L’essentiel
- En 2022, le Pérou culmine en tête des exportations mondiales de myrtilles. Le pays ne s’est lancé dans la culture de myrtilles que depuis une dizaine d’années et talonne les États-Unis, premier producteur au monde.
- Le Pérou profite d’un avantage comparatif majeur par rapport aux autres pays : la possibilité de produire des myrtilles toute l’année.
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Il y a une quinzaine d’années, aucun agriculteur au Pérou n’aurait songé à se lancer dans la culture de myrtilles, quasi inexistante à l’époque. Depuis 2021, le Pérou est pourtant devenu le premier exportateur mondial, et à la tête d’un marché de plus d’un milliard de dollars. En 2022, il aura expédié plus de 285 000 tonnes de myrtilles, soit une hausse annuelle de 28 %, dans plus d’une trentaine de pays.
Le pays s’est également hissé au rang de deuxième producteur mondial. ll a doublé le Canada et ne talonne plus les États-Unis. La production a été multipliée par 6 000 en dix ans, loin des 30 tonnes annuelles produites en 2010.
« Cette croissance fait penser à la valeur du bitcoin », commente Carlos Gereda dans la newsletter Latinometrics. En 2009, l’entrepreneur fonde Inka Berrie’s et se lance dans la production de myrtilles sans oser rêver d’un tel succès. Quelques années plus tôt, il voyage au Chili, pays voisin déjà producteur du fruit, et se pose une question : pourquoi ne pas faire pareil au Pérou ? L’entreprise teste la culture de 14 variétés chiliennes sur le sol péruvien, avant de sélectionner quatre espèces pour amorcer la production de myrtilles à grande échelle.
Dans le même temps, à l’échelle mondiale, la demande de myrtilles n’a cessé de grimper. L’Europe a, par exemple, quadruplé ses importations ces dernières années, la baie étant réputée saine et savoureuse.
Une compétitivité boostée par le climat et la technologie
L’un des atouts du Pérou, c’est son climat, variable d’une région à l’autre du pays. Là-bas, les myrtilles poussent toute l’année quand la période de production de son concurrent américain ne peut se concentrer que de mai à août. Or, la demande est annuelle : les clients américains réclament de la myrtille toute l’année.
Plus précisément, le pic de production du Pérou, entre septembre et novembre, correspond à une période sans récolte aux États-Unis. Le pays en profite donc pour atteindre ses plus hauts niveaux annuels d’exportation vers l’hémisphère nord.
Le Pérou dispose également d’un meilleur rendement : 13 tonnes par hectares contre 8 pour les États-Unis. Un bon résultat qui s’explique aussi, au-delà de la douceur du climat, par des investissements technologiques élevés. Pour débuter la production, Carlos Gereda s’est entouré de chercheurs de l’Université de Géorgie (États-Unis). Deux variétés ont ainsi vu le jour pour remplacer une espèce trop acide et trop ancienne. Les deux nouvelles variétés, travaillées en laboratoire, présentent des avantages : meilleur rendement, saveur, taille et durée de conservation.
En innovant, le Pérou a renforcé sa compétitivité hors-prix : le pays propose des produits que ses concurrents ne peuvent exporter, le pays se distingue et gagne en compétitivité sur le marché international.
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Compétitivité hors-prix
Parfois qualifiée de compétitivité structurelle, elle s’appuie sur le fait de proposer des produits ou des services associés au produit que l’on ne retrouve pas chez les concurrents. Elle repose ainsi sur l’innovation. Concrètement, elle peut correspondre au fait de vendre un produit qu’aucun autre concurrent ne vend, de livrer plus vite ou de façon plus sûre le produit, de proposer une gamme plus élargie ou un produit de meilleure qualité, de proposer une marque appréciée par les consommateurs, un service après-vente de qualité…
Pour mieux comprendre les stratégies de production et d’exportation des différentes économies, il faut aussi s’intéresser au modèle des avantages comparatifs. Développé par l’économiste David Ricardo (1772-1823) puis complété par les économistes suédois Eli Heckscher (1879-1952) et Bertil Ohlin (1899-1979), ce modèle conclut que deux pays ont toujours intérêt à échanger et à se spécialiser dans la production pour laquelle le coût relatif de production est plus faible que celui de l’autre pays.
