OUI, pour gagner en maîtrise
Sophia Guermi, Veolia/Iris Sup’– Grenoble école de Management.
Si la libéralisation des échanges entamée dans les années 1980 a permis à une partie importante de la population mondiale de sortir de la pauvreté, des enjeux plus forts que la simple compétitivité-prix invitent néanmoins à rapatrier certaines entreprises.
Relocaliser sur le territoire national permet, schématiquement, de réduire divers types de dépendances externes : vulnérabilité résultant de tensions géopolitiques dans les pays producteurs, mais aussi dans tous les pays de transit de biens, vulnérabilité vis-à-vis d’aléas sanitaires comme le Covid-19, etc.
Désindustrialisation
Recul du poids relatif ou absolu de la part de l’industrie dans une économie donnée (mesurée par la part des emplois industriels dans l’emploi total ou de la valeur ajoutée du secteur dans le PIB).
Dans un contexte d’intensification des guerres économiques, de hausse du protectionnisme, et d’affaiblissement des modes de régulation du commerce international (notamment l’Organisation mondiale du commerce), disposer des moyens de production dans les secteurs stratégiques comme la santé est un véritable enjeu de « défense ».
Dans un contexte d’intensification des guerres économiques, de hausse du protectionnisme, et d’affaiblissement des modes de régulation du commerce international (notamment l’Organisation mondiale du commerce), disposer des moyens de production dans les secteurs stratégiques comme la santé est un véritable enjeu de « défense ».
Avoir son appareil de production à demeure permet également, en raccourcissant les chaînes de valeur, de réduire les flux de transport, activité qui consomme beaucoup de produits pétroliers. Il s’agit également d’assurer un meilleur contrôle de sa chaîne d’approvisionnement.
Filières stratégiques
Ces secteurs considérés comme critiques pour l’avenir et l’autonomie d’un pays (défense et sécurité, agroalimentaire, santé, chimie…).
La relocalisation présente également certaines vertus économiques : c’est un nouveau levier pour l’emploi d’une part, et d’autre part un moyen de récupérer des recettes fiscales, en particulier dans un contexte d’accroissement très significatif de la dette publique.
Mais relocaliser ses entreprises n’est pas un jeu à somme nulle ! Déjà parce que cela ne se traduit pas par un arrêt brutal et définitif des échanges avec le reste du monde, mais aussi parce que quitter un pays producteur peut constituer une incitation forte pour ce dernier à diversifier son économie et tenter une montée en gamme, pour lui-même réduire sa dépendance à ses partenaires commerciaux.
En Chiffres
165
Nombre de relocalisations totales ou partielles en Europe entre 2014 et 2017 d’après le rapport 2017 du European Monitor Reshoring. L’Italie arrive en tête avec 32 cas de relocalisations sur son territoire (principalement dans le domaine de la mode et du luxe), contre 23 pour la France.
NON, le pouvoir d’achat des ménages en souffrirait
William Honvo, macroéconomiste à la Banque de France.
L’ampleur de la crise sanitaire a soulevé la question de la relocalisation. Toutefois, la relocalisation des entreprises n’est pas la panacée, constat en écho à celui de Krugman en 1996 : « La mondialisation n’est pas coupable. »
D’abord, la relocalisation peut constituer un facteur d’inflation en rehaussant les coûts de production, notamment en raison d’une main-d’œuvre plus chère.
La délocalisation de certaines productions permet de produire à moindre coût des biens standardisés dont le prix augmenterait fortement s’ils étaient produits en France : c’est ce que dit la théorie des avantages comparatifs de Ricardo.
Délocalisation
Transfert de la production nationale vers l’étranger en vue de réduire les coûts de production (salaires plus faibles, droit du travail plus avantageux…) ou de pénétrer un marché final.
Pour limiter cette hausse des prix, les entreprises pourraient choisir d’automatiser largement leur production (donc sans création d’emplois).
De plus, elles ne disposent pas forcément, à court terme, des compétences (humaines aussi bien que technologiques) nécessaires à leur activité.
Comme le souligne l’économiste Isabelle Méjean, la relocalisation des entreprises est un arbitrage difficile une vertu et un danger : d’une part la résilience de la chaîne de valeur (c’est-à-dire la capacité de continuer à produire et à exporter en cas de crise exceptionnelle) et d’autre part l’augmentation des coûts de production.
Chaîne de valeur
Ensemble des étapes du processus productif permettant la création d’un bien ou d’un service. La mondialisation s’est traduite par un éclatement des chaînes de valeur, la production commençant dans un pays et se poursuivant dans un autre.
Il existe une voie intermédiaire, une diversification des chaînes de valeur, pour limiter la dépendance à un unique pays.
À l’heure où la mondialisation est déjà mise à mal par la guerre commerciale sino-américaine, il est bon de se rappeler l’enseignement de Montesquieu : « Le commerce polit et adoucit les mœurs barbares. »
En conclusion, si les relocalisations dans des secteurs stratégiques (santé, agroalimentaire, défense) sont sans doute indispensables aujourd’hui, une relocalisation globale se ferait au détriment du pouvoir d’achat et de l’entente entre les pays, accroissant la fragilisation des plus faibles d’entre eux.
Pas sûr que nos économies aient besoin de cela en ce moment.
La France et la relocalisation
2010 – La Marque de ski Rossignol relocalise sa production en France après l’avoir délocalisée en Asie.
2012 – François Hollande créé le ministère du Redressement productif, en vue de favoriser le made in France.
2020 – Bruno Le Maire annonce que la crise sanitaire sera un game changer dans la mondialisation et qu’il faut inciter les entreprises françaises à relocaliser.