L’annonce a été un coup dur : mi-septembre, les États-Unis ont soufflé un contrat de plus de 50 milliards d’euros à la France pour la fourniture de 12 sous-marins à destination de l’Australie. « Une éviction douloureuse » qui arrive alors que l’Hexagone multiplie les opérations séduction pour mettre en valeur son savoir-faire français, explique Paul Smith, professeur d’histoire et de politique françaises à l’université de Nottingham.
Il se souvient qu’au printemps dernier, l’un des sous-marins nucléaires tricolores, l’Émeraude, avait effectué une tournée dans le Pacifique, en Chine méridionale, pour souligner la présence française dans la région.
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Malgré ce camouflet, la France pèse. « Elle France possède la plus grande zone maritime au monde, en grande partie grâce à ses territoires du Pacifique », rappelle l’universitaire britannique. « Elle est la sixième puissance militaire mondiale, devant le Royaume-Uni, et reste, parmi les pays de l’OTAN, le pays qui compte le plus en Afrique. »
Bref, assure Paul Smith, « la France reste une puissance économique importante ». Après tout, « elle occupe le sixième ou septième rang mondial, selon les classements ».
Hard power
Désigne la « puissance dure » qui s’appuie sur la coercition. Elle est employée par un État pour imposer de manière forte sa volonté ou pour convaincre ses interlocuteurs. Le terme est souvent associé aux États-Unis, première puissance économique et militaire.
Pas étonnant qu’outre-manche, on déplore – non sans une pointe d’amertume que l’Hexagone ait profité du Brexit. Depuis 2019, la France a pris au Royaume-Uni sa place de première destination européenne pour les investissements étrangers, rappelle John Lichfield, journaliste britannique.
Dernièrement, l’Hexagone est même apparu comme un modèle pour son réseau ferré. À l’heure du grand retour des projets d’infrastructures, quand « le Royaume-Uni et les États-Unis lancent leurs premiers vrais réseaux de trains à grande vitesse, le TGV fête ses 40 ans ». Or « beaucoup d’Anglais regrettent que l’on n’ait pas fait la même chose chez nous, plus tôt ».
Un modèle pour le mix énergétique
La France est aussi inspirante pour l’Allemagne, explique Michaela Wiegel, journaliste au quotidien libéral Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ). « Les autoroutes françaises – même privatisées – sont en bien meilleur état que chez nous. Et les Allemands aimeraient disposer d’un réseau autoroutier de la même qualité. »
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Si, confie-t-elle, sa gastronomie et sa culture sont toujours admirées, la France fait figure d’exemple sur un autre point : « L’Allemagne regarde avec plus d’humilité qu’auparavant la trajectoire française vers la neutralité carbone. Un candidat à la chancellerie a reconnu que sortir tout de suite du nucléaire n’avait pas été le bon rythme », souligne Michaela Wiegel. Conséquence ? Berlin retourne au charbon, alors que « la France se diversifie, tout en restant le pays de l’énergie nucléaire. Ça ne concerne pas tous les partis, mais les acteurs économiques commencent à se dire que la France avait peut-être raison ».
Licornes et villes moyennes
Et le succès français ne devrait pas s’arrêter là : le pays a encore un gros potentiel, par exemple dans le développement des jeux vidéo, indique le journaliste canadien Martin Gauthier, rappelant que les studios d’Ubisoft sont installés à Montréal.
Globalement, dans tout ce qui est tech, numérique et start-up, la France est bien présente. En 2020, les startups de la French Tech ont battu les records en atteignant 5,4 milliards d’euros de fonds levés.
Et puis, « les activités en dehors des grands centres urbains ont de l'avenir, ajoute Michaela Wiegel. On est seulement au début d’une révolution pour les villes moyennes et les campagnes. Cet espace, bien desservi par les transports et avec une bonne couverture réseau, est une ressource pour le pays. »
En témoigne une étude menée par The Economist montrant qu’avec la crise du Covid-19, « en Île-de-France, l’activité économique s’est étendue progressivement du centre vers l’extérieur. Les zones urbaines, autrefois étaient les plus animées, le sont de moins en moins et les zones traditionnellement moins dynamiques s’approprient une part plus importante du butin ».
Des personnalités puissantes
Enfin, « la puissance de la France passe aussi par des personnes », insiste Mauro Zanon, journaliste à Il Foglio, quotidien italien libéral. « C’est le cas avec François Pinault (fondateur d’Artémis et Kering dont fait partie Gucci, NDLR) ou Bernard Arnault (PDG de LVMH). » Pour le correspondant, le luxe reste un secteur symbolique de l’essor français, actuel et à venir. « S’ils ne sont pas forcément bien vus en France, à l’étranger, ces deux hommes sont admirés ailleurs »
La puissance de la France passe aussi par des personnes.
Mauro Zanonjournaliste à Il Foglio.
Au Canada, complète Martin Gauthier, « d’un point de vue économique, nous entendons beaucoup parler d’Emmanuel Macron ». Même si, nuance Mauro Zanon, « par rapport à son début de mandat, la cote de popularité du président a clairement chuté à l’international ».
Il n’empêche que le chef de l’État français est attendu dans un rôle de leader à l’échelle continentale, rappelle le journal économique allemand Handelsblatt. Et pour cause, Paris assurera la présidence du Conseil de l’Union européenne à partir de janvier 2022.
Trois faiblesses : les ports, l'éducation, l'industrie
Pour les observateurs, la France laisse passer trop de belles opportunités. « Elle exploite peu son énorme façade maritime. Marseille dégringole dans les classements sur les ports de commerce », s’étonne Michaela Wiegel. « Je ne comprends pas pourquoi la France se comporte comme un pays de l’intérieur, alors qu’il y a un énorme potentiel. Les ports allemands sont bien plus dynamiques. »
Le pays pourrait aussi faire mieux dans le secteur des technologies vertes, juge Martin Gauthier, depuis le Canada. « Avec le réchauffement climatique, c’est clairement un secteur d’avenir pour remplacer les énergies fossiles. L’an dernier, le parc solaire a produit 2,5 % de la production totale d’électricité du pays. C’est dire que la France a une marge de progression. »
Enfin, la France a la réputation d’être engluée dans l’endettement et « championne des délocalisations », déplore Mauro Zanon. Au « pays de la bureaucratie », il n’apparaît pas simple de lancer son entreprise. Alors que « le taux de chômage demeure élevé et les taxes nombreuses », surenchérit Martin Gauthier.
Outre-Rhin, on signale par ailleurs les faiblesses de la formation tricolore, aussi bien initiale que continue. Il n’y a pas à dire de ce côté-là, conclut Michaela Wiegel, « le modèle allemand, notamment avec l’apprentissage, est bien plus performant ».