Géopolitique
Conséquence du Covid, la crise du modèle africain
L’Afrique est en récession pour la première fois depuis 25 ans. Contrairement à l’Europe, où les banques centrales peuvent aider les États, les dépenses publiques africaines sont financées par des rentrées d’argent externes. Selon le FMI, il faudra au continent 1 200 milliards de dollars sur les trois prochaines années.
Audrey Fisné-Koch
© Getty Images
« Pour le continent africain, la crise du Covid-19 est un choc exceptionnel », juge Yasmine Osman, économiste à l’Agence française de développement (AFD). L’experte ne parle pas du bilan sanitaire, car l’Afrique a fait preuve de résilience : fin 2020, le continent enregistrait 5 % des cas de contaminations dans le monde alors qu’il abrite 17 % de la population mondiale.
Les mesures prises par les différents pays pour freiner l’épidémie (couvre-feu, confinement) et la jeunesse de la population, potentiellement moins vulnérable face au coronavirus, ont joué un rôle.
Là où le choc est inédit, c’est du côté de l’économie : en octobre 2020, l’Afrique enregistrait une récession historique de -2,6 % du PIB. « Aucun autre événement n’avait eu un tel impact, pas même la crise financière de 2008 ou le choc pétrolier de 2015-2016 », poursuit Yasmine Osman.
Même si certains États (Djibouti, Kenya, Tanzanie, Rwanda) ont mieux résisté, du fait d’une économie plus diversifiée, même si le Sénégal, le Mali, le Niger ou le Burkina Faso ont bénéficié de la montée des cours de l’or, la plupart des pays ont subi une crise violente.
La baisse de la demande mondiale et une chute des matières premières ont fortement impacté les économies dépendantes de ces ressources comme l’Algérie, l’Angola, le Nigeria ou la Guinée équatoriale.
Les prix du pétrole et des métaux industriels ont chuté, si bien que pour les pays exportateurs de pétrole, le PIB s’est contracté de 1,5 % en 2020.
Aucun autre événement n’avait eu un tel impact, pas même la crise financière de 2008 ou le choc pétrolier de 2015-2016.Yasmine Osman,
Économiste à l'Agence française du développement
Une décennie de progrès en danger
La fermeture des frontières a, quant à elle, pesé sur les pays tributaires du tourisme comme le Maroc, l’Égypte ou le Cap-Vert, dont on estime le recul de croissance à -11,5 % pour l’ensemble du groupe. Les chaînes de valeurs mondiales ont été désorganisées et les mesures de confinement ont restreint la consommation et la production.
Par ailleurs, les investissements étrangers ont chuté de 40 %, tandis que les transferts d’argent des immigrés au pays, qui constituent la principale source de recettes étrangères en Afrique, ont reculé de 20 %.
« Tous les progrès d’une décennie se sont retrouvés en péril », alerte Papa N’Diaye, chef de division au département Afrique du Fonds monétaire international (FMI). En réponse, les autorités ont annoncé des mesures économiques et sociales qui atteignent en moyenne 2,5 % du PIB.
- 40%
Les investissements étrangers sur le continent africain ont lourdement chuté à cause de la pandémie
Mais la plupart des pays n’ont pas pu mettre en place de véritable plan de relance. « En Europe, les États ont pu bénéficier du soutien de leur banque centrale. Ce n’est pas le cas en Afrique, où une grosse partie des dépenses publiques est financée par des rentrées d’argent externes », indique Thomas Mélonio, directeur de la recherche à l’AFD.
En Afrique, les déficits budgétaires ont ainsi doublé en 2020 pour atteindre un sommet historique de 8,4 % du PIB. De nombreuses industries sont en péril et avec elles, les emplois.
Les populations sont confrontées à des problèmes d’insolvabilité et de manque de liquidités, si bien que l’extrême pauvreté menace jusqu’à 43 millions de personnes.
