En ce jour maussade de mai 2016, Boris Johnson salue les partisans du Brexit. Dans sa main, un pasty, sorte de chausson fourré à la viande et aux légumes, spécialité des Cornouailles. Le politicien conservateur vient inaugurer, dans ce comté rural du sud-ouest de l’Angleterre, le dernier outil de campagne en date du « Vote Leave ».
Un bus rouge estampillé « Let’s take back control » (« reprenons le contrôle »), leitmotiv de la principale organisation en faveur de la sortie de l’Union européenne. Juste au-dessus, sur le flanc gauche, un slogan plus percutant encore : « Nous envoyons chaque semaine 350 millions de livres sterling à l’UE, finançons plutôt notre NHS. » Le NHS, c’est le National Health Service, le service public de santé britannique.
Le montant et son support rutilant deviennent les symboles des arguments populistes employés par Boris Johnson et les siens pour convaincre les électeurs de rompre avec l’UE. Six semaines plus tard, le 23 juin, leur vœu est exaucé : le « Leave » l’emporte avec 51,9 % des voix.
En ce jour maussade de mai 2016, Boris Johnson salue les partisans du Brexit. Dans sa main, un pasty, sorte de chausson fourré à la viande et aux légumes, spécialité des Cornouailles. Le politicien conservateur vient inaugurer, dans ce comté rural du sud-ouest de l’Angleterre, le dernier outil de campagne en date du « Vote Leave ».
Un bus rouge estampillé « Let’s take back control » (« reprenons le contrôle »), leitmotiv de la principale organisation en faveur de la sortie de l’Union européenne. Juste au-dessus, sur le flanc gauche, un slogan plus percutant encore : « Nous envoyons chaque semaine 350 millions de livres sterling à l’UE, finançons plutôt notre NHS. » Le NHS, c’est le National Health Service, le service public de santé britannique.
Le montant et son support rutilant deviennent les symboles des arguments populistes employés par Boris Johnson et les siens pour convaincre les électeurs de rompre avec l’UE. Six semaines plus tard, le 23 juin, leur vœu est exaucé : le « Leave » l’emporte avec 51,9 % des voix.
« On peut clairement parler de mensonge », tranche Steven Kettell, professeur de politique à l’université de Warwick. « Déjà, ce montant de 350 millions de livres [410 millions d’euros] n’est pas exact. » Le calcul de « Vote Leave » se fonde sur la contribution brute du Royaume-Uni au budget européen, soit 17,6 milliards de livres en 2015-2016.
Or depuis les années 1980, le pays bénéficie d’un rabais. Une fois celui-ci déduit, la somme tombe à 13,6 milliards de livres. Puis à 10,8 milliards, en tenant compte des subventions européennes renvoyées dans le pays. « Le montant réel est donc beaucoup plus faible. » Pas plus de 260 millions de livres.
Rabais
Entre 1984 et sa sortie de l’UE, le Royaume-Uni a profité d’une ristourne sur sa contribution au budget européen, obtenue par la Première ministre de l’époque, Margaret Thatcher. Les Pays-Bas, le Danemark, la Suède, l’Autriche et l’Allemagne bénéficiaient et bénéficient encore d’un avantage similaire. Les autres États, France en tête, comblaient la différence.
Au sein de l’organisation, certains auraient d’ailleurs préféré voir ce chiffre plus raisonnable imprimé en grandes lettres blanches sur le « Brexit bus ». Mais le directeur de campagne, Dominic Cummings, « se fichait de la controverse autour de la véracité du slogan », relate le journaliste Tim Shipman dans All Out War (éd. William Collins, 2016), un ouvrage consacré à la campagne référendaire. « À chaque fois que le chiffre était prononcé, cela renforçait dans la tête des électeurs l’idée que l’appartenance à l’UE coûtait cher. »
Pas touche au trésor national
Y opposer le financement du NHS « relève du coup de génie publicitaire », reprend Steven Kettell. Outre-Manche, le service de santé fait figure de trésor national. Fondé en 1948, ce système financé principalement par l’impôt permet à chaque Britannique de recevoir des soins sans avancer de frais.
