L’essentiel.
- Après Liz Truss, c’est au tour de Rishi Sunak, conservateur également, de hisser le costume de Premier ministre britannique.
- Le budget néo-thatchérien proposé par la précédente occupante de Downing Street avait entraîné la panique sur les marchés financiers.
- Même si l’arrivée de Sunak rassure, cette séquence représente un coût outre-Manche et pourrait conduire à des mesures d’austérité.
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« Une semaine, c’est long en politique », disait Harold Wilson, Premier ministre travailliste dans les années 1960. Alors un mois… Entre le 23 septembre et le 25 octobre, le Royaume-Uni a tout connu. Ou presque.
La promesse hasardeuse des plus importantes baisses d’impôts depuis cinquante ans, une dégringolade de la livre sterling, une explosion des taux d’emprunt, le limogeage d’un ministre des Finances, l’annulation par son successeur de la quasi-totalité des mesures controversées, la démission d’une Première ministre discréditée et, enfin, la désignation d’un nouveau chef de gouvernement (Rishi Sunak). Pour la faire courte. Une séquence éreintante pour les Britanniques… et onéreuse.
En matière de crédibilité sur les marchés financiers, d’abord. Le « mini budget » de l’ex-dirigeante conservatrice Liz Truss, composé de réductions de taxes financées par l’emprunt, a alarmé les investisseurs. Selon eux, l’approche, couplée au déblocage d’une enveloppe importante pour lutter contre la crise énergétique, risquait de provoquer une hausse insoutenable de la dette publique britannique.
Une « prime de risque du crétin »
La chute de la livre sterling face au dollar a reflété cette perte de confiance dans la politique économique du gouvernement. Tout comme la hausse des yields (taux d’intérêt) sur le marché obligataire, baptisée « prime de risque du crétin » par les observateurs, outre-Manche.
Obligations d’État
Emprunt sous forme de titre émis par l’État pour une levée de fonds ayant pour but de combler le déficit public. Théoriquement, les emprunts d’État sont considérés comme des placements sûrs, car la probabilité de voir un État faire faillite est marginale. Plus un État a la confiance des marchés financiers, moins le coût de sa dette est élevé. C’est le cas par exemple de l’Allemagne. À l’inverse, les États plus à risque de faire défaut empruntent à des taux plus élevés (et cela leur coûte donc plus cher).
Taux d’intérêt
Représente le prix de l’argent et du temps. C’est le pourcentage d’une somme empruntée par un emprunteur à celui qui la lui prête et fixé lors de la conclusion du contrat en compensation du service ainsi rendu. Il s’ajoute au montant du capital à rembourser et il est en général annuel. Il constitue donc à la fois un coût (pour l’emprunteur) et un revenu (pour le prêteur). Les taux d’intérêt se différencient selon leur échéance (court, long terme), le type de circuit de financement (marchés monétaires, marchés financiers, banques) et peuvent être fixes ou variables
« À cause de mauvaises décisions politiques, on paie plus cher nos emprunts, résume Muhammad Ali Nasir, économiste à l’Université de Leeds, dans le Nord de l’Angleterre. Comme le poids de la dette s’élève à 99,6 % du Produit intérieur Brut (PIB), cette ‘prime du crétin’pose problème pour le futur. »
Dans l’immédiat, les consommateurs britanniques paient déjà le prix fort. Pour cause, les yields influencent directement les taux des prêts immobiliers. « D’ici 2024, 5,1 millions de ménages vont payer 1 200 livres sterling de plus à cause du mini budget », alertait ainsi le think tank Resolution Foundation dans une note publiée le 15 octobre.
Un retour au calme ?
Certes, avec l’arrivée de Rishi Sunak au 10 Downing Street, la tempête s’est calmée. Le conservateur de 42 ans présente aux yeux des marchés un visage plus raisonnable, grâce à son expérience saluée en tant que ministre des Finances entre 2020 et 2022, en plein Covid.
Le diplômé d’Oxford et de Stanford, ancien banquier chez Goldman Sachs, avait aussi mis en garde Liz Truss contre les effets d’une politique de baisses d’impôts massives dès cet été.
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Depuis sa prise de fonction, le 25 octobre, les taux d’intérêt à 10 ans ont ainsi retrouvé leur niveau pré-mini budget. La livre a repris du poil de la bête. Mais la situation reste précaire. « La confiance des marchés est très importante, insiste Muhammad Ali Nasir. Et cet épisode a énormément desservi le Royaume-Uni. »
Donner des gages aux marchés
Les principales agences de notation (S & P, Fitch et Moody’s) ont toutes trois baissé leur perspective sur la note britannique, citant « l’imprévisibilité accrue » des décisions prises par Londres.
Pour rassurer les marchés, Rishi Sunak a d’ores et déjà annoncé son intention de « corriger les erreurs » de Liz Truss. Et sa volonté de donner des gages. De montrer que le Royaume-Uni peut maîtriser ses finances publiques et faire baisser le poids de sa dette à moyen terme.
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L’austérité à venir
En d’autres termes ? « Le gouvernement va probablement réduire les dépenses et s’en remettre une nouvelle fois à l’austérité », regrette l’économiste, auteur d’Off the target (Hors cible), un livre consacré à la reprise économique post-pandémie.
Or « cette approche n’avait pas marché le premier coup, dans le sillage de la crise financière de 2008, souligne-t-il. Ce qu’il faudrait faire, c’est augmenter les taxes de manière intelligente, tout en dirigeant les dépenses vers les secteurs de l’économie les plus productifs afin de soutenir efficacement l’activité. »
Mais le ministre des Finances semble avoir fait son choix. Au moment d’enterrer la quasi-totalité du « mini budget » de Liz Truss, le nouveau chancelier de l’Échiquier, Jeremy Hunt a évoqué des « décisions extrêmement douloureuses » à prendre avant une nouvelle déclaration budgétaire prévue le 17 novembre.
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Coupes dans les dépenses sociales ou de santé, comme pressenti par la presse britannique ? Les erreurs de Truss et les choix de Sunak, conjuguées à une situation économique déjà compliquée entre crise énergétique, inflation galopante (10,1 % en septembre) et répercussions du Brexit, vont coûter cher aux Britanniques. Une semaine, c’est long en politique. Un mois, ça fait des dégâts.
Dans le programme de SES
Première : « Qu’est-ce que la monnaie et comment est-elle créée ? »
Première : « Comment les agents économiques se financent-ils ? »
Terminale : « Comment expliquer les crises financières et réguler le système financier ? »