Les prévisionnistes tablent sur une reprise de la croissance en 2021, avec un rebond de 3,7 % du PIB pour le continent. « Mais il faudra attendre au moins trois ou quatre ans pour que le PIB retrouve son niveau d’avant-crise », explique Yasmine Osman. Cela dépendra de l’évolution de la situation sanitaire, car le continent subit une deuxième vague de Covid-19.
« Il est impératif que les pays aient accès aux vaccins », assure Papa N’Diaye. La reprise reposera aussi sur la capacité des pays à relancer et à soutenir leurs économies, or « la marge de manœuvre fiscale et budgétaire est beaucoup plus restreinte en Afrique ».
Le FMI estime pourtant qu’un financement de l’ordre de 1 200 milliards de dollars sur les trois prochaines années est nécessaire.
Source : L’Afrique en cartes, données du FMI et de la Banque mondiale
Transformer au lieu d’exporter
Pour certains experts toutefois, la pandémie offre l’occasion de se réinventer, puisque le modèle existant a montré qu’il n’est plus viable. La dépendance des économies aux matières premières a définitivement montré ses limites.
« Il faut créer des emplois en transformant davantage les matières agricoles sur place plutôt qu’en exportant les produits bruts », estime Thomas Mélonio, de l’AFD.
« Les modèles de croissance africains, basés sur l’investissement public, sont de moins en moins soutenables », ajoute Yasmine Osman.
Voilà pourquoi le secteur privé aura un rôle majeur à jouer dans la reprise. Notamment en s’appuyant sur la digitalisation, mais aussi en investissant dans l’économie verte.
Éco-mots
Chaînes de valeur mondiales
Ensemble des étapes qui ajoutent de la valeur à un produit, de sa production à sa consommation finale. La mondialisation a entraîné la fragmentation des différentes activités (conception, distribution, vente, etc.). Celles-ci sont effectuées sur différentes zones géographiques, ce qui implique une interdépendance des pays.
Surtout, l’Afrique doit financer son propre développement et sortir de la dépendance vis-à-vis du reste du monde : « Aujourd’hui, lorsque l’économie mondiale s’arrête, l’économie africaine subit le contrecoup », résume Christian Pout, président du Centre africain d’études internationales, diplomatiques, économiques et stratégiques.
« Il faut que les Africains consomment ce qu’ils produisent et produisent ce qu’ils consomment. » Les échanges intra-africains devraient être facilités avec la nouvelle Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), en vigueur depuis janvier 2021. Mais « c’est une entreprise de long terme. Le commerce intra-africain est encore faible », précise Thomas Mélonio.
La priorité, pour l’heure, reste d’investir massivement dans le système de protection sociale, l’éducation et le système de santé, s’accordent à dire les experts. Une nécessité pour former les populations, les maintenir en bonne santé et gagner en productivité.
Un respirateur artificiel togolais
La pandémie a aussi été source d’innovation et de solidarité. C’est notamment le cas au Togo où, comme dans beaucoup de pays, les appareils médicaux ont manqué dans la plupart des centres hospitaliers.
Pour pallier cette carence, des chercheurs de différents laboratoires ont travaillé ensemble afin de créer le premier respirateur artificiel made in Togo. Fabriqué en deux semaines grâce à une imprimante 3D, une découpeuse laser et à partir de matériaux locaux, l’appareil respiratoire s’inspire du travail manuel que réalisent les soignants.
Les quatre ingénieurs à l’origine du projet ont par ailleurs produit quelque 500 visières de protection avant de les distribuer aux pharmaciens du pays pour qu’ils se protègent.
Interrogé par RFI, l’un des chercheurs explique : « Même après le Covid, on voudrait mettre en place des solutions efficaces et innovantes, au service du plus grand nombre. » Au Congo, au Sénégal ou en Algérie, d’autres respirateurs ont été fabriqués par des scientifiques pendant la pandémie. Les homologations sont en cours.
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