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Ici, le meilleur rendement des myrtilles péruviennes est un atout par rapport à la culture américaine. En échange, le Pérou aura besoin d’importer des produits américains, comme le maïs et le soja, pour lesquels il n’a pas d’avantage comparatif.
Cela aboutit in fine à une meilleure allocation des ressources et une production mondiale plus importante, rendant les deux pays gagnants.
Gains à l’échange
Principe selon lequel on se procure davantage de biens et de services en se spécialisant dans une production particulière. En se concentrant sur un domaine précis de production, on est plus performant, et la production est donc plus importante. On privilégie l’échange à une production supplémentaire. Par exemple, un agriculteur qui ne produit que du lait sera plus performant et préfèrera se procurer des céréales que les produire pour rester performant.
D’autres économies d’Amérique Latine connaissent des trajectoires similaires. Le Mexique, par exemple, s’est hissé en quelques années au deuxième rang mondial de la production de framboises, jouissant également d’une plus longue saison de production que ses concurrents.
Marché concurrentiel et internationalisation des prix
Au Pérou, la production de myrtilles reste concentrée dans les mains d’entreprises qui ont pu assurer l’investissement nécessaire à une nouvelle culture. Deux grands groupes fruitiers, Camposol et Hortifrut, concentrent ainsi 52 % de la production. Les petits producteurs, possédant moins de 10 hectares, représentent 20 % de la production. Selon trois chercheurs péruviens, l’organisation verticale des acteurs du marché agricole péruvien a favorisé le développement de la culture de la myrtille, en offrant une diminution des coûts de transaction entre les différents acteurs. Un atout de plus pour le Pérou.
Malgré tout, les marchés fruitiers restent très concurrentiels et le Pérou garde de nombreux concurrents. Le Chili, doublé par son voisin péruvien, a par exemple fait le choix pour rebondir, de se diversifier, en se tournant davantage vers l’agriculture biologique et de cibler le marché asiatique. L’Argentine, elle, n’a pas résisté à la compétitivité péruvienne et sa production de myrtilles s’est effondrée.
Et pendant que de nouveaux acteurs intègrent le marché, les prix, eux, continuent de baisser. C’est l’une des conséquences logique du commerce international et de la spécialisation. Un marché concurrentiel favorise le maintien des entreprises les plus productives. Les moins rentables ne peuvent pas suivre et abandonnent. Résultat, la productivité moyenne augmente, les coûts de production fléchissent, tout comme les prix de ventes. Pour le plus grand plaisir, gustatif, des consommateurs internationaux.
Défi et aléas du commerce international
Malgré un succès éclair, rien n’est acquis pour la myrtille péruvienne. En 2022, les coûts de transport par bateau ont explosé, limitant la rentabilité des exportations. Le directeur de la coopérative espagnole Onubafruit, Francisco Sánchez, s’inquiète lui d’« une offre excédentaire dans les années à venir » en raison du trop grand nombre de producteurs, attirés par la rentabilité des dernières années.
Les innovations technologiques de pays européens menacent aussi les exportations péruviennes : en produisant de nouvelles variétés au rendement meilleur et la meilleure saisonnalité, les Européens pourraient à termes diminuer leurs importations.
Dernier défi de taille pour la myrtille péruvienne : le changement climatique. Le fruit est sensible à la sécheresse et le Pérou n’a pas encore amorcé une transition vers une production plus durable, ce qui pourrait affecter sa compétitivité dans les années à venir.
Dans le programme de SES
Seconde. « Comment crée-t-on des richesses et comment les mesure-t-on ? »
Première. « Comment un marché concurrentiel fonctionne-t-il ? »
Terminale. « Quels sont les fondements du commerce international et de l’internationalisation de la production ? »