Quand deux éléphants s’affrontent dans la savane, ils risquent sans doute de se blesser, mais une chose est sûre : l’herbe alentour finira écrasée. De même, dans notre économie mondialisée, une guerre commerciale entre les deux plus grandes puissances risque de porter préjudice à beaucoup d’autres pays. « Il n’y a pas de menace plus importante sur la croissance mondiale (…) qu’une guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis », estimait le ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire, en mai dernier.
L’effet domino
Cette contagion s’explique par le mécanisme de chaîne de valeur. Depuis les années 1950, les échanges internationaux de biens et de services se sont fortement développés, reflétant une fragmentation du processus de production entre différents pays.
« Les composants d’un produit traversent parfois plusieurs fois des frontières : les étapes de production sont réparties selon les avantages comparatifs des entreprises de chaque pays », souligne Cécilia Bellora, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII). Un produit peut être conçu dans un pays A, assemblé dans un pays B, à partir de matières premières et de composants issus des pays C et D… pour finalement être vendu dans le pays A ou dans un pays E !
Voilà pourquoi, si les échanges entre deux grands acteurs que sont la Chine et les États-Unis sont perturbés, l’ensemble du commerce international s’en trouve bouleversé. « Tous les produits qui ne sont pas fabriqués dans le pays où ils sont consommés risquent d’être impactés », estime Mary-Françoise Renard, enseignante-chercheuse à l’université Clermont-Auvergne.
Acier, taxe et canette de coca
Lorsque les États-Unis décident de taxer l’acier, cela impacte fortement la Chine, premier producteur mondial, mais aussi l’Allemagne et l’Italie, les deux plus gros producteurs européens. Cet acier étant utilisé comme matière première dans de nombreux produits (bâtiments, automobiles, matériel agricole, ciseaux, boîtes de conserve) qui s’échangent à travers le monde, cela peut impacter des consommateurs dans le monde entier. Ainsi, Coca-Cola, qui importe une partie de ses canettes de Chine, a augmenté le prix de vente de celles-ci, au détriment des consommateurs… américains !
Autre exemple : le soja. En représailles à la hausse des droits de douane sur l’acier, la Chine a relevé ses taxes douanières sur plusieurs produits vendus en quantités par les États-Unis, dont le soja. Une aubaine pour les producteurs canadiens et surtout brésiliens, qui ont bénéficié d’une plus forte demande chinoise. « Les producteurs de soja du Midwest américain, qui ont massivement voté pour Trump, sont aujourd’hui pénalisés », observe Mary-Françoise Renard.
A contrario, étant donné qu’il en coûte désormais plus, aux États-Unis, d’importer des textiles chinois, ce sont d’autres pays asiatiques comme le Vietnam ou le Bangladesh qui ont vu la demande progresser. Le Vietnam est d’ailleurs le pays qui attire le plus les entreprises quittant la Chine. Cela s’expliquait déjà par la hausse des salaires chinois, mais la guerre économique accentue le phénomène. Au premier trimestre 2019, les investissements chinois au Vietnam ont quintuplé. Inversement, Singapour, fortement dépendante de ses échanges avec la Chine, subit de plein fouet l’affaiblissement de son voisin dû à la guerre commerciale : ses exportations vers la Chine ont chuté de 17 % sur un an.
Le gain de l’UE : 70,5 milliards de dollars
La Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (Cnuced), estime que 82 % des 250 milliards de dollars d’exportations chinoises concernées par les droits de douane américains seront captés par des entreprises d’autres pays, et que 85 % des 110 milliards de dollars d’exportations américaines assujetties aux droits de douane chinois seront également captés par des entreprises de pays tiers. Au profit des entreprises européennes ? La Cnuced prévoit en effet que l’Union européenne pourrait augmenter ses exportations de 70,5 milliards de dollars. De même, le Mexique pourrait les voir progresser de 27,9 milliards et le Japon de 24,4 milliards.
Pour le premier semestre de 2019 à lui seul, les importations de produits chinois aux Etats-Unis ont déjà baissé de 25%. Une perte de 35 milliards de dollars pour l'Empire du milieu, en partie récupérée par l'Union Européenne, mais aussi le Mexique et Taïwan.
D’après la société d’assurance-crédit Euler Hermes, les entreprises françaises qui exportent dans le secteur des outils et des équipements pourraient trouver des opportunités aux États-Unis et ceux qui exportent dans les secteurs de l’agroalimentaire, la chimie, l’automobile et l’aéronautique pourraient bénéficier d’opportunités en Chine. Ce sont en effet des secteurs dans lesquels nos firmes sont compétitives et pour lesquels la Chine est susceptible de chercher d’autres fournisseurs en remplacement des Américains.
Bref, la carte des échanges mondiaux est en train d’évoluer. Mais attention, en économie, les liens de cause à effet sont toujours multiples. Difficile, donc, de déduire avec certitude qui seront les gagnants et les perdants de l’affrontement, mais une chose est certaine : il perturbe les échanges et les prix et favorise un ralentissement de l’économie mondiale. « La politique économique menée par Donald Trump est en train de bouleverser le commerce mondial, nous sommes probablement en train de changer d’ère », conclut Cécilia Bellora.