En juillet dernier, le New York Times racontait le quotidien solitaire de Grisa Muntean, un paysan moldave resté seul dans son village avec ses oies, ses abeilles, ses poulets et ses pigeons. Son bourg de Dobrusa abritait 200 personnes il y a 30 ans. Comme beaucoup des voisins de ce sexagénaire, un quart des Moldaves vivaient à l’étranger en 2014, selon le Programme de développement des Nations Unies.
Entre 2004 et 2014, la population moldave résidant en Moldavie est passée de 2,8 millions de personnes à tout juste 500 000.
Ce pays est loin d’être un cas isolé. Entre 1990 et 2015, la population de l’ensemble de l’Europe de l’Est a chuté de 18 millions. Selon les projections de l’ONU, le top 10 des pays dont la démographie chute le plus fortement est largement trusté par ces pays. Bulgarie, Lettonie, Lituanie et Moldavie affichent les plus grosses chutes de population.
Pourquoi le déclin se concentre-t-il sur cette vingtaine de pays ? « L’Europe de l’Est est un cas très unique. Elle combine de très forts taux d’émigration et un taux de fertilité très bas », rappelle Tomas Sobotka, démographe au sein du Centre Wittgenstein de Vienne, spécialiste en démographie comparative européenne.
« Un taux de natalité faible est très commun. Il y a même des régions qui présentent des taux bien inférieurs, par exemple au sud de l’Europe ou en Asie orientale. » Sauf que ces pays ne voient pas leur population partir en masse.
Emplois à l’ouest
Dans les anciens pays du bloc communiste, l’ouverture à l’économie de marché à partir des années 1990 a provoqué une sévère crise économique suivie d’une austérité. Les inégalités et le chômage ont bondi et les généreuses politiques sociales et familiales des systèmes socialistes ont reculé. De quoi boucher les horizons de millions de jeunes actifs, contrarier leurs velléités de parentalité et nourrir leurs rêves d’ailleurs.
L’Europe centrale et orientale abrite toutefois plusieurs réalités. Les pays du sud-est de l’Europe et des Balkans, comme l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine ou le Kosovo ont vu leur natalité s’effriter plus tard que leurs voisins, après une période de grave instabilité politique et économique.

« Vous pouvez ajouter les pays qui ont souffert des pires récessions économiques et de grandes instabilités sociales et politiques. La Moldavie, par exemple, rappelle le démographe. Même constat avec l’Arménie et la Géorgie, qui ont, en plus, connu des conflits armés.»
Il ajoute : « L’Europe de l’Est compte des pays plus développés qui font désormais partie de l’Union européenne et ont accès à des emplois à l’ouest. De nombreux habitants ont saisi cette opportunité pour partir.»
C’est le cas, par exemple, de l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Bulgarie et la Roumanie. Le nombre d’habitants originaires des 11 pays de l’Est intégrés à l’UE à partir de 2004 et vivant dans d’autres pays membres atteint désormais 8,2 millions, soit cinq fois plus qu’en 2004 (Eurostat).
Implosion fiscale
En juillet 2019, le Fonds monétaire international (FMI) a publié un rapport alarmant sur la région : « Le déclin démographique aura des impacts considérables en termes de croissance, de qualité de vie et de durabilité du système fiscal », projette l’étude.
À terme, cette région pourrait perdre près d’un quart de sa main-d’œuvre. Faute de jeunes, la population de ces pays vieillira très rapidement. « Le système de santé et de retraite sera plus sollicité, alerte le FMI, qui redoute également que « le vieillissement de la main-d’œuvre nuise à la productivité ».
«Difficile de tirer des conséquences générales d’un point de vue économique, nuance Tomas Sobotka, beaucoup de ces pays ont dû faire face à un chômage de masse. Le départ d’actifs en quête de meilleures perspectives d’avenir a du sens. »
Sauf que la solidité économique de ces pays sur le long terme dépendra de leur capacité à se transformer. Le FMI a émis plusieurs propositions dans son rapport afin d’enrayer l’hémorragie économique. Comme augmenter le nombre de femmes et de seniors sur le marché du travail, avec un âge de départ à la retraite repoussé.
« Mais des efforts supplémentaires devront être faits pour mieux retenir et faire participer la main-d’œuvre actuelle. Grâce à des améliorations dans le domaine de l’éducation, la formation des adultes ou dans l’automatisation », souligne l’étude.
Tomas Sobotka conclut : « Il n’y a pas de solution miracle. Les jeunes doivent sentir qu’il y a des emplois pour eux et qu’ils ont des perspectives pour fonder une famille. » Il rappelle enfin l’importance de la solidité des systèmes éducatif et de santé, et des politiques sociales et familiales. Contre la désertification, l’économie ne peut pas tout.