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Comment la Chine et la Russie remettent les frontières au cœur des relations internationales

La mondialisation avait fait passer au second plan la question des frontières. L’invasion de l’Ukraine les remet spectaculairement au centre de la géopolitique.

Frédéric Munier, professeur de chaire supérieure, enseigne la géopolitique en classes préparatoires au Lycée Saint-Louis (Paris) et à SKEMA Business School
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© Getty Images/iStockphoto

En 1990, l’économiste japonais Ken’ichi Ōmae estimait que la mondialisation était en train de donner naissance à un monde sans frontières (« borderless world »), il annonçait l’obsolescence de l’État-nation au profit d’États-régions. Moins de conflits entre États, plus d’échanges entre grandes régions économiques ; voilà à quoi allait ressembler le XXIe siècle. Las, 30 ans plus tard, c’est l’inverse qui s’est produit. Les États-nations sont bien là, ils ne cessent de réaffirmer leur puissance et leurs prétentions sur ces lignes de démarcation qui les séparent et les définissent : les frontières.

À ce titre, les récentes déclarations de l’ambassadeur de Chine en France ont résonné comme un coup de tonnerre. Interrogé le 21 avril dernier sur la guerre d’Ukraine, Lu Shaye a déclaré que « les pays de l’ex-Union soviétique n’ont pas de statut effectif dans le droit international parce qu’il n’y a pas d’accord international pour concrétiser leur statut de pays souverain ».

Ces propos n’ont pas été confirmés par Pékin, qui a préféré calmer le jeu, mais ils attestent bien d’une tendance actuelle au révisionnisme frontalier ; entendons par là le fait pour un État de contester les frontières existantes. Ajoutons que pour les États baltes, la déclaration de Lu Shaye fait écho à une procédure enclenchée par Moscou. En 2015, le parquet général russe annonçait en effet ouvrir une enquête visant à vérifier la légalité de la décision des autorités soviétiques de reconnaître, en 1991, l’indépendance des trois républiques baltes qui faisaient auparavant partie de l’URSS. On comprend encore mieux la volonté de ces dernières de bénéficier de la protection de l’OTAN…

La frontière, c’est la paix

Il est frappant en tout cas que la Russie et la Chine partagent ce souhait de revoir leurs frontières, continentales et occidentales pour Moscou, maritimes et orientales pour Pékin. Tout le problème est que ces deux pays sont membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU ; ce même conseil est garant de la charte des Nations unies, qui repose sur le principe d’égalité souveraine de tous les États membres et la condamnation du recours à la force…

Remettre en cause les frontières, baltes, ukrainiennes, géorgiennes ou encore disputer les eaux qui séparent la Chine du Japon, de la Corée, des Philippines et du Vietnam revient à programmer une séquence de violences politiques d’une ampleur majeure. Jusqu’où iront les deux alliés ? C’est une question qui déterminera les prochaines années. L’armée américaine s’attend en tout cas à un conflit en mer de Chine au sujet de Taïwan dans les années qui viennent.

Rappelons pour finir ce mot d’Uri Avnery, journaliste israélien pacifiste : « Quel est le cœur de la paix ? Une frontière. Quand deux peuples voisins font la paix, ils fixent avant toute autre chose la frontière entre eux. »

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