’adapte, évolue comme dans toute vague culturelle. La hallyu a de beaux jours devant elle. »
1.Jin, 2012 ; Prins et Zameczkowski, 2019. Cités par Sylvie Octobre et Vincenzo Cicchelli.
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