Géopolitique
Coupe du monde de rugby : les All Blacks font leur devoir de mémoire
Quand le sport rencontre l’histoire. L’image des rugbymen néo-zélandais effectuant le haka dans un cimetière militaire de la Première Guerre mondiale a de quoi interpeller. Elle est pourtant symbolique de l’impact que ce conflit a eu sur les mémoires collectives, sur l’ensemble des continents.
Adrien Palluet
© All Blacks / Twitter
Une entame qui restera dans les mémoires. Pour la première fois de l’Histoire, la Nouvelle-Zélande a été battue (27-13) lors d’un match de poule d’une Coupe du monde de rugby. Cet exploit est l’œuvre du XV de France, réalisé en ouverture de son mondial, vendredi 8 septembre.
Pour les Néo-Zélandais, cette défaite conclut une semaine forte en émotions. Arrivés le 31 août dans l’hexagone, les All Blacks ont pris leurs quartiers à Lyon le lendemain. Avant cela, ils se sont rendus dans la Somme, plus précisément à Longueval. Le but de cette visite n’était pas sportif mais historique ou plus exactement mémoriel. Les joueurs et l’encadrement néo-zélandais ont visité un cimetière militaire de la Première Guerre mondiale.
Dans ce lieu sont enterrés des soldats britanniques et de l’ancien empire colonial du pays tués sur le front français entre 1914 et 1918. Le Mémorial national dédié aux soldats néo-zélandais morts au combat est érigé dans le cimetière. Durant la visite, les joueurs ont rendu hommage aux internationaux du XV néo-zélandais de l’époque qui ont perdu la vie en France. Ils ont même réalisé leur traditionnel haka, cette danse guerrière maorie qu’ils interprètent avant chaque rencontre, au milieu des tombes.
Selon l’historien Alexandre Lafon, interrogé il y a quelques années par le journal Le Monde, la nation néo-zélandaise repose sur deux piliers que sont le rugby et la mémoire de la Première Guerre mondiale. Ce chemin mémoriel est donc un rituel pour les rugbymen à chacune de leur venu en Europe. Il permet de se remémorer la présence de plus de 100 000 soldats néo-zélandais en Europe entre 1914 et 1918, pour un pays qui comptait environ un million d’habitants.
Parmi eux, environ 18 000 ont perdu la vie, dont 13 internationaux All Blacks de l’époque. À noter également que ces forces venues de l’autre bout de la terre comptaient dans leurs rangs plus de 2 227 soldats Maoris, un peuple dont l’identité est forte en Nouvelle-Zélande et dans l’équipe de rugby nationale.
Quelques jours plus tôt, la sélection australienne de rugby s’est également rendue dans la Somme, à Villers-Bretonneux, pour rendre hommage aux soldats de leur pays morts au combat il y a plus de 100 ans.
🇳🇿 Première chose que font les #AllBlacks en arrivant en France : rendre hommage aux soldats NZ morts durant la Première guerre mondiale 🙏
✈️ Lors de mon voyage en Nouvelle-Zélande, j’avais pu constater l’importance de la mémoire lors de l’ANZAC Day 🌺
pic.twitter.com/Xq4WJfBDUv— Nicolas Dendri (@Nicolasdendri) September 1, 2023
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« L’implication de la Nouvelle-Zélande comme nation combattante en parallèle de l’histoire des Blacks construit l’identité nationale néo-zélandaise. »
Alexandre Lafon
Historien et conseiller pédagogique et historique de la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale.
Pourquoi y a-t-il des monuments aux morts néo-zélandais ou australiens de la Première Guerre mondiale sur le sol français ? La réponse tient en deux mots : Internationalisation du conflit.
On parle d’internationalisation d’un conflit lorsqu’une guerre se propage, sous n’importe quelle forme, sur l’ensemble des continents de la planète. Une définition qui correspond à la Première Guerre, souvent considérée comme le premier conflit mondial de l’Histoire.
En 1914, le déclenchement de la guerre en Europe est en partie lié au jeu d’alliances qui unit d’un côté la France, le Royaume-Uni et la Russie, et de l’autre l’Empire allemand, l’Empire autrichien et l’Italie.
Mais ce qui fait que le conflit s’internationalise c’est la présence des empires coloniaux que sont la France, le Royaume-Uni et dans une moindre mesure l’Allemagne et l’Italie dans le conflit. L’Afrique et l’Asie sont alors intégrés de fait dans la guerre. Avec l’avancée du conflit, des alliés internationaux comme les États-Unis et le Japon finissent par intégrer aussi la bataille.
La Nouvelle-Zélande est concernée du fait de sa proximité avec Londres. Depuis 1907, le pays est un dominion britannique. Il jouit d’une grande autonomie, proche de l’indépendance. Rapidement donc, plusieurs centaines de milliers d’hommes s’engageront pour aller combattre en Europe dans les Australian and New Zealand Army Corps (ANZAC).
Pour les All Blacks, rendre hommage à leurs soldats disparus il y a plus de 100 ans appartient donc au “devoir de mémoire”.
L’expression apparaît pour la première fois en titre d’une œuvre posthume de l’écrivain italien, rescapé des camps de concentration nazis, Primo Levi. Si elle n’est pas employée par l’auteur lui-même dans le livre, c’est un choix des éditions Mille et Une Nuits qui éditent le livre. L’expression fera florès.
Pourtant, cette “obligation morale de se souvenir d’un événement historique tragique et de ses victimes” prend ses racines au lendemain de la Première guerre mondiale avec l’apparition des monuments aux morts qui deviennent des “lieux de mémoire” selon l’expression forgée par l’historien Pierre Nora dans les années 1980-1990. Monuments, objets, lieux, concepts… « l’histoire s’écrit désormais sous la pression des mémoires collectives ».
Dans le cas de la Première Guerre mondiale, l’internationalisation du conflit a mené à une “mondialisation de la mémoire”, selon les mots de l’historien Henry Rousso et à une unification des pratiques mémorielles.
C’est le sens de la présence des Mémoriaux néo-zélandais en France, comme celui de Longueval. Les All Blacks perpétuent également cette mémoire lors de chaque match de rugby contre la France où le vainqueur reçoit le trophée Dave-Gallaher, du nom d’un international néo-zélandais mort dans les tranchées.
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