Géopolitique

La guerre d'Ukraine, accélérateur de la construction européenne ?

L’agression russe de l’Ukraine, en février 2022, a relancé l’affirmation d’un hard power européen. Autant qu’une menace, la guerre est pour l’UE un puissant aiguillon. Chronique.

Frédéric Munier, professeur de chaire supérieure, enseigne la géopolitique en classes préparatoires au Lycée Saint-Louis (Paris) et à SKEMA Business School
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Illustration de l'article La guerre d'Ukraine, accélérateur de la construction européenne ?

© Maj. Robert Fellingham/U.S Army/

L’Europe en construction a longtemps eu un problème avec la puissance. En 1973, lors du premier élargissement de ce qui n’était encore que la CEE, ses représentants réunis à Copenhague, déclaraient que « L’Europe des neuf est consciente des devoirs internationaux que lui impose son unification. Celle-ci n’est dirigée contre personne ni inspirée par une quelconque volonté de puissance ».

Ce refus délibéré de construire un hard power (manière forte) après deux guerres mondiales dont le Vieux Continent avait été l’épicentre, a valu à l’Europe les railleries des géopolitologues américains. En 2002, Robert Kagan ironisait : « L’Europe est en train de se détourner de la puissance [pour] accéder au paradis post-historique où tout n’est qu’apaisement et prospérité. »

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Au fond, et c’était tout le problème, si les Européens pouvaient délaisser la puissance des armes pour la « puissance de la norme » (Zaki Laïdi)… c’est qu’ils bénéficiaient de la protection américaine offerte par l’OTAN.

Et même si l’Union européenne avait organisé, depuis, le traité d’Amsterdam, en 1997, et plus encore depuis celui de Lisbonne, en 2007, une Politique de sécurité et de défense commune (PSDC), force est de constater qu’une Europe crédible de la défense manquait à l’appel.

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La prophétie de Jean Monnet

La guerre d’Ukraine a radicalement changé la donne en la matière. Avant elle, l’UE était marquée par une désunion croissante, du Brexit aux coups de boutoir donnés par la Hongrie et la Pologne contre les principes démocratiques européens. Il n’aura fallu que quelques semaines pour que, dans un quasi-unanimisme, Bruxelles adopte un train de sanctions inédites dans son histoire. Au pouvoir économique s’est ajoutée l’affirmation d’un pouvoir militaire.

Pour la première fois, l’UE a actionné la Facilité européenne pour la paix (FEP), créée en 2021 pour financer l’envoi de matériel militaire aux forces de Kiev. En outre, les Européens ont adopté, le 25 mars 2022, la « boussole stratégique », un document qui entend fixer les grandes orientations militaires de l’UE à l’horizon 2030, prévoyant notamment une « capacité de déploiement rapide ».

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Enfin, last but not least, le chancelier allemand Olaf Scholz a annoncé que l’Allemagne allait devenir la première puissance militaire de l’Union en accroissant son budget à hauteur de 2 % du PIB. Dans un récent article publié dans Foreign Affairs, le chancelier allemand a certes réaffirmé le rôle indispensable de l’OTAN, mais aussi le caractère nécessaire d’une politique de défense européenne. Dans tous les registres de la puissance, l’Union s’est plus affirmée en un an que depuis sa naissance !

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Jean Monnet, père fondateur de l’Europe, avait déclaré, après l’échec de la CED, en 1954, que « l’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises ». La guerre d’Ukraine n’a pas démenti ce principe, tant s’en faut.

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