« La création du NHS est perçue comme l’un des plus grands succès de l’après-guerre, développe le chercheur. Les Britanniques ont tissé un lien très fort avec l’institution. C’est l’un des plus grands symboles de l’identité britannique. Lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Londres, en 2012, tout un segment était même dédié au NHS. »
Un sondage conduit par Opinium peu avant le référendum de 2016 illustre cet attachement viscéral. Au classement des « fiertés nationales », le NHS truste confortablement la première place, devant l’Histoire, l’humour british et la monarchie. « Il y a un côté patriotique dans la défense de ce service public », abonde Clémence Fourton, maîtresse de conférences en études anglophones à Sciences Po Lille.
Il y a un côté patriotique dans la défense du service public qu'est le NHS.
Clémence Fourton,maîtresse de conférences en études anglophones à Sciences Po Lille.
Accompagné d’un enjeu politique immense. « Au Royaume-Uni, on peut gagner ou perdre une élection en fonction des promesses formulées à ce sujet, développe-t-elle. La question de son financement est obsédante. Depuis sa création, le NHS voit son budget augmenter de manière constante, mais à des niveaux variables. On peut même identifier les temps forts de l’histoire politique rien qu’en les analysant : la hausse ralentit à partir de 1979 sous la conservatrice Margaret Thatcher et son successeur John Major, puis repart en 1997 avec les néo-travaillistes de Tony Blair. »
Concours de circonstances
Au cours des années précédant le référendum, le NHS est justement frappé de plein fouet par la rigueur budgétaire décidée par le gouvernement du conservateur David Cameron dans le sillage de la crise financière de 2008. Ses ressources augmentent, mais pas suffisamment pour répondre à la pression démographique, au vieillissement de la population et au coût des technologies médicales.
La promesse « de résoudre ce problème a donc plu aux électeurs », estime Martin McKee, professeur de santé publique européenne à la London School of Hygiene & Tropical Medicine. Le caractère positif du message « a donné une raison aux gens d’aller voter, confirme Steven Kettell. Les arguments ouvertement xénophobes ne suffisent pas à faire pencher la balance dans un vote de ce type. Là, il était possible de dire à la fois que la liberté de mouvement provoquait une pression insoutenable sur le système de santé et qu’on pouvait l’améliorer en lui allouant l’argent envoyé à l’UE. »
Comme le relève Tim Shipman dans All Out War, « “Vote Leave” n’a promis qu’à une seule reprise, au cours de la campagne, de consacrer l’intégralité des 350 millions de livres au service de santé ». Début juin 2016, trois semaines avant le référendum, les figures de proue de l’organisation citent plutôt le chiffre de 100 millions. Mais la promesse, même revue à la baisse, ignore les effets indésirables du Brexit sur l’économie britannique. « Il est impossible de financer le NHS tout en compensant la perte des fonds européens dans une multitude d’autres domaines », rectifie Steven Kettell.
Il est impossible de financer le NHS tout en compensant la perte des fonds européens dans une multitude d’autres domaines.
Steven Kettell,professeur de politique à l’université de Warwick.
« The wheels on the bus go round and round » (Les roues de l’autobus tournent et tournent), murmure une comptine enfantine très populaire au Royaume-Uni. Cinq ans après le référendum, douze mois après la sortie effective de l’UE, Boris Johnson occupe le poste de Premier ministre. Le NHS, lui, n’a toujours pas vu la couleur des prétendues économies induites par le Brexit…
Brexit + pandémie = exode des soignants
Affaiblis par 18 mois d’activité intense, les hôpitaux britanniques sont sur la corde raide. Les burn out s’accumulent. Les postes d’aides-soignants et d’infirmiers peinent à trouver preneurs. « La pénurie de personnel constitue un problème grave pour le NHS », prévient Clémence Fourton, autrice du Royaume-Uni, un pays en crises ? (Le Cavalier Bleu, 2021).
Plusieurs milliers de soignants issus de l’UE avaient d’ailleurs déjà quitté leurs fonctions dans les mois suivant le référendum de 2016. « Quelque 12 % des employés du NHS n’ont pas la nationalité britannique », contextualise la maîtresse de conférences à l’IEP de Lille. « La proportion monte même à 22 % dans la région de Londres », poursuit-elle.
Face à l’accumulation vertigineuse de consultations et d’opérations reportées à cause de la pandémie, le gouvernement a débloqué six milliards de livres pour le NHS, mi-octobre. Et annoncé une hausse des cotisations sociales. Ces deux dernières années, le service de santé a globalement vu son budget exploser, mais ces nouveaux fonds sont en trompe-l’œil, assure Clémence Fourton, ils sont uniquement destinés à gérer l’urgence de la crise du Covid-19.